Le président Alassane Dramane Ouattara est un homme pressé. Fortement contrarié par la crise postélectorale et la guerre qui s’en est suivie, il veut relancer sur les chapeaux de roues l’économie, thème de prédilection de sa campagne électorale, afin de se donner une image de bâtisseur. Lorsque le nouveau chef de l’État annonce, en mai dernier, à l’occasion de son investiture officielle, le début imminent des travaux de construction d’un troisième pont à Abidjan pour désengorger le trafic dans la capitale économique, peu de gens y croient. Ils sont sans doute échaudés par les événements ayant entravé la mise en œuvre de ce projet datant de quinze ans.
Le doute s’est dissipé début septembre, à l’occasion de la cérémonie de lancement des travaux de cet ouvrage ; il symbolise le retour des grands travaux en Côte d’Ivoire, après une décennie pauvre en grandes réalisations infrastructurelles. Ce troisième pont tant attendu par les Ivoiriens, excédés par les longues files d’attente sur les deux existants reliant les parties sud et nord d’Abidjan, devrait rajouter au renom de la métropole, l’une des plus importantes en Afrique de l’Ouest. Sur 2,7 km, il traverse le quartier résidentiel de Cocody avant de traverser la lagune Ebrié sur environ 1 600 m pour aboutir, 2 km plus loin, sur le boulevard Giscard-d’Estaing (sud) conduisant vers l’aéroport d’Abidjan et la ville touristique de Grand-Bassam. Il aura un échangeur de trois niveaux décrit par Alassane Ouattara comme « le seul de ce genre en Afrique de l’Ouest ». L’ensemble du parcours correspond à 6,7 km, et doit être réalisé en deux ans. Coût des travaux : 190 millions d’euros.
La grande nouveauté, pour les Ivoiriens, c’est qu’il s’agira d’un pont à péage dont la traversée exigera de débourser 700 francs CFA (environ 1,10 euro). Selon les techniciens de ce chantier confié à une filiale du français Bouygues, le pont Riviera-Marcory réglera plusieurs problèmes. D’abord, le désengorgement du trafic des quartiers nord d’Abidjan vers le quartier administratif et des affaires du Plateau, et plus spécifiquement du nord-est (Cocody-les-Deux-Plateaux, Riviera-Palmeraie jusqu’à Bingerville) et vers les quartiers sud et l’aéroport. Ensuite, l’allégement du trafic sur les ponts Félix-Houphouët-Boigny et Général-de-Gaulle, ce qui laissera plus de possibilités pour entamer les travaux de réhabilitation de ces deux ouvrages affectés par le temps. On se souvient de l’accident dramatique, début août, qui a vu un bus de la Société des transports abidjanais franchir les barrières de sécurité du pont Houphouët-Boigny avant de déverser tous ses passagers dans la lagune. Tout d’un coup, on a eu la preuve que les travaux de rénovation de ce pont s’avéraient urgents si l’on voulait éviter d’autres drames.
Enfin, la nouvelle construction devrait aider à réduire la pollution de l’air de plus en plus importante en raison d’un trafic automobile intense et des embouteillages fréquents. Last but not least, Olivier Bonin, président de la Société concessionnaire du pont Riviera-Marcory (Socoprim), a annoncé que l’ouvrage générerait un millier d’emplois au total.
La charge symbolique de cet ouvrage est forte. En baptisant le pont du nom de l’ancien président Henri-Konan Bédié, Ouattara a rempli de joie les partisans de ce dernier avec qui il avait fait alliance pour le second tour de la présidentielle de novembre dernier. Ouattara multiplie les gestes de bonne volonté envers Konan Bédié qui a été, des années durant, son pire ennemi. Initiateur du pont du temps où il occupait le palais présidentiel, Bédié n’avait pu conduire le projet à son terme, ayant été emporté en décembre 1999 par un coup d’État.
Le pont exprime aussi le retour des grands chantiers et l’implication des bailleurs de fonds internationaux dans son financement un gage de confiance envers la Côte d’Ivoire post-Gbagbo. « Il symbolise la confiance retrouvée dans notre pays. C’est un signal fort de relance de notre économie et un facteur d’accélération de la croissance. C’est aussi une illustration parfaite d’un partenariat public-privé qui permettra de créer des emplois », s’est réjoui Ouattara.
La relance économique est en effet le credo du chef de l’État qui prévoit une série d’autres grands ouvrages pour doter le pays des infrastructures de développement dont il a besoin. Au programme figurent entre autres, la réalisation de l’autoroute devant relier Abidjan à la ville côtière et touristique de Grand-Bassam, le pont de Jacqueville, le pont sur la Marahoué.
Ce dernier est très attendu par les populations des régions du Centre, de l’Ouest et du Nord-Ouest. Le pont actuel sur le fleuve Marahoué, qui a quelque cinquante ans, sera remplacé par un pont en béton précontraint de 124 m de long et composé de 4 travées de 31 m chacune. L’importance économique et sociale de cet ouvrage est connue. Il est, en effet, situé sur l'axe principal Abidjan-Bouaflé-Daloa-Man-Odienne qui permet de relier une grande partie de la zone ouest à Abidjan. Cette route constitue le deuxième axe le plus important du pays. Le nombre élevé d’accidents qu'occasionne chaque année l’actuel pont, constitué d’une seule voie, nécessitait son remplacement par un ouvrage à deux voies, font savoir les techniciens.
Quant au pont de Jacqueville, il devrait désenclaver cette partie du pays (ouest d’Abidjan) à laquelle on ne pouvait accéder jusque-là que par de vieux bacs automoteurs souvent défectueux.
La zone de Jacqueville représente une zone agricole célèbre pour sa production de noix de coco et de palmiers à huile. En outre, le fond marin de cette région offre de grandes perspectives de gisements de pétrole et de gaz natureloffshore. L’ouvrage devrait faciliter la création d’unités touristiques et industrielles dans cette localité qui ne manque pas d’attraits.
Un coup d’accélérateur a été donné à ces deux projets, avec la signature, le 7 juillet dernier, par le président de la Banque ouest-africaine de développement (Boad) de deux accords de prêt d’un montant cumulé de 10 milliards de francs CFA.
L’autoroute Abidjan-Grand-Bassam s’inscrit, quant à elle, dans le projet de route transafricaine Dakar-Abidjan-Lagos. En décidant de réactiver ce projet, Ouattara marque aussi son intérêt pour l’intégration sous-régionale et sa volonté de renforcer l’axe Côte d’Ivoire-Nigeria dont il entend faire la locomotive de l’Afrique de l’Ouest. Soixante milliards de francs CFA seront nécessaires pour construire ce tronçon long de 23 km.
À ces projets structurants s’ajouteront les chantiers de voirie urbaine à Abidjan et dans d’autres villes de l’intérieur. Même si les critiques ne manquent pas – les détracteurs de Ouattara estiment qu’il ne fait que reprendre les projets de ses prédécesseurs –, les Ivoiriens sont nombreux à voir dans ces grands travaux les signes d’un renouveau économique dont le pays a tant besoin pour créer des emplois et reprendre une croissance perturbée par des années de crises sociopolitiques à répétition. La Côte d’Ivoire des grands chantiers semble bien de retour.