Aujourd’hui, 40 000 activistes étrangers (dont 128 Français) sont engagés en Syrie dans des groupes djihadistes – plus ou moins alliés – à l’Armée syrienne libre (ASL) qui combat depuis deux ans les unités du gouvernement de Damas. Selon les sources militaires les plus fiables, quatre principaux segments alimentent ce contingent « internationaliste » : les organisations sunnites radicales irakiennes, aussi engagées contre le gouvernement de Bagdad et la population chiite, financée en sous-main par l’Arabie Saoudite ; une filière britannique ayant réactivé les structures dormantes du « Londonistan », qui furent particulièrement actives en direction des foyers afghans, bosniaques et tchétchènes ; une filière libyenne puisant dans les nébuleuses djihadistes maghrébines et sahéliennes ; enfin un « axe libanais » s’appuyant principalement sur le port et la région de Tripoli, ainsi que sur plusieurs localités de la Bekaa.
De même, plusieurs services européens de renseignement craignent l’installation durable d’un foyer d’Al-Qaïda en Syrie et au Liban. Celui-ci s’appuie d’ores et déjà sur trois sanctuaires secondaires : les régions pachtounes afghano-pakistanaises ; la Corne de l’Afrique, et plus précisément les régions somaliennes contrôlées par les shebabs ; les camps du Sud libyen installés entre Gât et Sabbah.
Le cheikh Naïm Qassem, numéro deux du Hezbollah, nous explique : « La même analyse et la même crainte ont, dernièrement, poussé le Hezbollah à s’engager sans réserve dans la bataille de Qousseir, parce que nous étions en train d’assister à la formation d’une base arrière takfiri(1) à Tripoli et dans différents villages de la plaine de la Bekaa. Cette évolution étant cautionnée par plusieurs formations politiques libanaises – dont les Forces libanaises de Samir Geagea et d’autres représentants du courant du 14 mars ayant reçu la bénédiction de Saad Hariri –, notre implication a poursuivi un triple objectif de légitime défense : la préservation de nos capacités militaires qui avaient déjà été l’objet de plusieurs attaques sur le sol libanais ; la protection de l’intégrité nationale libanaise dont l’espace aérien et les eaux territoriales sont quotidiennement violés, tant par les groupes takfiri que par des avions et des corvettes de l’armée israélienne ; enfin, la consolidation de l’unité de la résistance contre les incursions israéliennes soutenues par la logistique américaine. Dans le contexte de cette guerre qui, depuis un an environ, a pris une dimension régionale et internationale, nous n’avions plus le choix de l’attentisme et de la passivité. Notre réaction était une condition de survie, de dignité et de justice. »
Dans tous les cas de figure, la reprise de Qousseir par l’armée syrienne revêt une dimension stratégique vitale. Faisant partie du gouvernorat de Homs, au centre de la Syrie, et, à une quinzaine de kilomètres de la frontière libanaise (région de Tripoli et de la Bekaa), cette agglomération majoritairement sunnite de 30 000 habitants (dont une minorité chrétienne et chiite) commande, au sud, la voie d’accès vers Damas et celle qui permet d’atteindre les villes centrales de la Syrie et Alep au Nord. C’est dans les faubourgs de cette ville, la deuxième du pays (7 millions d’habitants), qu’a déjà commencée la nouvelle grande vague de manœuvres militaires qui sera l’affaire stratégique de l’été.
Plusieurs unités blindées dont les 8e, 9e et 11e divisions, de même que les forces spéciales de la Garde républicaine et d’autres unités d’élite sont déployées sur un arc de cercle qui entoure la moitié sud de l’agglomération, appuyée par un imposant dispositif d’artillerie lourde et de moyens aéroportés. L’hypothèse « onusienne » d’une future zone d’exclusion aérienne n’y est plus d’actualité, car plusieurs batteries russes de S-300/PMU-2 ont déjà été livrées aux forces gouvernementales. Ces systèmes mobiles multicanaux de missiles sol-air rendent désormais improbables de nouveaux raids aériens, y compris de la chasse israélienne. Parallèlement, l’armée syrienne poursuit un nettoyage intensif du grand Damas, dans les régions périphériques de Douma (sud-ouest) et de Jaramana (nord-est), ainsi que, plus au sud, la région de Deraa, à la frontière avec la Jordanie.
« Cette guerre peut durer quinze ans…, explique un officier général français. Fort des soutiens logistiques russe et iranien, ainsi que de la poursuite de l’engagement militaire des unités les plus aguerries du Hezbollah, il ne peut y avoir de solution militaire à cette guerre qui risque d’embraser toute la région. Elle cristallise désormais une confrontation sunnite-chiite risquant, à terme, d’atteindre aussi les monarchies pétrolières. Préparant activement Genève II avec Moscou, Washington l’a parfaitement compris en négociant plus ou moins directement avec Téhéran et le Hezbollah. »
Dans ce contexte, le chef du BND (services extérieurs allemands) s’est rendu à Damas en juin dernier. Il y a rencontré le général Ali Mamlouk, qui dirige les services syriens, « pour ouvrir un canal, sinon l’amorce d’une négociation parallèle avec le général Salim Idris, le chef d’état-major de l’ASL », précisent deux attachés de défense en poste à Beyrouth. La diplomatie allemande a également multiplié ses démarches auprès des autorités politiques et militaires iraniennes. Dans plusieurs capitales de la région, on assure que le secrétaire d’État américain John Kerry supervise et coordonne ces différentes initiatives pour « prendre de vitesse la dynamique de la bataille d’Alep dont l’issue conditionnera durablement les nouveaux équilibres stratégiques de l’ensemble du Proche-Orient »…
(1) Takfiri : islamistes radicaux. Le terme takfiri signifie littéralement « excommunication ». Les Takfiri considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats et donc des cibles légitimes de leurs attaques.