« Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste n’a jamais été informé, de quelque manière que ce soit et à aucun moment, de la gravité des crimes abjects pour lesquels l’intéressé a été condamné », dixit le communiqué royal !
Une excuse pire que le crime. En faisant publier, par son cabinet, suite à la vague d’indignation et de colère provoquée dans l’ensemble du royaume par les mesures de grâce accordées par le roi à une cinquantaine de prisonniers espagnols, dont un violeur de 11 enfants marocains, un communiqué de reculade et d’esquisse, le Palais royal ne convainc pas grand monde. Si le roi n’était pas au courant des lourdes charges qui pesaient sur le prisonnier qu’il venait de libérer, c’est le signe d’une incroyable légèreté, voire incompétence, dans la gestion du pays. Si, au contraire, il était parfaitement au courant, c’est encore plus grave. Cela démontre qu’il avait sous estimé les possibles réactions de son peuple, préférant satisfaire les souhaits du roi d’Espagne plutôt que de respecter la dignité des victimes.
Voici le texte de ce communiqué surréaliste qui risque d’attiser encore plus la colère populaire :
« À la suite de la libération, ces derniers jours, du dénommé Daniel Galvan Fina de Nationalité espagnole, condamné par la justice marocaine, le cabinet royal tient à apporter à la connaissance de l’Opinion publique les éléments d’information et les précisions suivants :
1. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste n’a jamais été informé, de quelque manière que ce soit et à aucun moment, de la gravité des crimes abjects pour lesquels l’intéressé a été condamné.
2. Il est évident que jamais le Souverain n’aurait consenti à ce que Daniel Galvan Fina puisse arrêter de purger sa peine, au regard de l’atrocité des crimes monstrueux dont il a été reconnu coupable.
3. Sa Majesté le Roi, en tant que premier protecteur des droits des victimes, de surcroît enfants, et de leurs familles, ne ménagera aucun effort pour continuer à les entourer de sa sollicitude. L’ensemble de l’action royale démontre à l’évidence, l’attachement du Souverain aux immuables valeurs morales, à la centralité de la promotion des Droits de l’Homme et de la protection de l’enfance ainsi qu’à la défense de la société marocaine contre toute atteinte et actions condamnables par la conscience humaine.
Pour toutes ces considérations, Sa Majesté le Roi a décidé, dès qu’il a été informé des éléments du dossier, qu’une enquête approfondie soit diligentée en vue de déterminer les responsabilités et les points de défaillance qui ont pu mener à cette regrettable libération et d’identifier le ou les responsables de cette négligence afin de prendre les sanctions nécessaires. Les instructions seront également données au ministre de la justice afin de proposer des mesures de nature à verrouiller les conditions d’octroi de la grâce à ses différentes étapes ».
Le site marocain yabiladi. com semble mettre en doute les dénégations embarrassées du Palais royal. Il rappelle que ce n’est pas la première fois qu’un pédophile notoire est gracié.
En 2006 déjà, écrit-il, TelQuel révélait que Hervé Désiré Le Gloannec, un Français, avait été gracié après avoir été condamné à de la prison ferme.
Vingt-quatre heures après ce communiqué, et face à la poursuite de la vague d’indignation qui s’est emparée du pays, le souverain marocain a finalement décidé d’annuler la grâce.
Cette décision, « à caractère exceptionnel », est motivée par « la gravité des crimes commis et le respect du droit des victimes », a indiqué le Palais royal dans un deuxième communiqué publié par l’agence de presse officielle MAP.
Pour mettre en œuvre cette mesure, le Maroc va toutefois devoir retrouver le condamné alors que, selon plusieurs médias, celui-ci a déjà quitté le territoire.
À ce titre, le texte du Palais royal note que le ministre marocain de la Justice, Mustapha Ramid, devra « examiner avec son homologue espagnol les suites à donner à l’annulation de cette grâce ».
Selon l’AFP, des versions contradictoires circulaient sur la raison de la présence du nom de ce pédophile sur la liste royale.
À Madrid, l’opposition socialiste a dénoncé un fait d’une « extrême gravité » et exigé des comptes du gouvernement.
Au Maroc, si la classe politique est restée particulièrement discrète, au même titre que les médias officiels, l’annonce de cette libération s’était rapidement propagée par les réseaux sociaux. Vendredi soir, plusieurs milliers de personnes s’étaient ainsi rassemblées devant le Parlement de Rabat, bravant la répression policière.
Dans un pays marqué par plusieurs affaires de pédophilie au cours des derniers mois, d’autres manifestations ont ensuite eu lieu dans le nord (Tétouan, Tanger) ou encore à Agadir (sud-ouest).
Le gouvernement dominé par les islamistes du Parti justice et développement (PJD) était, lui, resté très discret. Contacté jeudi dernier par l’AFP, le ministre de la Justice avait estimé qu’il n’était « pas habilité à commenter », tout en précisant que le pédophile gracié serait désormais interdit d’entrée au Maroc.
À titre individuel, un dirigeant du PJD, Abdelali Hamieddine, avait toutefois évoqué « une faute ».
S’il s’est peu à peu essoufflé, le mouvement pro-réformes du 20-Février, né en 2011, a été, pour sa part, très présent dans le mouvement de contestation de ces derniers jours.
Mais il n’y a pas que la société civile marocaine qu’une telle mesure choquait. C’est ainsi qu’en Algérie, Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH), a estimé que la grâce accordée au pédophile espagnol par le roi du Maroc est « une grave bévue ». Ce pédophile a été condamné à 30 ans de prison après avoir violé des enfants de 4 à 15 ans et avoir filmé ses actes. « Le Roi aurait pu être clément à l’égard du jeune sportif algérien condamné par la justice marocaine alors que sa culpabilité n’a pas été démontrée ».
Le site algérien algeriepatriotique.com est allé encore plus loin. Dans un éditorial au vitriol signé Kamel Moulfi et intitulé : « Peuple digne, roi soumis » on y lit : « Personne n’arrive encore à admettre qu’un tel fait aussi scandaleux puisse se produire chez nos voisins de l’ouest : le souverain marocain a décidé de gracier un violeur d’enfants espagnol, condamné à trente ans de prison ferme. Il ne faut pas aller loin pour trouver l’explication : la décision a été rendue au lendemain de la visite du roi d’Espagne. Inutile, également, d’insister longtemps pour faire comprendre qu’en Algérie, jamais pareille situation ne se serait produite. Aucune pression extérieure, quel que soit son rang, n’aurait sauvé de la peine capitale ce délinquant et encore moins aurait réussi à le faire bénéficier d’une grâce. La dignité du peuple marocain n’est pas, ici, mise en cause : non seulement la condamnation du violeur d’enfants, en mai 2011, avait été accueillie avec un grand soulagement mais déjà des organisations ont appelé à protester contre la remise en liberté du violeur d’enfants. Le peuple n’y est pour rien, les Marocains eux-mêmes sont victimes de la politique économique libérale qui leur est imposée de longue date et qui fait que le Maroc a accepté la place qui lui a été donnée dans la division internationale du travail : lieu touristique dominé par la pédophilie et la prostitution dont profitent les visiteurs étrangers. Les États-Unis, la France et les autres pays de l’Otan veillent à ce que le royaume chérifien ne sorte pas de cette situation de pays colonisé sous de nouvelles formes. »
Le même site publie le lendemain (3 août 2013) une lettre ouverte d’une « citoyenne » marocaine à Mohammed VI intitulée : « Vous avez offert le corps de onze petits enfants contre le Sahara »
« À l’heure où la société civile se démène, écrit l’auteur de la lettre, pour faire admettre un viol de deux jeunes filles de 17 ans par deux imbéciles dont le plus âgé a 30 ans, où des femmes et des hommes à travers le monde se mobilisent via les réseaux sociaux pour tenter de faire croire à un semblant de justice dans notre pays, une grâce royale vient foutre en l’air toutes ces énergies, ces espoirs et ces volontés. Nous, nous nous battons avec des lance-pierres et aujourd’hui on nous a sorti l’arme de destruction massive. Quand j’entends le ministre de la Justice dire qu’il avait prévenu le cabinet royal de la présence du nom du pédophile dans la liste à gracier, mais qu’il a simplement reçu l’ordre « d’exécuter » les directives du cabinet royal, j’avais envie de lui dire : « Sinon, toi ça va ? Comment tu te sens ? Tu n’as pas envie de te suicider, là, tout de suite ? Je veux dire, ta fierté, ta dignité en tant que responsable politique, en tant qu’être humain, en tant que Marocain, tu vois de quoi je parle ? Ou c’est un truc que votre gouvernement a définitivement perdu depuis que vous avez baissé votre froc jusqu’aux chevilles ? Des hommes ? Des responsables politiques ? Des musulmans ? Gouvernement islamique ? Foutaise ! Puis, j’ai essayé de me calmer un peu pour y voir un peu plus clair. J’ai essayé de taire l’émotionnel et l’affectif pour laisser parler le rationnel. Et mon rationnel m’a dit : ce sont peut-être des cadeaux classiques entre monarques, j’en sais rien moi, peut-être que c’est comme ça que ça se passe, tu me libères un pédophile, je te pistonne pour le Sahara ou pour tes dossiers foireux un peu partout, ou pour tes affaires personnelles, ou pour des trucs dont on ne peut même pas deviner la nature. »
En attendant de connaître le nom du lampiste va payer pour cette bévue royale, il ne fait pas de doute que cette affaire vient de fragiliser gravement le Makhzen, qui ne pourra plus désormais se cacher derrière des dociles exécutants pour s’en tirer à bon compte.