« Construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes. » C’est la devise qui orne le logo de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, connue sous l’acronyme d’Unesco. Une devise caduque pourtant, avec la transformation de cette institution en chambre de raisonnement des conflits politiques qui agitent les relations internationales aujourd’hui et n’ont rien à avoir avec sa mission originelle. Fondée en 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, elle avait pour ambition de s’attaquer à la racine des maux (fascisme, racisme, colonialisme…) qui avaient conduit le monde à deux conflits planétaires majeurs en moins de trois décennies. Dans l’esprit de ses fondateurs, cette organisation était ouverte sur l’humanité entière pour promouvoir les idéaux de paix, d’égalité, d’universalité, de tolérance, de solidarité et de préservation du patrimoine mondial.
Mais en regardant de près la liste des personnalités qui l’ont dirigée (l’Anglais Julina Huxley de 1946 à 1948, le Mexicain Jaime Torres Bodet de 1948 à 1952, les Américains John Wilkinson Taylor et Luther Evans, respectivement de 1952 à 1953 et de 1953 à 1958, l’Italien Vittorino Veronsez de 1958 à 1961, le Français René Maheu de 1961 à 1974, le Sénégalais Amadou-Mahtar M’Bow de 1974 à 1987, l’Espagnol Federico Mayor Zaragoza de 1987 à 1999, le Japonais Koichiro Matsuura de 1999 à 2009 et la Bulgare Irina Bokova depuis 2009) on ne peut que constater la prédominance des Occidentaux : sept sur dix. On est bien loin de l’idéal tant chanté de l’universalité et de la diversité.
Et les orientations de l’institution s’en ressentent : les Anglo-Saxons se sont retirés du financement pour protester contre l’adoption, dans le sillage des autres organisations onusiennes et internationales, du « sionisme comme forme de racisme » sous la direction de M’Bow. Lequel a proposé un autre dossier qui a fâché les Américains et Britanniques : le projet du nouvel ordre de l’information, qui devait favoriser la libre circulation de l’information du Nord vers le Sud et vice versa. L’admission de la Palestine comme État membre en 2011 a conduit les États-Unis à geler leur financement du budget général (22 %). Cela ne les empêche pas de continuer à peser lourdement sur les orientations stratégiques de l’organisation.
En novembre, les cinquante-huit États membres du Conseil exécutif vont élire un nouveau directeur général. La Bulgare Irina Bokova est candidate à sa propre succession. Elle aura à affronter, avec un bilan discutable et une gestion calamiteuse, deux candidats du Sud : le diplomate et intellectuel djiboutien Rachad Farah, qui bénéficie déjà du soutien de l’Union africaine, de la Ligue arabe, de l’Organisation de la coopération islamique, de l’Amérique du Sud, et le Franco-Libanais Joseph Mayla, qui n’a pas de soutiens significatifs et dont la candidature ne pourrait servir qu’à disperser les voix du Sud.
Diplomate chevronné, francophone, appartenant à un pays qui peut faire la jonction entre les trois mondes – Afrique, monde arabe et Asie –, Rachad Farah préconise, dans sa vision de l’avenir de l’Unesco, le retour à ses valeurs fondatrices. Et en premier lieu l’éducation comme mission publique, sans laquelle il est impensable de vaincre le fléau de l’intolérance et du terrorisme. « Dans un monde instable, marqué par des mouvements d’ouverture démocratique, l’émergence de nouvelles puissances économiques et de sociétés fragilisées par des facteurs de stress multiples, les tissus éducatifs, scientifiques, culturels et le respect des droits fondamentaux sont garants de la résilience et de la stabilité des sociétés », a-t-il dit.
Les pays du Sud vont-ils se montrer à la hauteur de ce défi en apportant leurs voix au candidat qui représentera le mieux le continent ? Ou vont-ils aborder cette bataille en rangs dispersés, comme ils l’ont fait à maintes reprises, faisant perdre à l’Afrique son rôle dans la gouvernance internationale ?