Négociée par les trois grands partis régionaux, la décolonisation s’effectue sans heurt, sur le mode fédéraliste. La concorde ne tiendra pas longtemps : six ans après, l’assassinat du premier ministre ouvre une longue période de coups d’État.
C’est l’émergence d’une élite africaine éduquée, d’abord localisée à Lagos, la grande ville du Sud, qui est à l’origine du mouvement nationaliste nigérian, fortement imprégné par les idées panafricanistes. L’influence de la colonisation anglaise, commencée au milieu du xixe siècle et conclue en 1914 par l’Indirect Rule, l’administration indirecte, est toute relative. D’où le fait que les Nigérians la considèrent aujourd’hui comme une simple parenthèse, et le contraste qu’offre le pays par rapport au pré carré français pourtant frontalier. Dans le sud, le nombre de colons n’a jamais excédé 5 000, soit 10 000 fois moins que la population noire. En 1945, il y a 1 600 fonctionnaires britanniques et 20 millions d’habitants.
Unions tribales
La réaction à la colonisation prend naissance dans les années 1920 chez des non-Nigérians : un Antillais, Edward Blyden, un Libérien, Jackson, qui publie un hebdomadaire, le Lagos Weekly Record, et surtout Herbert Macaulay, issu d’une famille d’esclaves affranchis rapatriée en Sierra Leone, et dont le portrait orne toujours les pièces de 1 naira, la monnaie locale. Il est le fondateur du National Democratic Party qui va faire route vers l’indépendance en même temps que le National Congress of British West Africa, un mouvement créé à Accra (futur Ghana) et qui s’inspire des écrits de W. E. B. DuBois, de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) aux États-Unis, mêlés à ceux de l’association adverse, celle de Marcus Garvey. Les étudiants sont le fer de lance de ces différents mouvements.
Au fil du temps, d’autres tendances vont apparaître, finalement résorbées dans ce que l’on a appelé les « Big Three », les trois grands partis régionaux qui conduiront le pays à l’indépendance. Il s’agit du National Council of Nigeria and the Cameroons (NCNC), dont le président est Macaulay, surtout composé d’Ibo (originaires du sud-est du pays, mais dispersé sur toute l’étendue du territoire) ; du Northern People’s Congress (NPC) qui va compter dans ses rangs Ahmadu Bello, futur premier ministre de la région Nord, et Abubakar Tafawa Balewa, qui sera le premier premier ministre de la République nigériane, tandis que Nnamdi Azikiwe en sera le premier président. Enfin, il y a l’Action Group d’Obafemi Awolowo, qui rassemble les gens du sud-ouest.
L’indépendance a été obtenue par la négociation, non par la lutte armée. Les unions tribales, très présentes dans le sud-est et la Middle Belt, ont joué le rôle de pont entre le monde traditionnel des campagnes et le monde moderne urbain. Des spécialistes comme Marc-Antoine Pérouse de Montclos estiment qu’elles ont davantage contribué à la construction de l’État du Nigeria que les partis nationalistes eux-mêmes. En renforçant les identités régionales, elles ont été les précurseurs du fédéralisme. Elles ont canalisé, organisé et modéré parfois les revendications des populations. Leurs dirigeants, souvent formés dans les écoles des missions, ont composé une élite apte à maintenir de bonnes relations avec les Britanniques. Organismes d’entraide et d’accueil des migrants ruraux dans les villes, elles ont aussi beaucoup contribué, grâce aux cotisations de leurs membres urbains, à l’amélioration des campagnes : routes, écoles, dispensaires, octroi de bourses d’études, etc.
Dans le nord, les unions tribales n’existent pas, en dehors de celles constituées par les migrants, les Ibo notamment. Les émirs, cependant, font preuve d’une forte volonté d’autonomie et, même si leurs actions les conduisent à s’ériger plutôt en « maharadjahs indépendants » qu’en artisans de la liberté nationale, leurs aspirations rejoignent celles des partis nationalistes et des groupements ethniques.
L’indépendance est acquise le 1er octobre 1960. Le Nigeria adopte sa première Constitution, de forme parlementaire, et s’engage dans l’économie de marché. Hélas ! le régionalisme et les déchirements politiques auront rapidement raison de la Ière République, qui s’achèvera par l’assassinat de Tafawa Balewa en janvier 1966 et la prise de pouvoir par le général Johnson Aguiyi-Ironsi, lui-même tué dans un coup d’État, en juillet 1966, du lieutenant-colonel Yakubu Gowon. L’année suivante, les trois États du sud-est font sécession, c’est le début de la guerre du Biafra.