Un député influent du parti islamiste au pouvoir à Tunis, Habib Ellouze, a qualifié l’excision « d’opération esthétique » dans une interview au journal Le Maghreb…
C’était dans l’ordre ou le désordre des choses. Voici quelques mois, un prédicateur égyptien est venu prêcher l’excision en Tunisie. Maintenant, un puissant député d’Ennahdha dresse un tableau riant des mutilations génitales que les hommes de Dieu souhaitent réserver à leurs femmes. Dans une interview au journal Le Maghreb, Habib Ellouze s’est en effet répandu en commentaires édifiants sur l’ablation du clitoris « qui sous les climats chauds évite la puanteur à la femme et lui permet ainsi de ne pas dégoûter l’homme ». Il s’agit donc « d’une opération esthétique ».
On reconnaît à ces déjections verbales l’islamiste pur, tel que la frustration et l’obsession le sculptent. L’islamiste 100 % sexe, 100 % haine du sexe, l’islamiste que tout ramène au deuxième sexe forcément « puant » et qu’il faut amputer, raser, couper, cisailler. L’islamiste 100 % sang. Ce n’est pourtant pas des campagnes tunisiennes qu’Habib Ellouze rapporte cette tradition horrible. Jamais la douce Tunisie n’a songé à mutiler ses femmes. En revanche, l’Égypte constitue le fief arabe de l’excision bien qu’il ne s’agisse en aucun cas d’une recommandation coranique. Habib Ellouze, sans doute encouragé par ses frères égyptiens, a donc donné sans complexes libre cours à ses fantasmes.
Attention, ce député n’est pas n’importe qui. Au sein de la Choura, le conclave d’Ennahdha, il dispose d’une influence considérable. Lors de la crise politique qui a divisé le parti, il a été le plus brûlant supporter de la tendance hard regroupée autour de Rached Ghannouchi. Ellouze n’a pas eu de mots assez durs pour flétrir la proposition de l’ex-premier ministre Hamadi Jebali qui réclamait un nouveau gouvernement apolitique. Jebali, pour lui, c’était un « contre-révolutionnaire » ! On sait que, finalement, le clan Ellouze l’a emporté. Autrement dit, celui des grandes gueules a écrasé celui des pragmatiques. Et peu importe le palmarès des provocations dans lesquelles s’illustre le député. N’a-t-il pas menacé directement le leader du Front populaire Chokri Belaid, peu de temps avant son assassinat ? C’est pour ces propos qu’Ellouze a été cité à comparaître devant le juge chargé d’instruire l’affaire.
Son nom surgit également dans le dossier des escadrons de la mort, cette police parallèle qui serait à l’œuvre pour régler leur compte aux opposants. Un journaliste assez hardi pour faire son métier, Ziad el Heni, a révélé que l’homme fort de la direction des services spéciaux aurait été nommé sur instructions directes de Habib Ellouze. Depuis, les menaces se sont accumulées contre notre confrère.
Bref, l’homme qui fait l’apologie de l’excision n’est ni un petit, ni un obscur, ni un sans-grade. Il parade au contraire sur toutes les estrades dans les meetings. C’est lui qu’on a entendu au micro, devant l’ambassade de France, conspuant la France, lors de la manifestation d’Ennahdha de soutien à son propre régime.
Mais tout cela ne suffit pas à Habib le mal nommé car son prénom veut dire Aimé. Il lui faut descendre, comme ses chers frères, au creux de l’effrayante intimité féminine pour marquer son territoire et son contrôle. C’est en cela qu’il trouve l’excision adaptée et judicieuse. Qu’elle vienne du Nil, qu’elle soit antérieure à l’Islam, que Mahomet n’en ait jamais dit un mot, que toutes les institutions internationales la combattent, tout cela n’a aucune importance pour l’Habib des abîmes. Les Frères musulmans égyptiens, qui lui ressemblent, fulminent contre l’interdiction de l’excision que l’on doit à Suzanne Moubarak, l’épouse du dictateur déchu. J’avais rencontré une de leurs députées, au Caire, une femme médecin, qui, d’un air doux, chuchotait pourtant qu’abolir l’excision n’était pas une bonne chose. Qu’il y avait même des indications médicales, que c’était plus « propre ».
« Plus propre » : l’expression même de toutes les exciseuses d’Afrique se retrouvait sur les lèvres de cette suave voilée, manifestement en proie au fameux syndrome de Stockholm qui persuade les victimes que leurs bourreaux ont raison de les torturer.
Je doute en revanche que les Tunisiennes suivent ma Cairote, élue de la confrérie. Sitôt publiées les insanités d’Ellouze, ce fut le tollé à Tunis. Un peu gêné, il prétendit avoir été mal compris par l’intervieweuse. Laquelle s’empressa de diffuser la bande-son des confidences du député. À frémir. Surtout quand on sait que l’aspirant exciseur tient le haut du pavé à Ennahdha.
Source : Marianne