La récente normalisation des relations entre le Maroc et Israël a remis un coup de projecteur médiatique sur la situation du Sahara occidental. La normalisation entre Rabat et Tel Aviv s’est faite sous pression américaine. Et pour s’assurer les bonnes faveurs marocaines, Donald Trump n’a pas hésité à brader les droits du peuple sahraoui. En effet, dans une déclaration publiée le 10 décembre 2020, les États-Unis « reconnaissent la souveraineté marocaine sur l’ensemble du territoire du Sahara occidental » en estimant « qu’un État sahraoui indépendant n’est pas une option réaliste pour résoudre le conflit ».

– À l’automne 2010, plusieurs milliers de Sahraouis dressent le campement pacifique de Gdeim Izik à Laayoune pour dénoncer leur situation sur les plans politique, économique et social au sein des territoires occupés par le Maroc au Sahara Occidental. Plusieurs semaines après son établissement, le camp est violemment démantelé par les forces de sécurité marocaines. Cette opération provoque des émeutes dans la plupart des villes du Sahara Occidental. Le bilan est lourd : plusieurs centaines de blessés et de détenus et la mort de treize personnes (policiers marocains et civils sahraouis). DR
Par Ghislain Poissonnier, magistrat
Donald Trump prétend ainsi régler un différend au mépris des principes du droit international et sans consulter l’une des parties, en l’occurrence le peuple sahraoui, représenté par le Front Polisario. Israël, qui occupe depuis 1967 les territoires palestiniens et envisage d’en annexer une partie (ce qu’il a déjà fait pour Jérusalem-Est et pour le plateau syrien du Golan), n’y a bien évidemment rien trouvé à redire. Les ressemblances entre les politiques marocaine et israélienne d’occupation, de colonisation et de répression sont d’ailleurs flagrantes, comme l’a encore récemment souligné Human Rights Watch.
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental reste, quoi qu’en disent le Maroc, les États-Unis et Israël, un territoire occupé. Depuis 1963, il est inscrit sur la liste des territoires non autonomes établie par les Nations Unies. Son peuple bénéficie du droit à l’autodétermination, comme l’ont reconnu de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies (par exemple, Rés. 2229 (XXI) du 20 décembre 1966), ainsi qu’un avis de la Cour internationale de Justice rendu le 16 octobre 1975.
En violation de ces principes, la majeure partie du territoire du Sahara occidental a été conquise par le Maroc en 1975, qu’il a ensuite annexée, la présence marocaine ayant été qualifiée d’occupation par l’Assemblée générale de l’ONU (Rés. A/34/37, 21 novembre 1979).

– Carte des ressources minières au Sahara occidental occupé. L’exploitation de ces ressources par le Maroc, sans l’accord du Polisario, représentant reconnu par l’Onu du peuple sahraoui, équivaut à une forme de pillage. L’Union européenne participe à ce pillage en contradiction avec ses propres législations. Carte des ressources naturelles de ce territoire occupé publiée par le Monde diplomatique. DR
Il en résulte que le Sahara occidental se voit reconnaître un statut séparé et distinct par rapport à celui de tout État, y compris de celui du Maroc. Il en résulte également que sa population dispose d’un droit à l’autodétermination, qui doit être mis en œuvre par la tenue d’un référendum, exigée de longue date par le Conseil de sécurité de l’ONU, à laquelle le Maroc s’oppose, s’en tenant à une offre d’autonomie sous souveraineté marocaine, solution désormais avalisée par les États-Unis.
Condamner – au moins critiquer – la position de Donald Trump aurait été logique. On pouvait légitimement s’attendre à une réaction forte de la part de l’Union européenne (UE) ou de la France, rappelant les États-Unis au strict respect du droit international, mettant en garde le Maroc et Israël contre toutes velléités de « normaliser » leurs annexions et occupations respectives. C’est toutefois le silence qui domine, renvoyant l’UE et la France à leurs propres « petits arrangements » avec la légalité internationale.
En effet, depuis de nombreuses années, l’UE a conclu des accords économiques et commerciaux avec le Maroc qui sont, dans les faits, appliqués au Sahara occidental. Leur application contribue ainsi à renforcer l’emprise politique et économique du Royaume sur ce territoire. Elle conforte également la politique d’installation de colons marocains et d’entreprises marocaines au Sahara occidental.
L’assurance donnée par les autorités européennes que cette application ne constitue pas une reconnaissance officielle de la souveraineté marocaine est en réalité de peu de poids face à la contribution qu’elle apporte à la position de Rabat, telle qu’elle vient par exemple encore de se manifester dans le cadre de l’accord de normalisation conclu avec Israël et les États-Unis.
Cette politique économique a pourtant été condamnée par plusieurs décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (21 décembre 2016, Conseil de l’UE c. Front Polisario, et 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK c. Commissioners for Her Majesty’s Revenues and Customs, Secretary of State for Environment, Food and Rural Affaires et 30 novembre 2018, Front Polisario c. Conseil de l’UE). La Cour a rappelé qu’au regard du droit international, les accords conclus par l’UE avec le Maroc (sur l’agriculture, sur la pêche, et sur le transport aérien) ne pouvaient s’appliquer au territoire du Sahara occidental, à son espace maritime et à son espace aérien, sans méconnaître le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, dont le consentement est nécessaire pour toute conclusion de tels accords.
En méconnaissance des principes rappelés par la Cour de Justice, l’UE a conclu de nouveaux accords économiques avec le Maroc, qui cette fois s’appliquent très explicitement au territoire du Sahara occidental. Et ce sans avoir obtenu le consentement du peuple sahraoui, à travers son représentant, le Front Polisario. Les fruits et légumes, les poissons et crustacés, le phosphate du Sahara occidental, exportés vers les États membres de l’UE, sont ainsi libellés comme produits marocains par Rabat et acceptés comme tels par Bruxelles au motif non vérifié que cela profiterait aux populations locales.
L’exploitation des ressources naturelles de ce territoire occupé, sans l’accord de son peuple, confinant ainsi à une forme de pillage, semble un fait assumé de la realpolitik européenne. Des recours en annulation ont à nouveau dû être intentés contre ces nouveaux accords, preuve que le respect effectif de leurs obligations par les autorités de l’UE dans le dossier du Sahara occidental ne va pas de soi.

– La répartition du territoire sahraoui entre forces d’occupation marocaine et le Polisario. The Economist.
Entre la diplomatie agressive de Donald Trump, qui entend résoudre les conflits sans tenir compte des règles du droit international, et celle plus policée de l’Union européenne, qui affirme des beaux principes sans jamais s’efforcer de les mettre en œuvre, le décalage n’est pas aussi grand qu’il y semble. L’UE privilégie les partenariats, comme ceux noués avec Israël et le Maroc, sous l’angle des avantages économiques, du contrôle de l’immigration et de la lutte contre le terrorisme, en faisant passer au second plan les droits des peuples palestinien et sahraoui à l’autodétermination et leurs droits humains.
Le traité de l’UE précise que le strict respect du droit international doit être au cœur de la politique étrangère européenne.
Il est donc temps que l’UE condamne très clairement la déclaration américaine concernant la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. L’UE doit surtout mettre ses accords commerciaux conclus avec le Maroc en harmonie avec le droit international, comme le lui demande la Cour de justice de l’Union européenne. Tout comme le Sahara occidental n’est pas un territoire marocain, les produits de ce territoire occupé ne sont pas marocains. Leur exportation sur le territoire de l’UE ne peut se faire qu’en concertation avec le Front Polisario.
Par Ghislain Poissonnier, magistrat
Né en 1970 à Paris, Ghislain Poissonnier est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris et ancien élève de l’École Nationale de la Magistrature de Bordeaux. Entre 1999 et 2008, il a occupé différentes fonctions de magistrat judiciaire. Il a été juge et vice-procureur à Béthune, Lille et Paris. Grand spécialiste du droit international, il a travaillé comme juriste au Kosovo, en Palestine, en République démocratique du Congo, en Thaïlande, en Afghanistan, en Guinée et en Côte d’Ivoire. Il a été délégué du CICR en Cisjordanie en 2008 et 2009. Auteur du livre Les chemins d’Hébron – Un an avec le CICR en Cisjordanie, paru chez L’Harmattan, 2010