« Qu’est-ce qui a fait que ce pays, le Mali, que l’on disait démocratique, a connu un tel enrôlement de jeunes dans le combat armé, le djihad ? », se demande Rony Brauman, ancien président des Médecins sans frontières, dans une interview à la revue Politis (1). « On trouve des explications dans l’appauvrissement de la population, la corruption, l’autoritarisme et la prise de pouvoir de militaires qui, après un coup d’État, ont une très faible légitimité dans le pays », affirme-t-il. En rappelant les exemples d’interventions militaires antérieures qui n’ont pas, loin s’en faut, atteint les buts recherchés – la déroute de l’armée ou des mouvements ennemis, tels l’Otan en Afghanistan, ou l’intervention française au Rwanda en 1990 (contre l’avancée du FPR) –, Brauman souligne combien, dans ces conditions, le redressement politique et économique promis peut être un leurre.
« La question touarègue, celles de la gouvernance en général et de l’effondrement de l’État sont des problèmes éminemment politiques que les Mirage et les Rafale sont impuissants à traiter. L’illusion du traitement par les armes de la question que l’on appelle, à tort ou à raison, “terroriste” dans son ensemble reste très vivace. C’est cela qu’il faut combattre. Cela ne veut pas dire que les armes ne servent à rien, mais on leur prête ici de nouveau des vertus qu’elles n’ont démontrées nulle part ailleurs. Si l’objectif principal – arrêter la marche vers Bamako – a été atteint, la logique serait de s’arrêter là et de commencer à favoriser des pourparlers. »
Roland Marchal, chargé de recherches au CNRS, donne sa définition de la nature exacte du conflit dans une interview au journal français Les Échos (2) : « C’est une situation que l’on a vu venir, que la crise libyenne de 2011 n’a fait qu’accélérer, a-t-il déclaré. À partir de 2007, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a montré le visage d’une organisation disposant d’une forte expérience militaire, résultat de la guerre civile en Algérie, doublée de moyens économiques substantiels. Or l’Occident a très vite réduit sa vision de ce groupe à des bandes qui protégeaient des trafics et étaient intéressées principalement par le gain sans voir leur agenda politique. »
Le chercheur français considère qu’on n’a pas sérieusement essayé de comprendre « pourquoi et comment » ces groupes, parfois en conflit entre eux, ont pu s’enraciner dans le Nord du Mali, un territoire plus grand que la France. Et de préciser : « Le problème aujourd’hui est simple : la confrontation militaire ne détruit pas les dynamiques de soutien dont les djihadistes bénéficient. Ce sont ces ressorts qu’il faut à présent casser. Sans quoi, gagner la guerre n’aura aucune signification. Pire, elle pourrait susciter de nouvelles résistances ou faire naître de nouveaux combattants. »
(1) Politis 18, janvier, propos recueillis par Lena Bjurström et Denis Sieffert
(2) Les Échos, 17 janvier, propos recueillis par Michel de Grandi.