Ça y est, les vacances arrivent, et sur tous les continents, les magazines féminins ne parlent plus que de ça : comment exhiber ses formes en en ayant le moins possible ? Qu’on aille faire trempette en bikini ou en « burkini » (maillon de bain islamique), le mot d’ordre est le même : haro sur le superflu, devenez superfluettes ! C’est que, depuis que la mode, le cinéma et les médias s’en mêlent, fini la grosse Bertha : le canon (de beauté) s’appelle désormais Gisele (Bündchen), Kate (Moss), Naomi (Campbell), bref, tout porte-manteau animé – pardon, mannequin – d’au moins 175 centimètres et d’au plus 55 kilogrammes. Peu de femmes regimbent contre ce (top) modèle à prétention universalisante, effet collatéral de la mondialisation. Et surtout pas vos amies : laquelle d’entre elles, mince, dodue ou obèse, n’a-t-elle pas évoqué un jour la nécessité de perdre un peu beaucoup de poids ?
Ça et là, pourtant, la résistance s’organise, tout en paradoxes. Lassées d’être invisibles aux yeux des médias, les « hippopodames », comme le chantait mi-cynique mi-affectueux Serge Gainsbourg, se montrent désormais dans les pubs, concours de beauté, émissions de télé, sites internet, associations… Les grosses David des temps modernes contre les Goliath anorexiques ?
C’est surtout sur le continent africain qui le combat filles à formes-filiformes fait rage. Car, entend-on dire comme un leitmotiv, les hommes y aimeraient depuis toujours les femmes rondes. Toute la planète Internet relaie cet écho d’une esthétique surgie du fond des âges. La preuve par neuf ? Sawtche, Vénus hottentote de son petit nom européen, pauvre bougresse sud-africaine callipyge maltraitée et exposée en Europe au xviie siècle, qui incarnerait une beauté africaine elle-même figée dans la statuaire multimillénaire. Un peu comme si la Vénus de Willendorf – gros seins gros ventre grosses fesses – du Paléolithique représentait « l’Autrichienne » d’aujourd’hui plus qu’Iris Strubegger, star des podiums de mode…
L’Afrique, c’est vaste, mais de Tunis au Cap, en passant par Nouakchott et Kinshasa, les hommes y apprécieraient toujours les femmes bien en chair. Alors celles-ci se conformeraient à leurs regards. Rien de tel qu’une poitrine épanouie, un popotin rebondi et des hanches arrondies pour affoler ces messieurs, semblerait-il. Sous le pagne ou le jean moulant, les formes qui se devinent ou s’exhibent seraient le top du top. Version Beyonce agrémentée aux goûts locaux, on est au xxie siècle tout de même, avec des Africains de moins de 20 ans majoritaires et des urbains de plus de plus nombreux sur tout le continent.
En Mauritanie, d’ailleurs, les femmes, maures ou négro-africaines, ont presque renoncé au gavage, une pratique sociale dominante depuis des lustres, encore dénoncée avec force il y a seulement une dizaine d’années par des associations nationales et internationales très actives. C’est que le prestige de l’homme se mesure au poids de son épouse, comme le rappelle ce proverbe maure : « La femme occupe dans le cœur de son homme l’espace qu’elle occupe dans son lit. » Les fillettes, comme au Niger ou au nord du Mali, étaient soumises à un régime grossissant sous la torture : parfois attachées par les pieds, elles devaient ingurgiter jusqu’à vingt litres de lait par jour avec du pain imbibé, histoire de distendre l’estomac, qui devait aussi accueillir des kilos de couscous de mil ou du thô (pâte de céréales), des verres de beurre et parfois de la viande de mouton bien grasse. Le tout à l’entonnoir, comme les oies, ont rapporté les enquêtes anthropologiques (1) et témoignages journalistiques. Des pratiques encore observées dans les zones rurales « reculées », reconnaissent les associations.
Grâce aux campagnes internationales et aux injonctions hygiénistes – être obèse, ça tue de diabète, de maladies cardiovasculaires, d’insuffisance rénale, d’hypertension artérielle, d’apnée du sommeil, etc. –, les Mauritaniennes, tout comme nombre de femmes dans les grandes villes d’Afrique, se sont mises à courir frénétiquement, et, pour les plus riches, à fréquenter les salles de sport. Pas question de ressembler à ces horribles dondons afro-américaines… La forme, pas les formes ? Sans doute. Pourtant, au troisième millénaire les hommes préféreraient toujours avoir de quoi se rincer l’œil et, sous le m’lahfa, l’habit traditionnel mauritanien, prendre à pleines mains des corps bien moelleux…
Alors les Mauritaniennes aujourd’hui s’« autogavent ». Mais de façon « moderne », avec des médicaments : on n’est plus des bêtes ! Quoique… Pour obtenir du volume, elles s’injectent de Deca-Durabolin, cet anabolisant utilisé par les vétérinaires pour donner de la masse au bétail ou par les adeptes de la musculation. On l’appelle dregdreg en hassaniyya (langue des Maures), ou « trépidation du cœur ». Un bien dangereux programme pour faire chavirer celui des hommes… Il y a aussi les pilules contraceptives, les cachets qui donnent faim et tous les comprimés made in China et les mixtures suspectes qu’on trouve sur les trottoirs. En Mauritanie, comme ailleurs en Afrique.
À Bamako, Abidjan, Brazzaville, Johannesburg, les hommes continuent d’en pincer – et de pincer – les popotins bien garnis. Ha ! la grâce d’un déhanchement tout en rondeur ! « Tassaba, do ! », « regarde ces fesses », disent les hommes au Mali. Quelles wang !, renchérissent-ils à Dakar, tandis qu’à Abidjan, ils s’esbaudissent devant les bobaraba, les généreux postérieurs. Les femmes, elles, préféraient qu’on leur dise qu’elles sont belles tout court, mais bon… L’avantage en valorisant leurs fessiers (avec les seins, rois du monde sur la planète, les lolos oranges, lolos pastèques, lolos noix de coco, lolos papayes, comme on dit en français ivoirien), c’est qu’elles n’ont plus le devoir d’obésité. Seul le développement de la partie convoitée suffit.
C’est à Kinshasa, en République démocratique du Congo, que le phénomène a pris des proportions alarmantes à mesure que croissait le séant (et vice et versa). Depuis des années, les fausses fesses se trouvent sur le trottoir. Mais, comme le coton dans le soutien-gorge, tout cela manque singulièrement de naturel… Les plus fortunées vont donc chercher le salut au bout du bistouri, tandis que les autres s’en remettent au « médicament » miracle. Le Deca-Durabolin a encore la cote, mais ce sont des vitamines C4 et autres stimulateurs d’appétit, tels le sirop Tres-Orix ou le Dexamethazone, qui font recette. Et on mélange souvent le tout pour obtenir des cocktails explosifs… en popotins. D’autres femmes s’administrent régulièrement des cubes de bouillon concentré en suppositoires, persuadées que cela nourrit les fesses… Rien ne garantit le résultat, mais les Kinoises ont la foi, et l’inconscience de leur ignorance.
L’Organisation mondiale de la santé a eu beau sonner l’alerte juste avant les vacances, le 4 juin dernier : en 2008, un tiers du continent était en surpoids et 10 % concerné par l’obésité, contre respectivement 20 % et 5 % en 1980, on continue d’aimer les grosses en Afrique. Les concours de beauté à leur gloire se poursuivent avec succès. Le premier, Miss Awoulaba, en Côte d’Ivoire, a été créé en 1987, dix-huit ans avant Miss Ronde en France. Ont suivi Miss Diongoma au Sénégal, Mani fori au Niger, Miss Poog-Béedré au Burkina, Miss Lolo au Togo, Bénin, Cameroun, Reine Hanan au Bénin… Pourtant, dans certains pays, les femmes ne risquent pas leur santé pour être belles, mais bien par peur de paraître… malades. En Afrique du Sud, par exemple, l’un des pays les plus touchés par l’obésité, être maigres, et même minces, c’est avoir le sida… Alors on mange. L’on y conseillerait même le traitement au bouillon cube s’il avait le moindre effet sur le virus.
(1) Notamment Femme et islam ou le sexe interdit, Attilo Gaudio et Renée Pelletier (Paris, 1980).