Aux Etats-Unis, on dénombre chaque année 3,2 homicides par arme à feu pour 100 000 habitants.
Si l’on compare le taux d’homicide par arme à feu aux Etats-Unis à celui de n’importe quel autre pays industriel avancé, on arrive forcément à deux conclusions possibles. De deux choses l’une, soit les Etats-Unis comptent un nombre bien plus important d’habitants nourrissant des envies de meurtre que partout ailleurs sur la planète, soit ils possèdent bien plus d’armes à feu. En d’autres termes, soit nous accueillons sur notre sol plus de personnes qui tuent sous l’emprise de la rage ou avec une froide préméditation, soit il est plus facile de s’emparer d’une arme et de tirer ici que dans tout autre pays.
Pourtant, je n’ai jamais entendu les défenseurs de la libre circulation des armes, même les plus ardents, assurer que les Américains sont intrinsèquement plus portés sur l’assassinat que d’autres peuples. Ils répètent ad nauseam que ce sont les personnes, et non les armes, qui tuent. Mais en même temps, ils se gardent bien de dire que quelque chose chez les Américains fait que nos compatriotes tuent plus que leurs congénères ailleurs dans le monde.
Maintenant, jetons un œil sur les chiffres. Aux Etats-Unis, on dénombre chaque année 3,2 homicides par arme à feu pour 100 000 habitants. La Suisse se classe au deuxième rang parmi toutes les démocraties occidentales, avec un nombre d’homicides de 0,7 pour 100 000. Après la confédération helvétique, le taux chute à 0,5 en Irlande et au Canada ; 0,4 en Suède et en Finlande ; 0,2 en Nouvelle-Zélande, en Espagne et en Allemagne ; 0,1 en France, en Grande-Bretagne et en Australie ; et zéro au Japon.
Mais qui prétendrait que nous avons un taux de maladie mentale dangereuse 32 fois supérieur à celui de l’Australie ? Que les Américains sont par nature 16 fois plus portés sur les assassinats que les Espagnols ou les Allemands ? Personne !
89 armes pour 100 habitants
Aux Etats-Unis, les gens qui craquent ont beaucoup plus de chances d’avoir une arme à feu à portée de main. On y compte 89 armes pour 100 habitants. Aucune autre société avancée n’affiche un taux comparable. En Autriche, en France, en Allemagne, en Norvège et en Suède, on compte entre 30 et 32 armes pour 100 individus. Au Royaume-Uni, 6 armes pour 100 personnes.
Pour étayer l’idée que le nombre d’armes à feu fait qu’un endroit est plus dangereux qu’un autre, il suffit d’observer la situation aux Etats-Unis. Les Etats qui ont un taux d’homicide par arme à feu le plus élevé (Louisiane, Mississippi, Alabama) font partie de ceux où la possession d’arme à feu est la plus élevée.
Rien de tout cela ne contredit la nécessité d’une meilleure prise en charge des problèmes de santé mentale et d’une meilleure information. Mais à moins de reconnaître l’existence d’une proportion de fous dangereux anormalement plus élevée parmi les Américains qu’au sein de la population française, australienne ou suédoise, la réduction du nombre de morts par balle passe par celle du nombre de ces armes.
L’effort ne s’apparente peut-être pas à un combat de Sisyphe, comme nous avons tendance à le croire. Comme mon collège de The American Prospect, Paul Waldman, l’a souligné, le pourcentage des Américains propriétaires d’armes à feu ne cesse de baisser depuis des décennies. Selon la General Social Survey de l’université de Chicago, le pourcentage de ménages se disant en possession d’armes à feu est passé de 54 % en 1977 à 32 % en 2010. Rien d’étonnant à cela : les Américains sont moins nombreux à vivre en zone rurale, et le nombre des chasseurs a reculé. Mais parallèlement, le nombre d’armes armes de poing et fusils en circulation sur le territoire a augmenté, parce qu’une minorité d’Américains en accumulent.
50 % des Républicains possèdent des armes à feu
Ces acquéreurs ont un nom : les Républicains. Comme l’a récemment noté le blog FiveThirtyEight du New York Times, la General Social Survey de 2010 montre que 50 % des Républicains possèdent des armes à feu, contre 22 % seulement des Démocrates. Cet écart n’a fait que se creuser depuis quarante ans. Ainsi, dans la General Social Survey de 1973, quelque 55 % des Républicains et 45 % des Démocrates en gardaient au moins une chez eux. Si l’on se fie aux sondages, ce fossé continuera de s’élargir. En effet, d’après les sondages sortis des urnes réalisés en 2008, chez les Démocrates, plus on est jeune, moins on est armé, tandis que chez les Républicains, le taux de possession reste le même dans toutes les catégories d’âge.
On peut interpréter de multiples manières cette ligne de fracture partisane. Elle reflète notamment le fait que le sud du pays, blanc et propriétaire de façon disproportionnée d’armes à feu, penche désormais du côté Républicain. D’autre part, elle traduit l’hystérie paranoïaque que les médias de droite et le lobby des armes à feu tentent de déclencher à chaque victoire des Démocrates.
Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le risque de violences augmente avec le nombre d’armes en circulation. Mais la proportion des farouches adversaires du contrôle des armes (en grande majorité des Républicains) diminue. Imposer des restrictions sur la vente d’armes à feu n’est donc pas un aussi grand risque politique que ne le croient nombre de nos responsables.
Harold Meyerson
Article original : Why does America have so many guns ?
24 janvier 2013