Nouvelle Constitution, nouvelle République, nouveau départ ? C’est ce qu’espèrent les dirigeants. Le peuple, lui, reste sceptique.
Vingt-et-une salves ont salué, le 27 août 2010, l’avènement de la IIe République au Kenya. Ce jour-là, le président Mwai Kibaki a promulgué la nouvelle Constitution, après qu’elle a été approuvée par 67 % des votants au référendum de juillet dernier. Pour obtenir ce résultat, il aura fallu près de vingt ans de débats et presque autant de crises politiques, dont la dernière, déclenchée en 2007 après la réélection contestée de Kibaki, alors président sortant, s’est traduite par une explosion de violences à caractère ethnique, 1 000 morts et plus de 300000 déplacés.
Promesse tenue
C’est un tournant dans la vie du pays, remarqué par la presse du monde entier. Tous les chefs d’État de la sous-région étaient présents aux cérémonies, y compris le président soudanais, Omar al-Bachir, toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international, ce qui n’a pas manqué de faire couler beaucoup d’encre. Barack Obama, le plus célèbre enfant du pays, l’a personnellement regretté dans son message de félicitations pourtant dithyrambique. Il y a mentionné malgré tout qu’il s’agissait d’« un pas majeur en avant », traduisant « la détermination des dirigeants et du peuple kényans à instaurer un avenir d'unité, de démocratie et d'égalité pour tous devant la justice – y compris les puissants ». Et de promettre un avenir radieux : « Les États-Unis sont impatients d'œuvrer avec le Kenya en partenaire. » Sur le plan national, les promoteurs du « oui » au référendum, comme le ministre de l’Énergie Kiraitu Murungi, étaient tout aussi satisfaits : « C’est une nouvelle naissance pour le Kenya », a-t-il déclaré.
Qu’apporte cette nouvelle Loi fondamentale ? Elle maintient le système présidentiel mais amoindrit les pouvoirs, jusqu’alors régaliens, du président. Il ne va plus pouvoir distribuer privilèges et prébendes à volonté, ni former des cabinets multiples composés de parlementaires entièrement dépendants de son autorité. La Constitution introduit la notion américaine de « checks and balances », concrétisée par la création d’un Sénat en plus de l’Assemblée nationale et d’une Commission judiciaire indépendante. Dès lors, aucun des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, ne peut prendre le pas sur les autres, chacun ayant la possibilité, à divers titres, d’exercer son contrôle et de pratiquer un éventuel rééquilibrage soit par un veto, soit par une décision de limogeage, par exemple d’un juge ou d’un président qui n’aurait pas correctement rempli sa mission.
Le volet décentralisation permet de donner plus d’autonomie administrative aux régions, non plus à des gouvernements provinciaux tout-puissants mais à un maillage serré d’entités régionales. La Charte des droits des citoyens garantit l’égalité de tous devant la loi et une Commission foncière est chargée de régler les différends sur les terres et les questions de spoliations. Elle aura notamment à résoudre le cas du millier de familles kikuyu obligées de fuir en 2007 et qui vivent toujours sous des tentes près de la ville de Nakuru, dans la vallée du Rift.
Une fois l’émotion retombée, c’est aux Kényans que revient le dernier mot et ils ne partagent pas tous l’optimisme des dirigeants. Beaucoup affirment que le pays n’avait pas vraiment besoin de nouvelles lois et réglementations ni de nouveaux représentants, mais davantage de justice sociale. Surtout, il a besoin de voir affirmer et promouvoir le respect mutuel de la part des différentes communautés culturelles qui composent le paysage humain. Les problèmes sont nombreux et les solutions ne sont encore que sur le papier.