Lâcher la Syrie c’est, pour la Russie, « se griller » diplomatiquement aux yeux du monde entier, alliés comme ennemis.
Depuis deux jours, à la « faveur » – on ne voit pas quel autre mot utiliser en la circonstance – du drame de Houla, les médias sortent providentiellement de leurs tiroirs un « plan secret » de l’administration Obama de nature assure-t-on à assurer une issue politique à la crise syrienne. C’est parti du New York Times (NYT), un des organes centraux du néoconservatisme gauchard made in America, et cela a traversé l’Atlantique aussitôt. Le Point, par exemple, nous donne ainsi des éclairages sur ce plan « secret » autant que miraculeux. En fait, il s’agirait de proposer aux Russes décidément incontournables le gentlemen’s agreement suivant : vous lâchez Bachar mais on garde à la tête de l’État syrien certaines personnalités du Baas, histoire de garantir une certaine continuité dans le changement, et aussi par la même occasion les intérêts militaires et économiques de Moscou dans le pays. Selon le NYT, c’est un conseiller d’Obama, Thomas Donilon, qui aurait été présenter cette option aux dirigeants russes, voici trois semaines. Et le projet aurait été ensuite testé sur Dimitri Medvedev, devenu entre-temps Premier ministre du président Poutine, lors du récent sommet du G8 à Camp David. Le NYT cite un « haut fonctionnaire » américain qui assure que Medvedev se serait montré « réceptif » mais, s’inquiétant du sort de Bachar aurait de lui-même évoqué la situation peu enviable d’Hosni Moubarak enfermé « dans une cage » ; alors, Barack Obama, pour le rassurer ou étouffer ces scrupules, aurait préconisé pour le président syrien une exfiltration-exil sur le modèle expérimenté par l’ex-président yéménite Saleh. Simple, mais il fallait y penser !
Rien de nouveau – ni de sérieux – sous le soleil de Washington
Tellement simple d’ailleurs, qu’on y a déjà pensé : au début de l’année, la Ligue arabe avait remanié son plan de paix anti-syrien en proposant, toujours dans le but de vaincre l’hostilité russe au Conseil de sécurité, d’écarter du pouvoir Bachar – cantonné dans un vague rôle honorifique – et de donner la réalité du pouvoir à son vice-président, lequel conduirait des négociations avec le CNS. Naturellement, Medvedev, Poutine et Lavrov avaient vu la Ligue arabo-qatarie venir de très loin et celle-ci avait dû remettre son plan dan sa djellaba. Aujourd’hui, c’est à peu près le même scénario que propose le staff d’Obama à Poutine/Medvedev/Lavrov, et on ne voit pas comment ceux-ci pourraient faire à cette version-là un meilleur accueil. Parce qu’aujourd’hui comme il y a trois ou quatre mois, la ficelle atlantiste est trop grosse, et qu’aujourd’hui comme il y a trois, quatre, cinq, six mois ou un an, le départ de Bachar serait le signe de l’effondrement de l’État syrien et le top de départ à une subversion d’ampleur dans le pays et au-delà de ses frontières. Et que la Russie ne s’est pas engagée dans l’affaire syrienne comme elle l’a fait depuis des mois pour risquer de tout perdre sur une hypothèse aussi « aventureuse », et reposant sur l’honnêteté intellectuelle et politique des Américains !
Mais évidemment, la presse occidentale ne va pas chercher si loin et, à la suite du New York Times, véritable « autorité morale » de la corporation, Le Point assure que ce » plan B » sera au menu des discussions entre Poutine et Obama lors de leur prochaine rencontre, en juin. Le président américain s’engageant à garantir le maintien d’une influence russe en Syrie, un fois Bachar parti. C’est tellement énorme que même Le Point se sent obliger de citer l’avis d’un spécialiste de la Russie, Philippe Migault, chercheur à l’IRIS, qui rappelle cette évidence : « Le rôle des États-Unis a toujours été de diminuer au maximum l’influence de Moscou au Moyen-Orient ». En effet… Mais Le Point va recueillir aussi l’avis « autorisé » de M. Ignace Leverrier, diplomate français en disponibilité – mais sorte de consul honoraire permanent de l’Otan -, animateur d’un blog antisyrien hébergé par Le Monde, et pour qui la Russie, en acceptant enfin de voter une résolution condamnant le gouvernement de Damas, s’est « engagée dans un cycle de sanctions ». Sans doute pour mieux défaire ce qu’elle s’est acharnée à construire et à préserver depuis des mois en Syrie et au Proche-Orient. On peut dire qu’avec Leverrier, la « syriologie » a trouvé son M. Norpois (personnage de diplomate nul et pontifiant créé par Proust pour les besoins de sa Recherche du temps perdu) !
Tout ceci s’inscrit, sans complot aucun, dans une énième tentative américaine de contourner l’infranchissable obstacle russe sur la route de la Syrie – et donc de l’Iran. C’est de l’intox, de la guerre psychologique du registre le plus grossier. Comment croire que Poutine, qui a depuis la Libye et même bien avant, une perception aiguë du rôle et des ambitions de la thalassocratie américaine, va se « laisser avoir » par le numéro de charme et les « assurances » d’un Obama qui risque fort d’être supplanté à la Maison Blanche par un fou furieux républicain sioniste du calibre de Mitt Romney ? Lâcher la Syrie c’est, pour la Russie, « se griller » diplomatiquement aux yeux du monde entier, alliés comme ennemis.
Au fait, maintenant que ce « plan secret » s’étale sur tous les sites de la planète internet, que va dire Poutine à Bachar ? Que c’est du sérieux ? Non, ce n’est pas sérieux, et il faut vraiment que les Américains soient à bout de ressources – et les journalistes européens complètement lobotomisés – pour croire et faire croire à ce genre de « révélations ».
Source : InfoSyrie