Le Premier ministre Rishi Sunak est en poste depuis moins de 18 mois. Il est entré à Downing Street sur l’avis de quelques centaines de députés conservateurs lors d’une course à la direction du parti. Il était alors le troisième premier ministre conservateur en l’espace de sept semaines, après la démission de Boris Johnson suite au scandale COVID ‘Partygate’, puis de Liz Truss, élue par quelques dizaines de milliers de membres du parti conservateur, qui n’est restée au pouvoir que 44 jours.
Les conservateurs de Sunak accusent un retard d’environ 20 points sur le Parti travailliste [Labour] dans les prévisions, qui indiquent régulièrement qu’ils seront balayés lors des prochaines élections législatives, tenues plus tard cette année.
L’idée d’une nouvelle élection à la tête du parti, que la plupart des députés conservateurs qualifiaient auparavant de «suicide» politique, devient de plus en plus populaire. Sky News a rapporté dimanche qu’«alors que la misère et le désespoir frappent le Parti conservateur, le discours sur le changement de direction s’amplifie». «L’humeur des députés conservateurs s’assombrit alors que Rishi Sunak est confronté à des questions sur son leadership » a commenté la BBC lundi.
Les alliés de Sunak ont été contraints de briefer le Times lundi matin, disant qu’«il serait prêt à convoquer des élections législatives si les rebelles imposaient une course à la direction…. Les gens devraient faire attention à ce qu’ils souhaitent».
L’ancien ministre de la Défense Ben Wallace, l’un des 60 députés conservateurs qui partiront aux prochaines élections, a résumé l’état d’esprit en déclarant à Times Radio: «Il arrive un moment dans le cycle électoral où l’on met son plus beau costume, on se lève, on marche vers le feu des canons et on continue son travail».
La ministre ‘fantôme’ conservatrice Penny Mordaunt est la première opposante potentielle à être nommée, ce qui laisse présager un nouveau glissement vers la droite. Dimanche, le Daily Telegraph, le journal des conservateurs, a rappelé qu’«en 1990, un défi lancé par Sir Anthony Meyer a conduit à l’élection qui a fait tomber Margaret Thatcher. Depuis lors, les règles ont changé de sorte qu’un tel candidat ne peut pas simplement se lancer lui-même dans la compétition avec une poignée de partisans».
Le journal ajoute: «Dans le cas présent, certains députés de la droite du parti s’engagent à soutenir Mordaunt de telle manière qu’elle devienne effectivement une candidate ‘homme de paille’ derrière lequel les députés de tout le parti pensent pouvoir s’unir, au motif que de nombreux députés centristes pourraient ne pas vouloir soutenir des candidats potentiels tels que [la secrétaire d’État aux Affaires] Mme [Kemi] Badenoch et Suella Braverman».
La crise de Sunak s’est intensifiée la semaine dernière lorsqu’il est apparu que le plus grand donateur du Parti Conservateur, Frank Hester — un homme d’affaires qui a donné au parti 10 millions de livres au total et qui serait prêt à donner 5 millions de livres supplémentaires, ou qui l’a déjà fait, pour la campagne électorale de cette année — avait fait une série de commentaires racistes virulents. En 2019, il avait déclaré à propos de la députée travailliste noire Diane Abbott, «on voudrait juste haïr toutes les femmes noires parce qu’elle est là» et qu’elle «devrait être abattue».
Plusieurs conservateurs de haut rang ayant trouvé des excuses aux commentaires ignobles de Hester, il a fallu toute une journée pour que Downing Street présente enfin des excuses en serrant les dents. Le porte-parole de Sunak déclara que ces commentaires étaient «racistes et erronés», mais que Hester «s’est maintenant excusé à juste titre pour l’offense causée, et lorsqu’on manifeste des remords, ils faut les accepter».
Sunak avait toutes les raisons de vouloir tourner la page rapidement. Le Guardian a rapporté samedi que Hester aurait participé à deux collectes de fonds conservatrices au cours de l’année écoulée, y compris en juin où il a été photographié en compagnie du Premier ministre. «Le Premier ministre aurait également rencontré Hester à Leeds le lendemain de la déclaration d’automne, en novembre, où le donateur a payé 16.000 livres pour que Sunak se rende en hélicoptère dans cette ville pour une visite politique», ajoute le journal.
Hester a également entretenu des relations étroites avec l’actuel ministre des Affaires étrangères et ex-premier ministre David Cameron, ainsi qu’avec l’actuel ministre des Finances et ex-ministre de la Santé Jeremy Hunt.
Sunak s’est également montré prudent dans sa réponse aux commentaires de Hester car il est toujours confronté aux réactions de l’extrême droite de son parti pour avoir suspendu son vice-président conservateur Lee Anderson, qui a ensuite fait défection pour rejoindre le Reform Party. Anderson avait déclaré lors d’une émission en direct que les «islamistes» avaient «pris le contrôle [du maire travailliste de Londres, Sadiq] Khan [lui-même musulman]….». Il a effectivement donné notre capitale à ses copains».
Le député était extrêmement populaire auprès du groupe de conservateurs ‘Brexiteer’ qui a remporté une série de sièges «Red Wall» [bastions travaillistes] lors de la victoire électorale de Boris Johnson sur Jeremy Corbyn en 2019. Le Reform Party — anciennement le Brexit Party de Nigel Farage — fait campagne en tant qu’alternative plus résolument anti-immigration et anti«woke» au Parti conservateur, et réalise des scores entre 10 et 14 pour cent dans les sondages, représentant une menace mortelle pour les chances électorales du Parti conservateur.
Il est important de noter que Johnson, évincé suite à la démission de Sunak de son poste de ministre des Finances, et qui nourrit depuis lors une énorme rancune, fait déjà campagne dans ces ex-bastions travaillistes. Il est prêt à le faire dans une élection parlementaire, demandant «au parti de rappeler aux électeurs des ‘Red Wall’ les éléments clés du manifeste qui lui a permis de remporter un raz-de-marée il y a cinq ans, y compris sa politique phare [le Brexit]», selon le jounal « i ».
Dans une situation d’effondrement des Tories apparemment sans solution, la classe dirigeante collabore étroitement avec le Parti travailliste de Sir Keir Starmer pour préparer un remplacement politiquement identique afin de sauver le capitalisme britannique, avec un gouvernement crachant le racisme moins ouvertement.
Il convient toutefois de noter que le voyage d’Anderson dans les égouts politiques de l’extrême droite a commencé au sein du Parti travailliste. Il a longtemps été membre et conseiller municipal de ce parti. Ancien mineur du bassin minier du Nottinghamshire, notamment lors de la grève de 1984-1985, il a été élu pour le Parti travailliste au conseil de district d’Ashfield en 2015. Il a quitté le parti pour rejoindre le Parti conservateur en 2018, se plaignant d’avoir été «récupéré par la gauche dure» sous Corbyn.
Conservateurs et travaillistes sont tout à fait d’accord sur les questions fondamentales de dépenses militaires – ils soutiennent à la fois la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine et le génocide d’Israël à Gaza – et de poursuite de l’austérité pour faire payer la classe ouvrière. Ils s’accordent sur un nouvel assaut contre les droits démocratiques pour mettre en œuvre cet agenda, les manifestations anti-guerre et l’opposition au génocide étant qualifiées d’«extrémisme».
Rachel Reeves, ministre fantôme des Finances travailliste, promet depuis des années qu’elle fera preuve d’une «discipline à toute épreuve» pour limiter les dépenses sociales. La semaine dernière, alors que le conseil municipal de Birmingham, en faillite, imposait des coupes dans les dépenses de 300 millions de livres et au milieu d’avertissements que la moitié des conseils municipaux du pays étaient menacés de faillite, Rachel Reeves a refusé de dire qu’un gouvernement travailliste les renflouerait pour protéger les services vitaux.
S’adressant à Trevor Phillips sur Sky News, elle a déclaré: «Je ne pourrai pas régler tous les problèmes immédiatement…. Je ne me fais pas d’illusions sur l’ampleur du défi dont j’hériterai si je deviens ministre des Finances dans le courant de l’année, et je dois être honnête avec les gens».
Les travailleurs doivent regarder en face le fait qu’avant et après les élections, quel qu’en soit le résultat, ils sont confrontés à la même lutte contre un parti commun Tory-Labour qui prône l’austérité et la guerre. Il est urgent de construire une direction politique d’alternative et socialiste dans la classe ouvrière. Telle sera la perspective défendue par le Parti de l’égalité socialiste et ses candidats aux prochaines élections législatives.
(Article paru en anglais le 18 mars 2024)
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