Depuis la fermeture de l’ambassade française de Damas en mars 2012, toute relation officielle avec la Syrie a été stoppée. Il s’agit des relations diplomatiques, sécuritaires et aussi scientifiques et culturelles.
Par Gérard Bapt
Cet embargo total concerne les relations dans les domaines médical et sanitaire, comme j’ai pu le constater à nouveau à l’occasion d’un récent déplacement à Alep, à l’invitation du Conseil de l’Ordre des médecins syriens (1). Ceux qui continuent à soigner en Syrie, malgré l’embargo sur les équipements et les médicaments, en sont d’autant plus affligés que c’est souvent en France qu’ils ont suivi leur formation en spécialités. Leur sentiment de frustration est général, qu’elles que soient leurs appartenances confessionnelles, agissant dans un cadre strictement laïque. Se déroulait alors la campagne « Octobre Rose » de dépistage du cancer du sein, action de santé publique inspirée par le modèle français…mais bien entravée pour la prise en charge des patientes concernées par l’embargo qui pèse sur le renouvellement des équipements et l’accès aux chimiothérapies.
Le dessin au laser du symbole « » d’Octobre Rose, est néanmoins présent tous les soirs sur le mur de la citadelle d’Alep …
Les sanctions concernant le domaine sanitaire sont d’autant plus pénalisantes pour la
population que l’épidémie de Covid frappe durement, y compris chez les personnels soignants…Serait-ce définitivement un rêve fou que l’Ordre français des médecins ne s’inquiète de cette situation dramatique ?
L’embargo décrété par les USA et l’Occident concerne également les domaines scientifiques. L’un d’entre eux était domaine de présence française ancienne et majeure : celui de l’archéologie, depuis 1920 jusqu’en 2011 sans discontinuité, malgré les crises politiques.
La langue de l’archéologie syrienne était devenue française dans les publications scientifiques concernant les découvertes de sites, comme celui de Mari et Ougarit, où le premier alphabet de l’histoire a été découvert par les archéologues français. Des dizaines de syriens se sont formés en archéologie dans les universités françaises. Il est incompréhensible que la question des antiquités syriennes soit utilisée à des fins politiques. François Hollande président avait même proposé qu’elles soient transportées en France !..Et l’institut du monde arabe de Paris refuse depuis plusieurs années de restituer au Musée national syrien une collection qui lui avait été prêtée pour une exposition…
Ce sont désormais les Hongrois qui travaillent à la restauration du Crak des chevaliers, et accueillent les étudiants syriens, notamment pour l’archéologie…les tchèques qui fouillent un site à Lattaquié…les italiens, les polonais, les japonais ailleurs…Les travaux sur Palmyre sont désormais rédigés en anglais…
Aujourd’hui, sept pays de l’UE ont rétabli des relations diplomatiques avec la Syrie…la Grèce vient de rouvrir son ambassade. Les USA eux-mêmes viennent de lever partiellement l’application de leur « loi César » pour ce qui concerne la réhabilitation du pipe-line du Qatar vers le Liban…montrant encore une fois leur pragmatisme lorsque leurs intérêts géostratégiques sont en jeu…A l’opposé, l’irrédentisme français est celui des « néoconservateurs » du Quai d’Orsay, situés dans le sillage de leurs penseurs US qui veulent imposer au monde entier leurs visions de démocratie et de libéralisme économique…Après les désastres des interventions occidentales en Irak, Syrie ou Afghanistan, n’est-il pas temps pour la France d’en revenir au pragmatisme gaulliste, en se souciant de ses racines historiques et de ses intérêts propres, notamment sécuritaires ? Et d’une population meurtrie, mais qui espère toujours en elle ?
Ce ne serait que tirer les leçons de ce jugement d’Hubert Védrine : « L’Afghanistan est le tombeau du droit d’ingérence » ?
Docteur Gérard BAPT
Députe honoraire
Ancien Président du groupe d’Amitié France-Syrie
Note
- déplacement effectué à mes frais, en compagnie du Dr Anas Chebib, chef du service de radiologie de l’Hôpital d’Alep