Jazz : Au lendemain de la Première Guerre mondiale. Des musiciens, danseurs, écrivains, souvent originaires de Harlem, traversèrent l’Atlantique pour se rendre à Paris, capitale artistique synonyme pour eux de liberté. Ils s’implantèrent dans le quartier Montmartre. Tel est le prélude d’un documentaire qui retrace l’épopée du jazz dans un Paname encore vibrant (1).
Parmi les figures au destin mêlé croisées dans ce documentaire (2), les jazzmen Sidney Bechet et Coleman Hawkins, Ada Bricktop Smith, propriétaire du mythique cabaret « Chez Bricktop », et la chanteuse et danseuse Joséphine Baker, personnage central de cette fascinante épopée d’entre-deux-guerres. Elle raconta avoir été grisée par l’accueil chaleureux que Paris lui réserva et par la découverte que sa peau noire n’y était pas un problème mais un atout. Autre acteur de cette vibrante communauté d’expatriés, Eugene Bullard, propriétaire du night-club « Le Grand duc », à Montmartre. Il avait pour sa part quitté les États-Unis avant la guerre, en embarquant clandestinement dans un navire. À Paris, s’opéra pour lui un « miracle » : « J’étais libre d’être un être humain ». En adoration pour la France, il s’engagea dans la légion étrangère française lorsque la première guerre mondiale éclata. Sous l’occupation allemande, il travailla pour le contre-espionnage, tout comme Joséphine Baker.
Harlem à Montmartredresse une série de portraits croisés. Affleurent le souffle et l’allégresse qui animèrent Montmartre et sa vibrante vie nocturne. Jazz, biguine, rumba cubaine, tango argentin y cohabitaient. Des personnes nanties venaient s’y encanailler. Et la violence était parfois de mise, des tensions débordant des clubs dans la rue. L’effervescence que connut alors Montmartre entra en résonance avec la « Harlem Renaissance » (3). Le documentaire mêle images d’archives (films muets et parlants, photographies) et témoignages d’universitaires, chercheurs et musiciens. Il est ponctué de jam sessions où des jazzmen d’aujourd’hui, vêtus de tenues des années 1920, interprètent des standards ; scènes conçues sur un mode idéalisé surfait. C’est sans doute l’élément le moins convaincant du documentaire.
Harlem à Montmartrevient éclairer l’irruption du jazz dans le Paris d’entre-deux-guerres. Musique qui traversa l’Atlantique avec le corps expéditionnaire américain et les orchestres militaires. On croise ainsi James Reese Europe, musicien qui dirigea le Harlem Hellfighters, orchestre de l’armée américaine (4) arrivé en France en juin 1918. Le Harlem Hellfighters contribua à populariser le ragtime, l’un des styles précurseurs du jazz. Dans le documentaire, on voit le jazz se faire objet de fascination et d’inspiration. Il participa des expérimentations artistiques de l'avant-garde culturelle française (5). Harlem à Montmartre sonde les liens tissés avec le jazz français. Et décline les obstacles auxquels furent confrontés les artistes noir-américains : en 1923, une loi instaurant des quotas pour les musiciens étrangers (6) ; la crise financière de 1929, succédant aux « années folles », frappant de plein fouet les clubs de Montmartre ; l’occupation allemande qui n’épargna pas cette communauté d’expatriés – mus par une haine pour les cultures noires, les nazis interdirent le jazz, qui apprit à se cacher et devint underground.
Le documentaire révèle avec justesse quelques contradictions françaises. Alors que Joséphine Baker connaît la gloire, a lieu à Paris l’exposition coloniale (1931), où l’on découvre l’horreur du mépris français pour les peuples colonisés. En même temps qu’elle critique le racisme en vigueur aux États-Unis, la France ferme les yeux sur ce qui se passe dans ses colonies, où était pourtant perpétré un violent traitement discriminatoire racial. Lorsque Joséphine Baker soigna son style, voulant se défaire des clichés exotiques projetés sur elle, une partie de son public regretta le départ de « Little Negresse », remplacée par une Parisienne sophistiquée.
(1) Harlem à Montmartre, une histoire du jazz à Paris[Harlem in Montmartre, A Paris Jazz Story]. 2009, 82 min. Réalisation Dante J. James. Réalisation des jam sessions : Olivier Simonnet. Coproduction : Thirteen, Vanguard Documentaries, Idéale Audience, Arte France, ITVS, SF.
(2) Prix du meilleur documentaire lors de la 7e édition du Festival international du film panafricain à Cannes. Inspiré du livre éponyme de l’anthropologue africain-américain William A. ShackHarlem In Montmartre : A Paris Jazz Story Between The Great Wars, University of California Press, 2001, 212 p.
(3) À la fin des années 1920, une effervescence artistique – littéraire, musicale, picturale – similaire s’empara de Harlem.
(4) Orchestre rattaché au 369e régiment d'infanterie, qui se battait sous commandement français.
(5) Jean Cocteau rêva ainsi de créer une littérature qui serait du jazz.
(6) 10 % maximum par formation.