Quand l’intégrisme se dissout dans le grand banditisme.
Par la voix de Saad Eddine Otmani, son ministre des Affaires étrangères, le Maroc a exprimé sa solidarité avec Alger après l’enlèvement du consul et de six membres du consulat algérien à Gao, le 5 avril, à Gao, par des Salafistes. Le bâtiment avait, selon des témoins, été occupé par des islamistes armés avant qu’ils ne hissent un drapeau noir sur le toit et qu’ils n’arrêtent les diplomates. Otmani a assuré son homologue algérien de « la solidarité du Maroc avec le peuple algérien ainsi qu’avec les otages et les familles affectés par cette épreuve ». À Alger, une cellule de crise a été mise en place et, dans un communiqué, l’Algérie s’est déclaré totalement mobilisée pour obtenir la libération des otages. Aqmi ou Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO), voire un autre groupe, pour l’instant les autorités algériennes ne se sont pas prononcées. Le MNLA, principal mouvement indépendantiste touareg qui a proclamé l’indépendance de l’Azawad et décrété la fin des combats, a, de son côté, également condamné l’enlèvement des diplomates algériens : « Le Mouvement National de Libération de l’Azawad condamne l’enlèvement de diplomates algériens à Gao et tous les actes de vandalisme et d’agressions contre les populations civiles dans les villes libérées », a-t-il déclaré dans un communiqué.
Le 4 avril, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a rencontré Carter Ham, chef d’Africom, le centre de commandement militaire américain pour l’Afrique basé en Allemagne, pour évoquer une éventuelle opération militaire au nord Mali souhaitée par la Cedeao, tandis que des agents du renseignement américain se trouvent dans l’État nigérian du Boro où agit le groupe islamiste terroriste nigérian Boko Haram dont certains observateurs à Gao, ont noté la présence d’une centaine de combattants. Une éventualité catégoriquement rejetée par Alger qui l’a fait savoir publiquement par un communiqué publié par l’APS.
Alger qui s’est impliquée fortement dans le conflit malien en jouant les médiateurs entre les touaregs et les autorités maliennes, est particulièrement visée. En octobre dernier, trois européens avaient été enlevés dans le sud est par le MUJAO, et une gendarmerie de Tamanrasset avait fait l’objet d’un attentat, il y a un mois.
Ce n’est sans doute pas un hasard si deux chefs algériens d’Aqmi, dont l’un est un ancien émir de l’Armée islamique du salut (AIS), le bras armé du GIA qui a semé la terreur dans les années 1990, en Algérie, ont été signalés a Tombouctou. Mokhtar ben Mokhtar et Abdelhamid Abou Zeid ne sont pas des inconnus en Algérie. En juillet 2004, le quotidien algérien, l’Expression, publiait la meilleure enquête sur le sujet, sous la signature de Ikram Ghioua. Cette enquête permet de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans cette zone nord du Sahel :
« L’émir de l’AIS (Mokhtar ben Mokhtar), qui a refusé de déposer les armes et a continué ses crimes dans le Grand Sud, s’est transformé en un super-contrebandier. Toujours recherché par les services de sécurité chargés de la lutte antiterroriste, le hors-la-loi, né le 11 juin 1972 à Ghardaïa, est aujourd’hui seul maître du Sud et émir du Gspc. » Créé en septembre 1998, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a progressivement remplacé le GIA en Algérie. Né en Kabylie il s’est fait réellement connaître avec l’enlèvement d’une trentaine de touristes européens au Sahara, au premier semestre 2003. Depuis, il a multiplié attentats et actions armées dans le nord du pays, ciblant principalement les forces de sécurité, puis des civils et des cibles étrangères. En septembre 2006, il se ralliait à Al-Qaida avant de se transformer, en janvier 2007, en Al–Qaida au Pays du Maghreb islamique (AQMI).
« Selon des sources sécuritaires très au fait du dossier, des contacts
entre ce terroriste et Hadj Bettou auraient été tentés, depuis la libération de ce dernier. Cependant, les mêmes sources confient que cette démarche a été vouée à l’échec. Cela n’a aucunement empêché Mokhtar Ben Mokhtar d’agir entre M’sila, Biskra et même au M’zab. Mais les Mozabites l’ont renié pour ses actes criminels.
L’affaire Hadj Bettou, gros trafiquant de Tamanrasset, a provoqué un scandale début 1992, en Algérie. Elle est liée à l’assassinat du président Boudiaf qui avait ordonné son arrestation, du Commandant Msiref Mohamed, dit Abderazak, l’enquêteur, tué « par erreur », à la même époque par un policier, à Oran, lors d’une permission, du commandant Mourad Mokhtari et du capitaine Abdelhak qui enquêtaient sur les réseaux de la mafia « politico-financière » assassinés en suivant par les groupes islamistes à Blida et Badjara. Ils étaient les principaux témoins de cette affaire de droit commun qui fut, cependant, confiée au tribunal militaire de Blida. Le procès s’est déroulé en juillet 1992 presque en même temps que celui des leaders du FIS Abbassi Madani et Ali Benhadj et de celui de l’ex général Mustapha Belloucif. Hadj Bettou n’était condamné qu’à huit mois de prison et reprenait ses activités.
« Devenu un brigand du désert, explique L’Expression, MbenM vient d’investir deux autres créneaux, en plus de ses activités de contrebandier. Acoquiné avec les contrebandiers du Niger et du Mali, il s’est lancé dans la revente de véhicules volés et maquillés ainsi, que l’émigration clandestine. Croisant entre In Azoua dans la wilaya de Tamanrasset où il aurait une cache à Tamrat Iblis à 70 km de la frontière nigérienne, il agit à Oued Snif de Stol à Anim Etouyour et El Meghaïr.
Le criminel, ajoutent des sources concordantes, a des complices dans l’erg de Talmine (Adrar), à Ouled Aïssa au nord de Timimoun et Kenadsa aux environs de Béchar, un point de transit pour les candidats à l’émigration clandestine.
Ces points stratégiques du territoire du Grand Sud permettent aux mercenaires de disposer de caches pour les voitures volées à l’étranger.
Nos sources affirment, que Ben Mokhtar dispose de grandes complicités libyennes, nigériennes, maliennes et des riverains de la frontière marocaine.
Les marques des véhicules sont des 4×4 tout-terrain haut de gamme, des Mercedes et BMW. Nos sources parlent aussi de camions frigorifiques qui servent de moyen de transport aux personnes qui cherchent à gagner l’Europe par l’Espagne via le Maroc.
Le criminel ne se contente pas de la contrebande de cigarettes par quantités impressionnantes, mais tisse une véritable toile d’araignée, englobant divers secteurs d’activités prohibées et très lucratives. Il est devenu aussi puissant que les cartels de la drogue d’Amérique latine. Ses complices sont pourchassés par le GGF, le GIR et les brigades mobiles de la douane. Cependant, les complicités et l’importance des frontières rendent la tâche très difficile. Connaissant parfaitement tous les points des frontières, notamment les sentiers du «sel» connus et fréquentés par les Touaregs, il est un jour au Niger ou au Mali, ou même en Libye pour traiter ses marchés, le lendemain il est peut-être à Aïn Safra. Les seuls lieux qu’il évite sont Tindouf, très sécurisée, le nord de Biskra, qu’il n’a jamais osé dépasser même durant sa guerre avec Le Para.
Dans ce contexte, des sources autorisées ont confirmé qu’une véritable guerre a eu lieu entre les deux chefs de bande. Des informations recoupées ont permis aux services de sécurité de lever le voile sur la nature de cette guerre.
En effet, après s’être confortablement installé à Bir El Atter, le parachutiste déserteur, Abderezak El Para, a vu son appétit grandir, à la contrebande du container, en sus du trafic juteux du cheptel. Non satisfait, il a tenté en 2002 de monter une filière pour l’importation de cigarettes et l’exploitation de la résine de cannabis qu’il recevait des groupes armés installés à Tiaret, Relizane et Saïda. La cigarette étrangère, domaine de prédilection des contrebandiers a fait réagir Mokhtar Ben Mokhtar le parrain du cartel de Marlboro et autres marques de cigarettes.
Nos sources ont tenu à dévoiler qu’une rencontre a eu lieu au mois d’avril 2002, entre les deux chefs de bande. Entourés, chacun, d’une garde rapprochée puissamment armée, les criminels se sont rencontrés dans une villa appartenant à Mokhtar Ben Mokhtar avec un prête-nom à la périphérie de Bouchagoum, au lieu dit Ouled Djelloul. Cette réunion, selon les renseignements disponibles, n’a pas pu aboutir à un accord. Mokhtar Ben Mokhtar avait proposé à Abderrezak El Para soit d’abandonner la contrebande de cigarettes soit de l’associer au trabendo du container et du cheptel.
Selon les révélations d’un important réseau de soutien, démantelé à l’époque, la rencontre aurait été houleuse et les deux chefs de bande ont passé deux jours à s’épier. Cette réunion, nous confie-t-on, aurait pu finir par un massacre, mais l’intervention des deux «conseillers» des nouveaux parrains, deux hommes âgés de plus de 40 ans, l’un se nomme Abou Hanikh Alias El Ouardi Boutaba, du côté de Mokhtar Ben Mokhtar, le second surnommé El Guerrout Alias Bouzeaïeb Dakhar du côté de Abderrezak El Para, ont réussi à éviter le pire. Nos sources ajoutent que le séjour d’El Para au Sud a duré près de 7 jours. Mokhtar Ben Mokhtar au moment où il est traqué par les services de sécurité, semble défendre son territoire d’activité par tous les moyens, au point de provoquer des accrochages, comme cela s’est produit le 23 décembre 2002.
En effet, Ben Mokhtar, alias Abou Al Abasse surnommé Khaled Laârour ( Khaled et Laârour sont deux sommets de Kabylie) accompagné d’une vingtaine de terroristes, a intercepté en cette date un groupe de 26 personnes dans la Homade à bord de quatre véhicules.
L’accrochage entre les deux groupes a duré deux heures. Alertés, les services de sécurité, ont pu dénombrer 13 corps, dont un encore en vie. Il s’agit de Bendjelloul Abou Hadjab, âgé de 30 ans de nationalité marocaine. Il avoua aux services de sécurité, qu’il se rendait ainsi que ses compagnons dans le Nord algérien. Leur mission était d’aménager des refuges pour les terroristes. Sur les 12 cadavres, trois étaient des Algériens affiliés à l’organisation criminelle du Gspc. Selon les aveux du terroriste, ajoutent nos sources, le contrebandier, Mokhtar Ben Mokhtar se serait déclaré hostile à l’installation de tout refuge sur le territoire du Sud. Il aurait refusé tout compromis de crainte que son commerce soit troublé.
La neutralisation de Mokhtar Ben Mokhtar demande de sérieux moyens, mais nos sources précisent que les services de sécurité, partis sur ses traces, finiront par le faire tomber.
Nos sources ajoutent que le trafic d’armes, qui faisait partie des activités de Mokhtar Ben Mokhtar, aurait été abandonné par ce dernier. Cependant, il fait toujours l’objet d’une sérieuse traque des
services de l’ANP. »
Cependant, Ben Mokhtar n’a jamais été pris et a réussi, aujourd’hui, après sept années d’activité criminelle, à étendre son empire mafieux.
Considéré comme l’un des chefs les plus radicaux d’Aqmi, Abdelhamid Abou Zeid, de son vrai nom Mohamed Ghdir, un Algérien d’une quarantaine d’années, est apparu pour la première fois en 2003 comme adjoint d’Abderazak El-Para, lors du spectaculaire enlèvement de trente-deux touristes européens dans le grand Sud algérien. Il opérait donc depuis déjà plusieurs années dans le sud algérien et le nord des pays du sahel limitrophes de l’Algérie.
Jugé par contumace à Alger, le 3 janvier 2012, pour « appartenance à un groupe terroriste international« et pour son implication dans l’enlèvement de 2003, il a été condamné à perpétuité, tandis que onze accusés présents au procès, dont cinq membres de sa famille étaient condamnés à des peines de prison de plusieurs années.
Selon l’arrêt, les accusés ont indiqué avoir vu, en 2003, un groupe d’otages gardés par Abou Zeid, dans la région d’Illizi, l’extrême sud-est de l’Algérie, et avoir rencontré dans cette zone Abderrezak El-Para, principal instigateur de ces enlèvements. Abderrezak El-Para, Amari Saïfi de son vrai nom, avait été livré en 2004 aux services de sécurité algériens par des rebelles tchadiens qui l’avaient capturé à la suite d’une médiation libyenne. Il est actuellement incarcéré.
Les accusés ont également précisé qu’ils avaient participé au soutien du groupe d’Abou Zeid en participant au recrutement d’éléments actifs dans les activités de trafic de la région et en fournissant aux terroristes des denrées alimentaires, du carburant libyen et des devises ainsi que des armes financées par le trafic de drogue et de cigarettes.
Abou Zeid, selon l’arrêt, aurait adopté, à cette époque, « une nouvelle stratégie consistant à recruter des contrebandiers (drogue, carburant et armes) activant dans le Sahara dans le but de les utiliser dans l’exécution de plans criminels ».
Abou Zeid serait, également, responsable d’une série de rapts, dont celui du Britannique Edwin Dyer, tué en juin 2009, et en 2010 de cinq Français, un Malgache et un Togolais dans le nord du Niger.
Concernant ce dernier groupe, une Française et les deux ressortissants africains ont été libérés mais quatre Français restent détenus. Abou Zeid aurait aussi participé à l’enlèvement de Michel Germaneau, un humanitaire français de 78 ans, dont AQMI avait annoncé l’exécution le 25 juillet 2010.
Depuis les « années de plomb » et de la terreur islamiste en Algérie, les radicaux mafieux n’ont jamais cessé d’être actifs, la contrebande de haut niveau finançant les mouvements radicaux du Maghreb dont certains ont émergé comme de véritables forces à l’occasion des « printemps arabes ». Les vieux démons de l’Algérie réapparaissent aujourd’hui dans le Nord du Mali où la situation reste confuse avec la présence des groupes radicaux islamistes et mafieux et les mouvements touaregs, également mafieux dont l’intérêt majeur semble bien être la maîtrise d’une région clé à divers titres, les ressources minières, l’uranium en particulier, et la contrebande de haut niveau, entre autres, et en s’appuyant sur la revendication d’indépendance pour les uns et sur l’islam radical pour les autres.