Du 12 au 14 octobre, se tiendra à Kinshasa le 14e sommet de la Francophonie. Une initiative contestée alors que l’insécurité persiste dans l’Est et que le président Kabila, toujours soupçonné d’avoir été mal élu en 2011, déçoit ses concitoyens. Mais pour le cercle présidentiel, la présence du chef de l’État français au sommet vaut au contraire reconnaissance internationale…
François Hollande aura du mal à persuader les Congolais que la politique africaine de la France se distingue de celle de son prédécesseur, après sa décision, annoncée le 27 août, d’assister au sommet de la Francophonie à Kinshasa, au grand dam de l’opposition et de la société civile du pays d’accueil. En revanche, c’est le soulagement pour le président Joseph Kabila, dix mois après le boycott de sa cérémonie d’investiture, le 20 décembre 2011 par les chefs d’État d’Afrique et d’ailleurs, excepté le Zimbabwéen Robert Mugabe. En cause : la fraude aux élections présidentielle et législatives de novembre 2011. Cet adoubement international, via la Francophonie, vient en outre à point nommé pour rehausser le prestige du chef de l’État congolais, écorné par l’incapacité des 100 000 hommes des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), à contenir au Kivu les 400 à 600 rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) qui, selon l’Onu, bénéficient de l’appui de militaires rwandais. L’absence de formation de la plupart des officiers des FARDC qui n’ont jamais suivi de cours d’académie militaire n’a pas arrangé les choses. Pis : malgré l’appel à des sanctions contre Kigali, lancé fin août à l’Onu par le ministre des Affaires étrangères, Raymond Tshibanda, Kabila est accusé par l’opposition congolaise de « complicité » avec son homologue rwandais, Paul Kagame.
Une vidéo circulant sur le net, qui montre Kabila en train de sourire à Kagame durant un sommet régional à Kampala, le 7 août, a entretenu ces soupçons. Encore renforcés après l’annonce par l’Onu à Kigali, le 31 août, du retrait du Kivu de deux compagnies de forces spéciales rwandaises qui combattaient les rebelles hutus des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), aux côtés des FARDC. Le problème, c’est que cette présence, qui a perduré malgré les accusations de l’Onu contre Kigali, était ignorée de l’opinion congolaise. Y compris du ministre de l’Information Lambert Mendé, selon qui la présence de soldats rwandais au Kivu n’était plus autorisée depuis la fin de l’opération conjointe anti-FDLR « Umoja Wetu » clôturée le 25 février.
Le démenti du ministre congolais de la Défense, Alexandre Luba Ntambo, affirmant ensuite que ces troupes rwandaises avaient été envoyées au Kivu en mars 2011, a nourri la confusion et la conviction chez beaucoup de Congolais que l’État leur cachait des choses. Du coup, l’opposition surfe sur le vague : le 4 septembre dernier, vingt partis ont appelé dans une pétition à la mise en accusation de Kabila pour « haute trahison ». L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi, qui s’est autoproclamé vainqueur de la présidentielle, a même qualifié le chef de l’État de « collabo numéro un ». Ambiance…
L’attitude de la hiérarchie militaire nourrit ces suspicions de trahison. Selon le responsable d’une agence onusienne, elle accapare les fonds destinés à l’équipement des militaires. Des cas de surfacturation de fournitures, notamment de carburant, sont signalés. Les soldes ne parviennent pas régulièrement aux destinataires engendrant, du coup, plusieurs centaines de désertions depuis le début de l’offensive du M23, en avril. Certains déserteurs ont rejoint le M23 et d’autres errent dans le parc national des Virunga, abattant du gibier pour se nourrir. Résultat : la débandade des FARDC, combinée au repli sur Goma des 18 000 Casques bleus de l’Onu qui ne veulent pas combattre les rebelles, a eu pour effet de faciliter la prolifération des autres milices (Mai Mai et FDLR) à l’intérieur du parc.
Cette situation pourrait perdurer. Kinshasa ne veut rien négocier avec le M23 qui campe sur un carré de 1 000 km2 adossé aux frontières rwandaise et ougandaise. Mais les FARDC sont incapables de reconquérir le terrain perdu. Les 7 et 8 septembre, une réunion ministérielle régionale des pays de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs s’est tenue à Kampala, confirmant l’option, prise en août par les chefs d’État, du déploiement d’une force internationale neutre de 4 000 hommes pour combattre les rebelles. Une force « neutre » parce qu’en seraient exclues les troupes des trois pays immédiatement concernés (RDC, Rwanda et Ouganda). En conséquence, l’Angola, la Tanzanie, le Congo et le Kenya ont été invités à faire des propositions à l’Union africaine. Mais, à ce jour, on ne sait pas qui va financer cette force ni quelle sera sa composition. De plus, elle ne sera opérationnelle au plus tôt qu’en décembre !
L’ampleur de la tragédie du Kivu avec, pour conséquence, le déplacement de 500 000 personnes, présente un autre inconvénient majeur. Elle occulte la dégradation de la situation et de l’image du président dans le reste du pays. Au Kasaï-Occidental, le chef d’état-major de la 4e Région militaire, le colonel John Tshibangu, a lancé une bombe politique en annonçant, le 16 août, sa démission et la formation d’un Mouvement pour la vérité des urnes, aussitôt salué comme « le commencement de la fin du régime illégitime de Kabila » par un ténor de l’UDPS. Prend-il ses désirs pour des réalités ? En tout cas, le pouvoir a peur et ne veut pas que la nouvelle s’ébruite, ordonnant l’arrestation des journalistes des radios locales qui avaient divulgué la nouvelle.
Au même moment, fin août au Maniema, un autre officier, le colonel Mandro Mazelo, faisait défection, prenant en otage onze fonctionnaires pour obtenir sa promotion au grade de général. Les nouvelles de la Province-Orientale sont également inquiétantes. À Aru, au bord du lac Albert, les autorités locales déplorent l’absence des FARDC dans la zone depuis le début de l’année, tandis que le groupe Mai Mai de Morgan terrorise les environs de la réserve d’Epulu, s’étant signalé par le massacre de quinze okapis.
Même au Katanga où l’on a le plus voté pour Kabila lors des élections, la popularité du chef de l’État s’effrite. En cause : la revendication non satisfaite du transfert de compétences, pourtant inscrit dans la Constitution de 2006, autorisant la Province à percevoir 40 % des impôts et taxes. Et le président provincial, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, leader de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec), vient de mettre une pression maximale en annonçant son intention de rassembler 100 000 signatures pour amender la Constitution afin de la rendre encore plus fédérale d’ici à 2016, date de la prochaine élection présidentielle. En outre, l’intention prêtée à Kabila de faire nommer son frère, Zoé, au poste de gouverneur de la province la plus riche du pays fait grincer des dents chez les supporters du populaire titulaire du poste, Moïse Katumbi.
Pour couronner le tout, le sommet de la Francophonie coïncide avec l’élection de nouveaux gouverneurs en Province-Orientale et au Bas-Congo. Une épreuve qui ne s’annonce pas de tout repos. En 2007, la corruption de certains élus inversant le résultat avait suscité un cycle révolte-répression qui avait causé plus de 150 morts au Bas-Congo.
Autant dire que c’est dans une atmosphère lourde que doit s’ouvrir ce sommet, le 12 octobre prochain. L’UDPS le qualifie déjà de « geste hostile au peuple congolais ». Le cardinal Laurent Monsengwo s’est prononcé contre la visite de Hollande, car elle légitimerait Kabila. Et les ONG de défense des droits de l’homme reprochent au président français de donner un mauvais signal en venant dans un pays où la police a assassiné le plus connu des défenseurs des droits de l’homme, Floribert Chebeya, où les services de renseignements ont enlevé, en juin dernier, le député Eugène Diomi – dont on se demande s’il a subi le même sort que Chebaya –, et où son collègue Dieudonné Bakungu Mithondeke est incarcéré. Sans que leur immunité parlementaire n’ait été levée.
Histoire d’intimider les frondeurs, le pouvoir a fait arrêter le 7 septembre, à la sortie d’une messe matinale dans le quartier de Mikondo, à Kinshasa, trois militants de l’UDPS, Omer Tshituka, Clément Kalenga et Arthur Tshibangu, embastillés depuis dans le cachot « maison blanche » de la Force aérienne, à l’aéroport de N’Djili. Ce ne sont pas ces abus ni la révélation, par la presse locale, que Kabila va mettre à disposition des invités du sommet 5 000 véhicules Jaguar et Lexus qui vont calmer la colère des Kinois, dans un pays qui figure tout en bas du classement mondial des indicateurs de développement ! Surtout, les Kinois redoutent un chaos logistique, avec des embouteillages à n’en plus finir.
Dans ces conditions, il n’est guère étonnant qu’une série d’ONG (Association des chrétiens pour l’abolition de la torture, Survie, International Crisis Group) ait déconseillé au président français et à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) de maintenir la tenue du sommet à Kinshasa. Après tout, fait-on remarquer dans ces milieux, le sommet de 2010, qui devait se dérouler à Madagascar, a bien été délocalisé en Suisse pour cause de coup d’État. Mais il faut croire que ce qui vaut pour Andry Rajoelina ne vaut pas pour Kabila. Du coup, excédée, une ONG de la diaspora congolaise, Convergence pour l’émergence du Congo, a assigné en août, devant le tribunal de grande instance de Paris, Abdou Diouf, le secrétaire général de l’OIF. Elle l’accuse d’avoir violé la déclaration de Bamako du 3 novembre 2000 qui exhorte les États membres à s’assurer du caractère crédible des élections ainsi que du respect de la démocratie et des droits de l’homme.
Paris n’a eu cure de ces arguments. Au contraire : de retour de son entretien avec Joseph Kabila, le 28 juillet 2012 à Kinshasa, la ministre de la Francophonie, Yamina Benguigui, a finalement recommandé à François Hollande d’aller en RDC. Dans une interview au quotidien parisien La Croix, elle prétend que la majorité de ses interlocuteurs congolais s’y sont déclarés favorables. En outre, selon la ministre, Joseph Kabila a tenu compte de la demande française de prendre des mesures significatives en faveur des droits de l’homme, de réformer la Commission nationale indépendante électorale (Ceni) et de créer une Commission nationale des droits de l’homme. Cette bonne volonté, ajoute Yamina Benguigui, a été suivie le 22 août de l’engagement par le président de l’Assemblée nationale de faire voter ces réformes par le Parlement.
Autre argument en faveur de la venue de François Hollande : les présidents africains francophones s’étaient engagés, avant même son élection, à se rendre à Kinshasa. Du coup, le chef de l’État français ne pouvait pas les désavouer. Son absence aurait été perçue comme « un affront » pour « nos amis africains » (sic). « Ce sommet n’est pas un sommet bilatéral entre la France et le Congo. »
On peut aussi penser que Paris n’a pas voulu prendre le risque d’« excommunier » des rangs de la famille francophone le pays le plus peuplé du club. De surcroît, en août dernier, le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, est venu mettre dans la balance le poids de la Belgique, à la fois ancienne puissance coloniale et membre comme la France de l’Union européenne. Il a affiché depuis le Congo son soutien déterminé à la tenue du sommet à Kinshasa. Du coup, le président « normal », comme s’est qualifié Hollande durant la campagne, a estimé n’avoir pas d’autre choix que de cautionner par sa présence le grand retour à la « normale » de Kinshasa sur la scène diplomatique.