Le nom de code attribué à l’opération d’arrestation d’Oussama Ben Laden porte atteinte à une figure historique et bien-aimée de la résistance des Indiens-Américains.
Barack Obama, qui n’est ni une « colombe », ni un « aigle », mais un pragmatique ayant le sens de ses intérêts politiques a, sans état d’âme, chaussé les bottes et coiffé le chapeau des justiciers si chers à l’Amérique des westerns, dont la dynastie Bush était le symbole le plus récent.
Car quelle différence existe-t-il entre la petite troupe de cavaliers, armés de pistolets, bien formés et poussés au paroxysme de l’excitation et de l’envie de saisir leur proie, un homme dont le visage est affiché partout avec la mention « Wanted », pour mieux l’abattre – et lyncher éventuellement sa dépouille – et des commandos Navy Seal, armés de fusils à visée nocturne, chevauchant leurs hélicoptères, bien formés et poussés au paroxysme de l’excitation et de l’envie de saisir leur proie, un homme dont le visage est affiché partout avec la mention « Wanted » pour mieux l’abattre – et, le larguer, éventuellement, quelque part dans l’océan ? Aucune. Une nouvelle fois, c’est la justice « œil pour oeil », la loi du Talion, qui prévaut, avec le soutien d’un public acquis et hystérique à l’annonce de la « bonne nouvelle ». Le Western « in live » est un genre qui fait toujours recette auprès du public américain qui continue de voir le monde en « gentils contre méchants » en « blanc et noir » et dans la mentalité duquel les concepts de « forces du mal », « ennemi public n°1 », « vengeance » et « justice expéditive » sont encore profondément ancrés.
Pire encore.
« Geronimo EKIA ! » ont transmis les membres du commando NavySeal à un Barack Obama impatient, entouré de son état-major regardant en direct l’attaque de la résidence d’Oussama Ben Laden, le 2 mai dernier. « Geronimo, Enemy Killed in Action », fallait-il décrypter, autrement dit, « Geronimo, ennemi tué dans l’action ».
Le choix de ce nom de code, dès qu’il a été rendu public, a provoqué une pluie de protestations scandalisées de la part des populations amérindiennes. Le Mouvement Indien Américain (American Indian Movement) a immédiatement réagi par la voix de Charles Eagle Rock, son porte-parole qui a demandé à la Présidence américaine et au Pentagone de présenter des excuses. «En ce moment, les enfants amérindiens de tout le pays font face à la réalité d'avoir l'une de leurs figures les plus révérées être associées à un terroriste responsable de la mort de milliers d'Américains innocents», a écrit Jeff Houser, chef tribal de Fort Sill, exprimant un sentiment largement partagé.
Si Geronimo vivait aujourd’hui et combattait pour l’indépendance de son peuple, on l’appellerait un Freedom Fighter, « un Combattant de la liberté ». S’il menait, aujourd’hui, la lutte contre le Mexique et les États-Unis que ce grand guerrier apache a menée alors, il bénéficierait de toute la solidarité des peuples du monde, de toute l’attention des médias internationaux, et probablement du soutien de l’immense majorité des États membres de l’ONU. Il serait considéré comme un héros, comme le fut Che Guevara, comme l’est Nelson Mandela. Les dirigeants étatsuniens pourraient être arrêtés pour crime contre l’humanité et jugés. Au moment où Barack Obama et son état-major osent salir son nom et insulter son histoire, la vie de Geronimo mérite d’être brièvement rappelée.
Né le 16 juin 1829 en Arizona dans la tribu des Apaches Bedonkohe, à Nodoyohn Canyon, au Mexique, Go Khla Yehest un chaman et un guerrier reconnu et respecté. En 1946, il est admis au Conseil de guerre des Apaches Chiricahua, tribu dont il partage la gouvernance avec Naiche, le fils de Cochise. Sa mère, sa femme et ses trois enfants sont tués par l’armée mexicaine en 1858. Ce sera le signal de son entrée dans la lutte armée. Le jour de la saint-Jérôme, le 30 septembre, il lance une attaque en territoire mexicain, d’où son nom, Geronimo. Plus tard, lors d'une autre attaque surprise, les Mexicains tuent sa nouvelle épouse et son fils.
Dans les années qui suivent, la division règne au sein des tribus quant à la stratégie à adopter vis-à-vis de l’occupant mexicain, puis américain. Il y a ceux qui, comme le chef Mangas Coloradas, décident de pactiser avec les Mexicains, ou comme le vieux Cochise, avec les Américains. Mangas Coloradas sera torturé et assassiné dans la petite ville d’Apache Tejo alors qu’il venait signer un traité de paix. Quant aux Apaches Chiricahuas, après près de dix ans de guerre contre les États-Unis, ils s’inclinent, contre l’avis de Geronimo. Le vieux Cochise signe un accord de paix et se rend. Commence alors le long martyr du peuple apache. Leur territoire se limite désormais à une réserve qui sera fermée en 1876, entraînant la déportation de la population vers la zone aride et désertique de San Carlos.
Geronimo n’accepte pas cet état de fait. Avec ses deux fidèles compagnons, Naiche et Juh, il s’enfuit. Commence alors une longue vie de combat où se succèdent fuite, arrestations, attaques, clandestinité dans les montagnes mexicaines. Une guerre menée sur deux fronts, le long de la frontière américano-mexicaine, en Arizona et au Nouveau-Mexique. En mars 1883, après une attaque particulièrement meurtrière (22 colons américains sont tués), le général George Crook est chargé de lancer la traque des rebelles apaches, jusque dans les montagnes mexicaines. Arrêté en 1884, Geronimo retourne dans la réserve de San Carlos, pour s’en échapper à nouveau en 1985 avec 109 femmes et enfants et 35 hommes. Il poursuit sa lutte en lançant des raids meurtriers. Les éclaireurs apaches, ces collaborateurs de l’époque, le retrouvent. Il accepte à nouveau la proposition du général Crook de retourner dans la réserve, accompagné par des soldats américains. Mais une nouvelle fois, c’est pour mieux s’évader dans les montagnes avec ses fidèles compagnons.
Crook a failli à sa mission, il doit démissionner. C’est le général Nelson Miles qui se met alors à sa poursuite avec 5000 hommes et des milliers de volontaires. Ce même général Miles qui n’hésite pas à déporter en Floride les Chiricahuas qui vivaient pacifiquement à San Carlos et qui vont mourir par centaines dans l’humidité des marécages. La connaissance du terrain, des méthodes de survie dans des conditions extrêmes et les techniques apaches de guérilla permettent à Geronimo de résister, jusqu’à sa quatrième reddition avec seize guerriers, douze femmes et six enfants, le 4 septembre 1886, épuisés.
À l’époque, la désinformation et les manipulations étaient, déjà, un art exercé avec talent par les autorités militaires américaines. Selon le général Howard, chef de l’armée américaine de la zone Pacifique, il se serait agi d’une reddition sans condition. Selon le général Stanley qui en fut, apparemment témoin, Geronimo aurait négocié et obtenu, théoriquement, la prise en charge humanitaire, sociale et éducative des communautés apaches par l’État fédéral. Ce qui semble faire l’unanimité aujourd’hui.
Geronimo est, cette fois, placé sous étroite surveillance à Fort Pickens en Floride avec quatorze de ses compagnons. La fin de ces résistants sera triste et humiliante. Plusieurs d’entre eux ne supporteront pas le climat humide de la Floride et mourront de fièvres diverses. Quant au grand guerrier Geronimo, isolé, brisé, ramené à Fort Sill, en Oklahoma, en 1887 – il a alors 58 ans, s’est converti au christianisme et établi – il regrettera, dit-il, jusqu’à la fin de sa vie de s’être rendu. IL restera vingt-trois ans en captivité à Fort Sill. On le verra vendre misérablement des souvenirs, en 1904, à la Louisiana Purchase Exposition et participer, de force, à la grande parade d’investiture de Théodore Roosevelt, en 1905. Il meurt quatre plus tard, à Fort Sill, après avoir dicté l’histoire de sa vie.
Mais c’était encore trop, pour certains Américains. En 1918, sa tombe aurait été profanée par un groupe occulte de l’université de Yale du nom de Skull and Bones (crânes et os). Parmi les profanateurs, il y aurait, dit-on, le grand-père de l’ex-président George W. Bush, Prescott Bush. Une version de l’histoire en discussion encore aujourd’hui parmi les historiens.
Néanmoins, en 2009, année centenaire de sa disparition, son arrière-petit-fils a engagé une action contre le gouvernement américain pour récupérer les restes de son ancêtre et les enterrer au Nouveau-Mexique, sur son lieu de naissance, faisant ainsi respecter ses dernières volontés.
Cent ans après sa mort, l’image de ce grand guerrier nationaliste que fut Go Khla Yeh, dit Geronimo, est suffisamment forte dans l’inconscient collectif des États-Uniens pour être utilisé comme nom de code pour une opération militaire. Peut-être une façon de le tuer une nouvelle fois afin d’exorciser un passé génocidaire que les Étatsuniens, y compris une personne aussi éclairé que Barack Obama, continuent de refuser et d’occulter avec un incroyable mépris.