La constance. S’il fallait, en un mot, qualifier l’itinéraire d’Afrique Asie jusqu’à ce numéro 300, c’est bien celui-là qui s’imposerait. Constance dans les thèmes, dans la manière de les aborder et de les traiter, dans l’attachement aux principes qui ont présidé à la naissance de ce journal. Dire le tiers monde. Beaucoup de périodiques se réclament de cette volonté. Peu réussissent à maintenir ce pari qui leur fait affronter les puissances d’argent et les lobbies politiques et structurels qui en découlent. D’autres ont choisi de dire un certain tiers monde : celui béni par les intérêts occidentaux. Quant aux peuples, ils continuent d’être occultés ou traités comme les objets d’une histoire qui se ferait sans eux.
Ce n’est pas le cas d’Afrique Asie dont le succès – disons-le sans fausse honte ni sans verser dans l’autosatisfaction nombriliste – tient au fait qu’il a, d’entrée, affiché la couleur. Ce faisant, il offrait aux peuples du tiers monde une tribune pour y faire résonner leurs voix, un instrument, modeste mais appréciable, au service de leurs luttes pour arracher l’indépendance, la consolider ? affronter les nouvelles tâches d’édification nationale ; il jouait et joue le rôle d’un projecteur qui braque sa lumière crue sur les complots qui se trament et les agissements néfastes visant à maintenir les peuples dans l’exploitation et la misère, à les priver des fruits de leurs victoires et de leurs souffrances, à piller les richesses de leurs pays.
[…] Dès le premier numéro, nous avons dit la Palestine et le Ghana, le Viêt-nam et l’Angola, la Namibie et le Chili, l’Algérie et Madagascar, et tant d’autres pays où les peuples se battent. Nous avons dit les héros dont les noms claquent au vent de nos espérances communes, martyrs ou lutteurs toujours présents sur la brèche : Amilcar Cabral et Angela Davis, Hô Chi Minh et Fidel Castro, Eduardo Mondlane et Ghassan Kanafani – symboles des millions d’hommes et de femmes unis dans le défi à un colonialisme qui n’en finit pas de mourir ou qui revient affublé de nouveaux habits trompeurs, à un impérialisme agressif et omniprésent avec ses dollars et ses bases militaires. À un sionisme aussi cynique que boulimique, à un apartheid arrogant et impudent.
[…] Nous énonçons clairement les faits, désignons les responsables et appelons un chat un chat, et Bongo un dictateur corrompu, pour ne citer que cette marionnette néocoloniale. Allant, bien souvent, à contre-courant de l’information internationale, dominée par le formidable appareil médiatique de l’Occident, nous avons la sympathie et le soutien de tous ceux qui, dans le monde, luttent pour la liberté, la justice et la dignité des peuples. Mais cela nous vaut aussi, logiquement, l’antipathie des autres, ceux-là mêmes que nous dénonçons à longueur de numéros. Et cette antipathie se traduit par des ostracismes dans la diffusion et la publicité, des saisies et des interdictions, et aussi par de cycliques tentatives d’étouffement […]