Après la guerre civile (1989-2003), le Liberia post-conflit était un pays exsangue, un État fracassé et sans repère. Les infrastructures avaient été détruites, y compris les cours de justice et les centres de détention, et tous les juristes, magistrats comme avocats, avaient soit quitté le pays, soit cessé complètement de travailler. Le système de sécurité dans son entier était à reconstruire. Au moment de la signature de l’accord de paix global à Accra (Ghana) en 2003, s’attaquer au problème des crimes contre l’humanité présentait le risque de faire dérailler le fragile processus de paix, d’autant plus que des factions armées faisaient partie du gouvernement de transition. La justice transitionnelle n’a donc pas fonctionné en synergie avec le processus de désarmement, démobilisation, réhabilitation, réintégration (DDRR), mais a été mise en place dans un second temps, comme une continuation logique de la réforme des institutions et du retour d’un pouvoir judiciaire digne de ce nom.
La Commission vérité et réconciliation (CVR) libérienne a représenté un compromis entre les exigences contradictoires de la société civile d’une part, qui réclamait la constitution d’un tribunal apte à juger les crimes de guerre, et les groupes armés d’autre part qui souhaitaient l’amnistie. Après quatorze années d’une guerre civile atroce, les pressions pour l’instauration d’une paix durable étaient telles que nul décideur politique n’a osé prendre le risque de mécontenter ceux qui avaient les moyens de reprendre le combat pour imposer leurs vues. Par ailleurs, il était de notoriété publique que l’ex-président Taylor avait parrainé huit des dix-huit partis politiques impliqués dans les pourparlers de paix afin d’influencer le résultat des négociations. Désireux d’éviter avant tout les procédures pénales, ces « partis Taylor » plaidaient en faveur d’une CVR, faute d’amnistie.
La Commission a travaillé trois ans. Elle a recueilli près de 22 000 témoignages écrits et entendu quelque 500 victimes dans le pays et dans la diaspora, avec une particularité : elle a centré ses activités sur les femmes et les enfants. Ses conclusions ? Les origines du conflit se trouvent dans l’histoire contemporaine du Liberia et ses causes sont « imputables à la pauvreté, la corruption, l’accès limité à l’éducation, les inégalités économiques, sociales, civiles et politiques, le conflit identitaire et les régimes fonciers ». Mais elle note aussi que toutes les factions en conflit ont commis des violations massives des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit national. Elles ont toutes perpétré de graves violences à l’encontre des femmes et recruté des enfants-soldats. Tous les acteurs externes, l’Afrique, l’Amérique du Nord ou l’Europe, ont participé et incité à la violence, à la guerre et au changement de régime afin d’obtenir des avantages politiques et économiques.
Dans son rapport final, la CVR préconise bien sûr des mesures compensatoires, mais elle recommande aussi l’établissement dans la capitale, Monrovia, d’un Tribunal pénal extraordinaire pour le Liberia chargé de poursuivre les huit principaux ex-chefs de guerre. Parmi eux figure Charles Taylor, condamné depuis par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, mais aussi Prince Johnson, sénateur dans le comté de Nimba (nord) depuis 2005… Parce qu’elles ont présenté des excuses et des regrets pour leurs fautes, trente-six personnes sont nommément exemptées de poursuites, comme le commandant Milton Blayi, responsable pourtant de près de 20 000 morts. Sur le plan civil, la Commission préconise l’interdiction de se présenter à un mandat électif pendant trente ans pour une cinquantaine de personnes. Et sur cette liste, figure la présidente en exercice, Ellen Johnson-Sirleaf… En février 2009, cette dernière est venue s’expliquer devant la CVR. Elle a reconnu avoir soutenu et financé la rébellion de Charles Taylor contre le président Samuel Doe en 1990 et s’en est excusée.
La justice transitionnelle a-t-elle fonctionné au Liberia ? La réponse n’est… ni oui ni non. Elle a permis, il est vrai, d’entendre les explications et les excuses d’acteurs majeurs de la guerre civile. Rapidement mise en place, la CVR a permis de sauvegarder une paix précaire. En revanche, elle a mal protégé ses commissaires, les membres de son personnel et même les témoins et les victimes, qui ont reçu des menaces de mort et subi des pressions en tout genre. Elle n’avait pas la chance de sa grande et célèbre sœur sud-africaine : elle n’était pas dirigée par une personnalité suffisamment charismatique pour écarter d’un geste les protestations qui n’ont pas manqué de surgir. Son rapport a été très contesté en son sein même puisque trois des neuf sages qui la dirigeaient ont refusé de le signer. La justice n’est donc pas passée de la même façon pour tout le monde.