Mêmes conditions de vie, même âpreté, et même lumière dans les yeux à l’évocation de ces quelques grammes d’or. Tous prêts à payer le prix fort. Les répercussions que l’extraction artisanale peut avoir sont bien connues. En 1998, en Colombie, le programme pilote Oro Verde proposait une activité minière alternative, respectueuse de l’environnement et des populations. Au cœur du sujet l’utilisation du mercure et des sels de cyanure, employés pour isoler le minerai. On sait les graves problèmes sanitaires auxquels une surexposition au mercure conduit : anomalies congénitales, atteintes du système nerveux central, graves éruptions cutanées. Un label d’exploitation « éthique » a même vu le jour. Louable, mais sans réel effet. En 2011, le Burkina Faso décrétait l’interdiction d’utiliser ces produits. Mabourlaye Nombré, directeur général des Mines, souhaitait même imposer aux petits exploitants un cahier des charges imposant « le respect des règles environnementales et l’obligation de reboisement, une fois l’activité sur le site terminée ». L’autorisation ne serait accordée que sous cette stricte observance. À Fofara (département de Kampti, sud-ouest du pays), comme sur tous les autres sites aurifères, rien n’a changé depuis.
Ce qui est vrai pour le Burkina l’est aussi pour le Niger, le Sénégal ou le Mali. Et l’on pourrait encore évoquer la République démocratique du Congo (RDC), dans les provinces du Sud-Kivu et du Maniema, ou le Gabon, avec le site d’Etéké. Mêmes paysages désolés, aux sols lessivés, érodés par le vent, impropres à la culture comme à l’élevage. Conseiller technique au ministère des Lines malien, Seydou Keita a étudié plus particulièrement le cas de l’Afrique sahélienne. « Les techniques d’exploitation ramènent en surface la terre infertile. De plus, le percement de puits et de galeries, par risque d’effondrement, rend a posteriori toute activité agricole ou d’élevage impossible. » Sans parler des afflux de population sur les sites et de la pression que cela fait peser sur les ressources forestières : bois de chauffe, charbon de boisn constructions… Dans les régions du Liptako (Niger), de Kédougou (Sénégal), de Poura et de Dohoun-Kiéré (Burkina Faso), le constat est le même. Et il ne concerne pas uniquement l’environnement.
Enfants déscolarisés
« C’est vrai que les familles peuvent gagner beaucoup d’argent. Mais cette richesse est devenue comme la fièvre. Beaucoup d’entre eux n’hésitent plus à déscolariser leurs enfants pour qu’ils viennent les aider à extraire », constate cet enseignant à Etéké, tout comme ses collègues burkinabè ou nigériens. Des classes vides et des parents complices. Ils ont 7 ou 8 ans, le père dans le puits et le fils qui remonte les seaux de terre. Douze heures par jour. On ne compte que le salaire de l’or. On oublie le frère qui est mort dans la galerie, le bétail intoxiqué, les attaques des voyous ou les tracasseries administratives. En RDC, dans les provinces de l’Est, les milices hier très actives ont laissé la place aux pressions des fonctionnaires. Impôts divers et variés, taxes imaginaires, dessous de table sont monnaie courante. Une récente enquête menée par une ONG sud-africaine, Soutern Africa Resources Watch (SARW), le pointait du doigt. Les creuseurs n’en ont jamais profité. « L’amélioration des services de l’État, l’établissement de la paix dans la plupart des zones d’exploitation, le record du cours de l’or sur les marchés internationaux n’ont amené aucun changement aux conditions de vie des populations. »
La richesse des gisements et l’intérêt des États à les mettre en valeur vont sans doute influer sur l’extraction elle-même. Des sociétés canadiennes, marocaines et autres obtiennent des permis d’exploitation. C’est le cas d’AIM Gold Corporation pour la mine d’Essakane (Burkina Faso), ou de Managem sur la concession de Bakoudou (Gabon). Une option qui a ses avantages. Outre le fait qu’elle peut offrir de l’emploi aux locaux et qu’elle amène la construction d’infrastructures, l’utilisation des produits dangereux se fait désormais en milieu fermé. Mais ces réalisations ne concernent que les sites importants. Les extractions artisanales continueront d’exister. Même si son utilisation est proscrite, le mercure prend d’autres chemins jusqu’à la concession. Comme le disait Mabourlaye Nombré, « les gens savent tous la dangerosité du mercure et du cyanure, mais l’appât du gain est plus fort ». Pour une poignée de pépites sur la balance, la vie a-t-elle le même poids ?