Réalisée avant le premier tour de l’élection présidentielle française, cette interview éclaire sur les opinions d’un des principaux candidats.
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Le conflit syrien entre dans sa sixième année avec son cortège de morts, d’invalides de guerre, de destruction des infrastructures… La France, avec les États-Unis, la Turquie et les monarchies du Golfe, a jeté de l’huile sur ce brasier, au nom de la démocratie et de la défense des droits de l’homme. Avec comme objectif à peine dissimulé le changement de régime. Quelle est votre analyse géopolitique du conflit, et comment s’en sortir ?
Comme je l’ai déjà dit, il faut arrêter de biaiser et « d’enfumer » les gens. Nous savons bien que l’origine et l’enjeu central de ce conflit, c’est le pétrole, le gaz et les pipelines. Ne me parlez pas des droits de l’homme dans les monarchies du Golfe, c’est une honte.
La France est une force de paix et elle entend être un acteur dynamique en faveur de la paix. Dans ce conflit, il faut se parler et négocier sans détour entre toutes les parties qui ont et défendent leurs intérêts économiques. Il n’y a pas de solutions militaires. La France insoumise est une force de paix ; nous sortirons de l’Otan, nous essayerons de promouvoir un nouveau mouvement des Non-Alignés afin de « bousculer » l’atonie et l’impuissance de l’Onu.
La France et le Royaume-Uni ont pris la tête d’une intervention militaire en Libye sous couvert de « responsabilité de protéger ». On connaît le bilan de cette expédition dite humanitaire. La Libye est aujourd’hui une menace pour elle-même et pour son environnement maghrébin, africain et méditerranéen. Quelle devrait être la politique de la France vis-à-vis du chaos libyen ?
Dans toutes les interventions, nous sommes pour que cela se fasse sous la responsabilité et le commandement de l’Onu. Il est clair en Libye que les États-Unis et leurs alliés, dont la France, ont outrepassé le mandat de l’Onu et sont aujourd’hui responsables du chaos dans ce pays. Chaos qui s’est d’ailleurs propagé au Mali et au Niger, via les bandes armées qui se sont déplacées. Il faut remettre l’Onu au centre et voir les conditions pour remettre sur pied un État libyen.
La doctrine de « l’intangibilité des frontières héritées de la décolonisation » a-t-elle vécu ? Elle a été mise à mal au Soudan avec l’amputation, sous pression américaine, du Sud et la naissance d’un État failli, en guerre contre lui-même. Quelle est votre position sur cette question ?
Je l’ai proposé pour l’Europe, il en est de même pour l’Afrique. Nous avons deux légitimités, l’intangibilité des frontières et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Vous avez raison concernant le Soudan, et là encore il s’agit essentiellement de pétrole ! Nous savons tous comment ont été dressées les frontières en Afrique. Il peut donc y avoir des dizaines de situations délicates. L’Union africaine nous paraît être le lieu approprié, sous des formes choisies par les Africains eux-mêmes, conférence, ou autres. On peut aussi espérer que les associations de coopération régionales existantes puissent jouer un rôle de compréhension.
Depuis plus de 40 ans, le peuple sahraoui est privé de son droit de se prononcer sur son avenir, comme le prévoit l’Onu. Qu’allez-vous faire face à cette question qui pourrait conduire à l’embrasement de la région ?
Il serait temps de relancer le processus adopté par l’Onu et de le faire aboutir. Il s’agit bien du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais le Maroc et l’Algérie doivent également se mettre ensemble autour d’une table.
La crise politique au Congo-Kinshasa est due à l’entêtement du président Kabila à ne pas vouloir quitter son poste à l’issue de son mandat. Quelles réflexions vous inspire cette situation, et quelle issue politique ou militaire peut-on envisager ?
Il ne peut y avoir de solutions militaires. Là aussi, sous l’autorité de l’Onu, avec l’Union africaine et en rassemblant tous les acteurs, nous pouvons régler les conflits de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Il s’agit là encore de contrôle des matières premières. Ce conflit paralyse largement le développement et le bon fonctionnement de la RDC.
Concernant M. Kabila, la communauté internationale, quand elle le veut, ne manque pas de moyens de pression pour faire respecter les processus de fonctionnement démocratique. La France sera une force dynamique pour aboutir au respect des engagements et des échéances électorales prévues.
Plus largement, quelle est votre analyse sur l’état de la démocratisation en Afrique subsaharienne ? Y a-t-il un modèle d’« Afrique insoumise » comme pourrait la représenter l’insurrection burkinabè ? Sur quelles forces sociales et politiques s’appuierait un véritable « printemps africain », là-bas et ici ?
Comme par hasard, ce sont les pays les plus riches potentiellement qui souffrent le plus d’absence de démocratie. La France porte une responsabilité lourde dans cette situation en apportant son soutien aux dictateurs africains. Cette tolérance qui aboutit à les laisser tuer l’intelligentsia de leurs pays au profit d’intérêts économiques occidentaux et au profit de l’entourage clanique de ces personnages est inacceptable, et nous mettrons tout en œuvre au niveau diplomatique afin de bouleverser ces situations acquises. Si le vieux combat des peuples en Afrique contre les présidences à vie semble avoir obtenu le soutien de la France tel qu’exprimé par Hollande en faveur de l’alternance politique sur le continent et contre les révisions constitutionnelles, nous refusons que cela cache la volonté de préserver les conditions d’un néo-impérialisme français et de recueillir les votes des pays de l’Organisation internationale de la Francophonie.
L’hypocrite Hollande peut se donner des airs mitterrandiens en prêchant aux chefs d’État africains le respect des constitutions, après avoir tenté de manigancer une sortie digne à Compaoré en lui promettant le soutien de la France « s’il souhaitait mettre son expérience et ses talents à la disposition de la communauté internationale » ! La France doit cesser d’apporter son soutien aux dictateurs africains et de cautionner des scrutins frauduleux. Nos efforts porteront sur le soutien aux mouvements démocratiques et populaires. Les pratiques de corruption dans les affaires commerciales et le financement de la vie politique française doivent être bannis. Aucune politique sociale, aucune politique de souveraineté nationale, aucune politique de service public, aucune réappropriation des richesses nationales ne peut se faire sans remise en place d’États représentant les aspirations des peuples, et d’administrations disposant de moyens pour assurer l’intérêt général, l’égalité des citoyens, la continuité et la neutralité du service public. La France appuiera les initiatives visant à renforcer les États assis sur les structures démocratiques et sociales des pays, et tenant compte de l’organisation sociale et des solidarités existantes.
Les femmes africaines jouent d’ores et déjà un rôle essentiel pour faire bouger la société (au niveau économique, social, politique…), et ce rôle se doit d’être reconnu et entendu.
Depuis 2011, vous avez pris des positions très critiques envers la crise ivoirienne et l’intervention française. Quelle est votre opinion sur le régime d’Alassane Dramane Ouattara, et que préconisez-vous comme solution à la longue crise de la Côte d’Ivoire ? Que vous inspire l’interminable procès du président Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale de La Haye ? Sa libération pourrait-elle réconcilier le pays ?
M. Ouattara est la caricature du haut fonctionnaire qui partage et applique l’idéologie dominante ultra-libérale et mondialiste. Il a été mis en place à la suite du coup d’État organisé par M. Sarkozy pour défendre les intérêts des multinationales françaises. Son profil « rassurant » pour la communauté internationale permettait de faire semblant de ne pas voir la mise en coupe réglée du pays par les bandes de M. Soro.
La France soutiendra la société civile ivoirienne et l’opposition démocratique afin de mettre en place des élections réellement démocratiques et contrôlées par l’Union africaine et les organismes internationaux. Seuls les Ivoiriens eux-mêmes peuvent sortir de leur crise et préparer leur avenir. J’ai déjà plusieurs fois déclaré qu’une fois élu, j’irai chercher Laurent Gbagbo à La Haye. La création de la CPI était une idée intéressante, car instituer un tribunal international reconnu par tous, c’est favoriser la paix. Cette idée a déjà été remise en cause par la non-adhésion des États-Unis et d’Israël, pourtant très largement concerné par « les crimes de guerre » ! La CPI est donc largement instrumentalisée pour « intervenir » dans les questions internes aux États, essentiellement africains, c’est une dérive intolérable… La présence de Laurent Gbagbo à la CPI est non fondée et inadmissible, nous userons de tous les moyens de la France pour faire cesser cette situation.
Vous êtes en faveur d’une remise à plat des accords militaires avec les régimes anti-démocratiques et d’une nouvelle négociation sur l’établissement des bases françaises en Afrique. Comment mettrez-vous cette politique en relation avec la coopération dans la lutte contre le terrorisme ?
Les accords de défense et en particulier leurs clauses secrètes – qui ont pour objectif réel de contrôler les mouvements populaires et leurs luttes sociales – devront être dénoncés. La France ne peut plus accepter que ces bases militaires permanentes en Afrique soient un instrument au service du pillage des ressources naturelles par les grandes entreprises françaises, du financement des dictatures en place et du développement du clientélisme et de la corruption. Cependant, il appartient aux dirigeants africains de demander le départ de ces bases. Dans le cas où certaines d’entre elles seraient maintenues, elles serviraient en priorité à la formation d’une armée républicaine nationale et à des missions de génie militaire pour aider au développement en zones rurales défavorisées.
Quoi qu’il en soit, l’objectif est que ces bases disparaissent dans un long terme négocié. Djibouti est un cas particulier de base stratégique dont le rôle est d’être une plate-forme au service de la paix et de la sécurité des routes maritimes. Un rôle semblable pourrait être attribué à une base de l’Afrique de l’Ouest. L’armée française n’a pas dans ses missions d’aider à la progression de l’État de droit, qui est du ressort de la diplomatie.
La France mènera une action active dans les instances internationales pour appuyer les pays africains dans leurs revendications à ne plus connaître d’occupations militaires de puissances étrangères. Tous les accords militaires et de coopération militaire seront remis en cause et soumis au contrôle démocratique et aux décisions du Parlement. Nous chercherons des alliances et partenariats fondés sur des relations d’égalité et de respect mutuel bannissant les rapports de domination, pour la paix et pour les conditions d’une sécurité collective, par le désarmement et le règlement politique des conflits.
Nous contribuerons activement à la mise en œuvre au niveau de l’Onu du traité international sur le commerce des armes, l’élimination des trafics illicites, l’interdiction de production de toute arme apparentée aux mines antipersonnel. Dans un premier temps, la France instituera un contrôle parlementaire sur ses propres exportations d’armes dans le cadre de l’objectif de démilitarisation des rapports internationaux. Enfin, la coopération militaire ne pourra être envisagée qu’avec des démocraties, et non pour maintenir au pouvoir des dictateurs prédateurs.
La lutte contre le terrorisme sert souvent de prétexte pour cacher la défense des dictateurs et des intérêts économiques des multinationales françaises. L’intervention militaire qui peut éventuellement se justifier n’est que le dernier recours constatant que rien n’a été fait avant, en termes de développement économique, d’emploi, d’éducation et de culture. La lutte contre le terrorisme est essentiellement la lutte pour le développement, la démocratie, l’éducation…
Quels sont les facteurs qui freinent à votre avis le développement du continent, notamment au sud du Sahara ?
Cinquante-cinq ans après les décolonisations africaines, les espoirs de développement et de construction de sociétés démocratiques, souveraines, solidaires et égalitaires n’ont pas été réalisés. La responsabilité historique du capitalisme européen est engagée pour toutes les entraves qu’il a mises au développement de l’Afrique ; de l’esclavagisme, qui a déstructuré les sociétés africaines, jusqu’au colonialisme et aux politiques impérialistes, qui ont organisé le pillage des ressources et formaté l’activité économique de l’Afrique pour les seuls besoins des entreprises multinationales.
La domination idéologique du libéralisme et la domination des grandes puissances contre les pays du Sud ont engendré la marchandisation générale de toutes les activités humaines, y compris le corps lui-même, et de toutes les ressources de la planète.
Désormais, aucun pays ne peut échapper à la mondialisation néolibérale. Tout s’y vend. Les forêts primaires sont dévastées pour ouvrir des routes vers l’exploitation des mines ou pour offrir des meubles exotiques bon marché dans les jardins occidentaux. Les entreprises ont délocalisé en masse leurs productions en fonction du coût salarial le plus faible. Fuyant les mesures environnementales prises dans les pays du Nord, les entreprises choisissent de produire au sud au détriment de la santé des populations. Les marchés financiers ont pu organiser une fantastique économie de casino, avec les conséquences que l’on connaît jusqu’à la dernière crise financière. Le capitalisme financier transnational ne porte pas seulement en lui les germes de conséquences sociales effrayantes (explosion des inégalités de richesse, appauvrissement des États, tensions géopolitiques) ; il provoque également une crise écologique qui met aujourd’hui en péril l’avenir même de l’humanité.
En Afrique, ces politiques ont été imposées et soutenues par la Banque mondiale et le FMI à partir des années 1980 sous couvert d’« ajustement structurel ». Elles ont organisé la privatisation et le dépérissement des États, démantelé les barrières douanières, et confié l’exploitation des richesses aux multinationales étrangères. Elles ont ainsi privé les États de leurs instruments de souveraineté et de leurs possibilités de développer des politiques de développement endogène adaptées.
Ces politiques n’ont eu de cesse d’encourager l’active complicité d’une grande partie des « élites » dirigeantes, à la fois idéologiquement converties et financièrement corrompues.Nombre de gouvernements autoritaires et dictatoriaux ont ainsi bénéficié pendant très longtemps non seulement de la mansuétude, mais aussi du soutien actif des grandes puissances – au premier rang desquelles la France –, qui s’assuraient ainsi la stabilité de leurs intérêts économiques et géostratégiques, au détriment des peuples.
Le continent africain dispose pourtant d’innombrables richesses, naturelles et minérales, en plus de la jeunesse de sa population et de sa vitalité démographique, mais il n’est pas en mesure d’en tirer profit. Comme durant la période de colonisation, les ressources de l’Afrique continuent inexorablement d’être pillées par les multinationales étrangères. Après l’exploitation des richesses du sous-sol (minerais, gaz, pétrole) et le commerce des ressources naturelles (cultures, bois, etc.), ce sont désormais les meilleures terres agricoles qui font l’objet de tous les marchandages. L’accaparement des terres cultivables par des entreprises et États étrangers prive les paysans africains de leurs cultures. Le lobbying de Monsanto pour imposer ses semences génétiquement modifiées aux paysans se développe, mettant en péril la souveraineté alimentaire.
Et ce, alors même que le réchauffement climatique représente une menace particulièrement importante pour l’Afrique : le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) prévoit ainsi l’accroissement des températures, la diminution des précipitations, la poursuite de l’avancée du désert et donc la baisse de fertilité des sols et de biodiversité dans certaines régions. Voilà la cause principale du non-développement !