Le président français Macron a récemment poussé à l’engagement de troupes étrangères en Ukraine. L’idée a été immédiatement rejetée par tous les pays qui seraient en mesure d’envoyer un nombre raisonnable de soldats.
La question est de savoir pourquoi Macron a soudainement lancé cette idée.
Par Moon of Alabama
Une série de rapports récents émanant de l’establishment français de la défense pourrait être à l’origine de son irritation.
Le magazine français Marianne a eu accès à « plusieurs rapports confidentiels défense » de l’armée française sur la situation en Ukraine.
Guerre en Ukraine : de la prudence à l’affolement… Ce que cache le virage de Macron(archived) – Marianne, Mar 7 2024
Voici quelques extraits de larges extraits :
La situation semble extrêmement sombre pour l’Ukraine, ce qui pourrait en partie expliquer les récentes déclarations de Macron sur l’envoi de troupes en Ukraine. J’ai traduit les parties importantes de l’article :
« Une victoire militaire ukrainienne semble désormais impossible »
Plusieurs rapports confidentiels défense, que Marianne a pu consulter, évoquent une « situation critique ».
Explication en trois constats, bien loin des discours officiels.
Premier constat : une victoire militaire ukrainienne semble désormais impossible. Pendant des mois, les chancelleries européennes ont voulu croire que la contre-ofensive de Kiev du printemps 2023, appuyée par du matériel occidental, allait renvoyer l’armée russe à Moscou. Rédigés cet automne, les « retex » (retours d’expérience) de l’opération sont accablants. « Elle s’est pro gressivement enlisée dans la boue et le sang et ne s’est soldée par aucun gain stratégique », écrit un rapport conidentiel défense sur « l’échec de l’offensive ukrainienne » auquel Marianne a eu accès. En amont, la planification, imaginée à Kiev et dans les états-majors occidentaux, s’est révélée « désastreuse ». « Les planiicateurs pensaient que dès que les premières lignes de défense russes seraient franchies, l’ensemble du front s’effondrerait […] Ces phases préliminaires fondamentales ont été faites sans tenir compte des forces morales de l’ennemi en défensif : c’est-à-dire la volonté du soldat russe de s’accrocher au terrain », constate ce rapport évoquant « la faillite de la planiication » du camp occidental.
Déséquilibre des forces
Autre leçon, l’insuisance de la formation des soldats et des cadres ukrainiens : « Les brigades nouvellement constituées l’ont essentielle- ment été sur le plan administratif » et les formations n’ont pas duré plus de trois semaines. Faute de cadres et d’un volume de vétérans signiicatif, ces « soldats de l’an II » ukrainiens ont été lancés à l’assaut « d’une ligne de fortiication russe qui s’est avérée inexpugnable ». Sans aucun appui aérien, avec du maté- riel occidental disparate et moins performant que l’ancien matériel soviétique (« vétuste, facile d’entre- tien, et apte à être utilisé en mode dégradé », mentionne le rapport), les troupes ukrainiennes n’avaient aucun espoir de percer. (…)
« L’archidomination russe dans le domaine du brouillage électronique pénalisant, côté ukrainien, l’utili- sation de drones et les systèmes de commandement ». « L’armée russe est aujourd’hui la référence “tactique et technique” pour penser et mettre en œuvre le mode défensif », écrit le rapport. Non seulement Moscou dispose d’engins lourds du génie lui ayant permis de construire des ouvrages défensifs (« absence presque totale de ce matériel côté ukrainien, et impossibilité des Occidentaux d’en fournir rapide- ment ») mais les 1 200 km de front, dits ligne Sourokovine (du nom d’un général russe), ont été minés dans des proportions énormes (7 000 km de mines).
Autre constatation, « les Russes ont aussi su gérer leur troupe de réserve, pour garantir l’endurance opérationnelle ». Selon ce docu- ment, Moscou renforce ses unités avant leur usure complète, mélange les recrues à des troupes aguerries, ménage des périodes de repos à l’ar- rière régulières… et « a toujours eu un réservoir de force cohérent pour gérer les imprévus ». On est bien loin de l’idée répandue à l’ouest d’une armée russe envoyant ses troupes à la boucherie sans compter… « À ce jour, l’état-major ukrainien ne dispose pas d’une masse cri- tique de forces terrestres aptes à la manœuvre interarmées à l’échelon du corps d’armée capables de déier leurs homologues russes en vue de percer sa ligne défensive », conclut ce rapport confidentiel défense, selon lequel « la plus grave erreur d’analyse et de jugement serait de
continuer à rechercher des solutions exclusivement militaires pour arrêter les hostilités ». Un gradé français résume : « Il est clair, au vu des forces en présence, que l’Ukraine ne peut pas gagner cette guerre militairement. »
Deuxième constat : le conflit est entré dans une phase critique en décembre. Selon nos sources militaires à Paris, l’armée ukrainienne est passée, contrainte et forcée, en mode défensif. « La combativité des soldats ukrainiens est profondément affectée », mentionne un rapport prospectif sur l’année 2024. « Zelensky aurait besoin de 35 000 hommes par mois, il n’en recrute pas la moitié, alors que Poutine pioche dans un vivier de 30 000 volontaires mensuels », constate un militaire rentré de Kiev. En matière de matériel, la balance est tout aussi déséquilibrée : l’offensive ratée de 2023 aurait « tactique- ment détruit » la moitié des 12 brigades de combat de Kiev.
Depuis, l’aide occidentale n’a jamais été aussi basse. Il est donc clair qu’aucune offensive ukrainienne ne pourra être mise sur pied cette année. « L’Occident peut fournir des imprimantes 3D pour fabriquer des drones ou des munitions rôdeuses, mais ne pourra jamais imprimer des hommes », constate ce rapport. « Compte tenu de la situation, il a pu être envisagé de renforcer l’armée ukrainienne, non pas en combattants, mais avec des forces d’appui, à l’arrière, permettant de libérer les soldats ukrainiens pour le front », admet un haut gradé.
Les rapports soulignent également « l’insuffisance de la formation des soldats et des officiers ukrainiens » : en raison d’un manque d’officiers et d’un nombre important de vétérans, ces « soldats de l’an II » ukrainiens – souvent formés pendant « pas plus de trois semaines » – ont été lancés à l’assaut d’une ligne de fortification russe qui s’est avérée inexpugnable.
Des gens qui n’avaient jamais entendu parler de la bataille de Koursk se sont convaincus que les soldats russes en position défensive s’enfuiraient dès qu’ils entendraient le grondement d’un char dans leur direction. Bien entendu, ils ne l’ont pas fait.
Ces troupes russes sont bien encadrées et soignées :
Les rapports soulignent également que, contrairement à l’Ukraine, « les Russes ont bien géré leurs troupes de réserve, afin d’assurer leur endurance opérationnelle ». Selon ce document, Moscou renforce ses unités avant qu’elles ne soient complètement usées, mélange les recrues avec des troupes expérimentées, assure des périodes de repos régulières à l’arrière… et « a toujours disposé d’une force de réserve cohérente pour gérer les événements imprévus ». On est loin de l’idée répandue en Occident d’une armée russe envoyant ses troupes à l’abattoir sans compter…
De l’autre côté, les Ukrainiens n’ont plus rien à faire :
« A ce jour, l’état-major ukrainien ne dispose pas d’une masse critique de forces terrestres capables de manœuvres interarmes au niveau du corps d’armée, capables de défier leurs homologues russes pour percer sa ligne de défense », conclut ce rapport confidentiel de défense, selon lequel « la plus grave erreur d’analyse et de jugement serait de continuer à rechercher des solutions exclusivement militaires pour mettre fin aux hostilités ». Un officier français résume : »Il est clair, compte tenu des forces en présence, que l’Ukraine ne peut pas gagner cette guerre militairement ».
Le risque de rupture russe est réel. C’est la dernière leçon en date du front ukrainien, qui donne des sueurs froides aux observateurs de l’armée française écrit Marianne. Le 17 février, Kiev a dû abandon- ner la ville d’Avdiïvka, dans la banlieue nord de Donetsk, qui faisait figure jusque-là de bastion fortiié. « C’était à la fois le cœur et le symbole de la résistance ukrainienne dans le Donbass russophone », souligne un rapport sur la « bataille d’Avdiïvka », tirant une série de leçons accablantes. « Les Russes ont changé leur mode opératoire en compartimentant la ville, et surtout en utilisant pour la première fois à grande échelle des bombes planantes », constate ce document. Quand un obus d’artillerie de 155 mm transporte 7 kg d’explosif, la bombe planante en projette entre 200 et 700 kg et peut donc percer des ouvrages bétonnés de plus de 2 m. Un enfer pour les défenses ukrainiennes, qui auraient perdu plus de 1 000 hommes par jour.
De plus, les Russes utilisent des réducteurs de son sur les armes légères d’infanterie afin de déjouer les systèmes de détection acoustique sur le terrain. « La décision de repli des forces armées ukrainiennes a été une surprise », constate ce dernier rapport, soulignant « sa soudaineté et son impréparation », faisant craindre que ce choix ait été « plus subi que décidé par le commandement ukrainien », évoquant un possible début de « débandade ». « Les forces armées ukrainiennes viennent tactiquement de montrer qu’elles ne possèdent pas les capacités humaines et matérielles […] pour tenir un secteur du front qui est soumis à l’efort de l’assaillant », poursuit le document.
En conséquence, les forces russes continueront tout simplement à avancer :
L’art de la “Maskovkira”
Reste à savoir ce que les Russes feront de ce succès tactique. Continueront-ils sur le mode actuel « d’un grignotage et d’un ébranlement lent » de l’ensemble de la ligne de front ou chercheront-ils à « percer dans la profondeur » ? « Le terrain derrière Avdiïvka le permet », signale ce document récent, avertissant aussi que les sources occidentales ont tendance à « sous-estimer » les Russes, eux-mêmes adeptes de la pratique de la « Maskovkira », « consistant à paraître faible quand on est fort ». Selon cette analyse, après deux ans de guerre, les forces russes ont donc montré leur capa- cité à « développer une endurance opérationnelle » qui leur permet de mener « une guerre de lente et longue intensité basée sur l’attrition continue de l’armée ukrainienne ». Un constat pessimiste pour la suite.
Est-ce cette situation straté- gique nouvelle, où l’armée russe semble en position de force face à une armée ukrainienne à bout de souffle, qui a conduit Emmanuel Macron, « en dynamique », comme il l’a glissé, à envisager des renforts de troupes ? Une perspective réaliste face à la situation opérationnelle du moment, qualiiée de « critique » par des observateurs de terrain. « Mais ce qui peut paraître réaliste d’un strict point de vue tactique peut se révéler irréaliste d’un point de vue stratégique et diplomatique », sou- pire un gradé français.
Il n’y a rien de vraiment nouveau dans ce qui précède pour ceux qui ont suivi les faits sur le terrain.
Alors pourquoi les médias occidentaux et les politiciens comme Macron ont-ils tardé à reconnaître la situation réelle ?
Par Moon of Alabama
Traduit par Brahim Madaci