Richard Labévière, salue, sur l’excellent nouveau site mondafrique.com, l’un des meilleurs livres, « Je reviendrai à Tombouctou » (Ixelles éditions, juin 2013), consacrés ces temps-ci aux dernières tribulations sahélo-maliennes. L’ouvrage est écrit à trois mains: Shindouk Oulo Najim (chef touareg), Laurence Aïda Ammour (chercheur) et Jean-Luc Peduzzi (commissaire divisionnaire, spécialiste des questions de sécurité dans la bande sahélo-saharienne).
Le passionnant ouvrage dont je recommande la lecture, « je reviendrai à Tombouctou », apporte un regard inédit, non seulement sur le Mali actuel, mais aussi sur l’ensemble de l’arc de crises sahélo-sahariennes ; il déconstruit nombre d’idées reçues sur l’activisme islamiste africain ; enfin, il remonte aux causes essentielles : situations d’ « Etat faillis », criminalisation des économies, trafics de drogues, d’armes, d’êtres humains et pirateries maritimes. D’une manière plus générique, cet ouvrage pourrait s’intituler « Le Mali et le Sahel pour les nuls », tant il restitue très pédagogiquement les données d’un conflit complexe, ancien et ramifié. Le croisement des trois écritures en fait l’outil indispensable pour quiconque cherche à comprendre simplement le Sahel compliqué…
Shindouk Oulad Najim, un Touareg aux origines berabishs.
Shindouk est né dans la région de Tombouctou. Le territoire de sa tribu se situe à 120 kilomètres au nord-est de sa ville natale, à Iwa-Watane, sur la route de l’Azalai. Là, il a fait construire la première école du désert et réhabilité les puits de ses ancêtres. Shindouk a épousé une Américaine, Miranda, qui a vécu en brousse en Mauritanie chez les Peuls dont elle parle la langue. En mars 2012, Shindouk et sa famille ont fui, in extremis, la ville de Tombouctou investie par des groupes islamistes et sont allés se réfugier aux Etats-Unis, à proximité de la frontière canadienne, dans le village dont est originaire Miranda. Enfin, ils se sont établis en Nouvelle-Ecosse au Canada.
L’apparition du terrorisme dans les zones sahéliennes découle de la décennie sanglante algérienne (1988 – 1998) qui a causé quelque 200 000 victimes, un grand nombre de déplacés et de disparus. La filiation mortifère GIA (Groupes islamiques armés), GSPC (Groupes salafistes pour la prédication et le combat), AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamiques) et sa nébuleuse Ansar Eddine, MUJA, Boko Haram et autres intermittents du spectacle jihadiste a totalement changé la donne géopolitique régionale. Elle a provoqué et condensé une précipitation chimique en se mélangeant à deux autres composants tout aussi nocifs : la brillante expédition de canonnières menée par messieurs Bernard-Henri Lévy, Nicolas Sarkozy, David Cameron et l’OTAN en Libye au printemps 2011 ; le banditisme local, redéployé dès le début des années 2000 avec l’installation de tête de pont aéroportuaires – en Afrique de l’Ouest – des cartels latino-américains de la cocaïne.Dans ce contexte, nos trois auteurs nous expliquent parfaitement l’évolution de la question touareg et les mutations successives du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), ainsi que ses conséquences régionales et internationales.
Retour au découpage colonial
Par ailleurs, l’ouvrage déconstruit passablement de fantasmes dits, écrits et colportés sur l’opération Serval de l’armée française, ainsi que nombre de poncifs sur la Françafrique dont continuent à se délecter quelques élites parisiennes. Tant pis pour elles ! Enfin, et c’est certainement l’apport anthropologique essentiel de cette leçon magistrale, on saisit pleinement les conséquences du découpage colonial des frontières : « en fait, le Sud et le Nord ne se connaissent pas, même s’ils se rencontraient depuis très longtemps sur les marchés des rives du Niger où les nomades vendent le sel de Taoudenni pour acheter les produits de l’agriculture et de la pêche. Différence de race, de culture et de modes de vie, encore de nos jours, quand les Maliens du Sud parlent du Nord, on a souvent l’impression qu’ils parlent d’un autre pays. Dans ces conditions, qui au Sud s’intéresse aux problèmes des 3 à 4% de la population constitué par les gens du Nord qui vient dans les déserts ? »
En définitive, ce livre sera aussi indispensable à tous les acteurs qui œuvrent à une reconstruction d’avenir. Bien-sûr, celle-ci passe par la refondation d’appareils d’Etat équitables et crédibles, par la consolidation de structures d’un développement adapté et auto-centré, de même que par des moyens militaires de riposte terrestre et maritime. Mais tous ces efforts resteront vains si ne sont pas démantelées les opérations néfastes, sinon morbides de l’Arabie saoudite dans cette partie de l’Afrique. S’appuyant sur l’OCI (Organisation de la conférence islamique) et son bras financier – la BID (Banque islamique de développement) -, la monarchie pétrolière fabrique une wahhabisation des islams africains. A coups de pétrodollars, les nombreuses medressas (écoles coraniques) et ONG saoudiennes déstructurent patiemment les confréries traditionnelles des côtes de Mauritanie à celles de la Corne.
Cette politique traditionnelle du chéquier et de la Zakkat (impôt religieux) que mènent Riayd et les autres ploutocraties pétrolières en Afrique, constitue aujourd’hui l’un des principaux obstacles à son émergence économique, politique et culturelle. Encore une fois, il est absolument indispensable de lire cet ouvrage à six mains pour « revenir à Tombouctou… » Bonne lecture !
Richard Labévière
[1] Laurence Aïda Ammour, Shindouk Oulo Najim et Jean-Luc Peduzzi : Je reviendrai à Tombouctou. Ixelles éditions, juin 2013.
Source : Mondafrique
https://mondafrique.com/lire/editos/2014/02/09/je-reviendrai-a-tombouctou