Depuis toujours « porte du désert », Tombouctou est plus ocre que jamais. Ocre du sable envahissant, terrible produit de la combinaison sécheresse/désertification. Cette année encore, il est tombé peu de pluie. Pour la troisième année consécutive. Depuis 1980, l’ensemble de la région connaît une « pluviométrie nulle », c’est-à-dire inférieure au minimum saisonnier. En 1983, la plus vaste région administrative du Mali n’a enregistré que quatorze millimètres de précipitations. Une misère.
Les éleveurs comme les agriculteurs vivent l’enfer de la ruine et de la désolation, à l’instar de leurs voisins et frères de Gao, antique capitale de l’Empire songhaï et aujourd’hui chef-lieu de la septième région administrative du Mali. Ici aussi, la nature a été avare, très avare, en ondées bienfaitrices. Il n’a plu que dans un dérisoire couloir de 90 kilomètres le long du fleuve Niger, entre Bara et Ouatagouna. Ailleurs ? Rien. De récoltes, personne, hors de ce couloir, n’en espère. Alors, dans les deux régions sahéliennes et septentrionales du Mali, l’on renoue avec un drame que tous avaient un moment souhaité, sinon cru fini, l’exode vers des horizons que l’on imagine meilleurs. À pied, à dos d’âne, à bord de vieilles guimbardes qui sont autant de cercueils roulants, à bord encore de pirogues et autres embarcations de fortune.
C’est l’exode, par familles entières. Mais vers où ? Hier, en 1972 et 1974, c’était vers le Nigeria. Aujourd’hui, on sait quel traitement le géant de l’Afrique, malgré son pétrole et sa phraséologie panafricaniste officielle, réserve à ses « immigrés africains ». Hier encore, c’était le Ghana. Depuis, ce pays jadis prospère n’est plus sur le plan économique, que l’ombre de lui-même. Reste la Côte d’Ivoire. Mais le pays d’Houphouët-Boigny ne s’enfonce-t-il pas inexorablement dans la crise économique, avec ses relents de xénophobie montante ?
[…] Pluies insuffisantes, crues dérisoires : la famine devient réalité, s’incruste. Pas seulement pour les hommes. Les bêtes aussi sont frappées, très durement. Manquant d’eau et de pâturages, les éleveurs ont fui vers le sud, notamment vers la Haute-Volta voisine… pour découvrir que la situation y est tout aussi catastrophique. L’hivernage a été décevant, de 80 % inférieur à la normale saisonnière. La famine fait des ravages dans le nord du pays et les autres régions connaissent une situation de disette rampante.
[…] Hier potentiellement riche, l’éleveur sahélien se retrouve ruiné, ayant sur les bras des centaines de têtes vouées, sauf miracle, à une mort certaine. L’effondrement du marché des bestiaux provoque une autre difficulté. Jadis, les commerçants avisés achetaient (à bon prix) le bétail qu’ils allaient revendre aussi loin qu’au Nigeria, d’où ils importaient des céréales qu’ils revendaient au Mali (au prix spéculatif le plus souvent), palliant ainsi les effets des récoltes déficitaires. Ce commerce n’est plus possible aujourd’hui, le bœuf étant devenu le maillon faible de la longue chaîne. Il ne reste donc plus que l’aide internationale pour sauver le Sahel du désastre qui s’étend de la Mauritanie à la Tanzanie. Encore faut-il que, dans des pays comme le Mali, les autorités aient la volonté de juguler les énormes fraudes et les spéculations à des fins personnelles auxquelles se livrent, sur les céréales, les fonctionnaires chargés de la distribution des dons étrangers.