
Illustration The Cradle
La récente visite de Hossein Amir-Abdollahian, ministre iranien des Affaires étrangères, à Damas n’était pas une visite de routine. L’un de ses principaux objectifs était de dissiper un malentendu surgi entre les deux pays après la rencontre turco-syrienne à Moscou.
Par Rania Berro
Tous les problèmes géopolitiques vitaux en Asie occidentale sont liés d’une manière ou d’une autre à Damas et à Téhéran, et les deux alliés sont bien conscients de leur position centrale dans l’orientation politique et sécuritaire de la région. Lorsque l’Iran et la Syrie interviennent dans une crise, les problèmes peuvent soit être résolus, soit complètement sabordés.
Malgré leurs crises intérieures respectives et les efforts incessants de l’Occident pour intensifier la dissidence interne par le biais de blocus et de sanctions économiques, Damas et Téhéran restent un axe clé pour dessiner la carte de la région.
La relation n’est cependant pas sans désaccords et a récemment subi des frictions lors des efforts de rapprochement turco-syriens – en particulier lors de la réunion à Moscou des ministres de la Défense turc, russe et syrien en décembre dernier.
Une source politique syrienne a déclaré à The Cradle Arabic que la visite du ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian à Damas le 14 janvier n’était pas simplement pour montrer que Téhéran a surmonté sa crise intérieure, qui a commencé par des manifestations en septembre avant de se dissiper en petite émeutes mais meurtrières.
En plus de rassurer ses alliés sur le fait que l’Iran avait les choses en main, Amir-Abdollahian a cherché à dissiper la confusion avec la Syrie au sujet de la réunion de Moscou. Damas, selon la source syrienne, n’avait pas informé son allié iranien de l’étendue de ses contacts avec Ankara, malgré le fait que la République islamique ait fréquemment servi de médiateur entre les deux voisins adversaires.
La source affirme que le gouvernement turc a tenu Téhéran informé des développements à Moscou, contrairement à Damas, ce qui a bouleversé les Iraniens.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a confirmé après sa rencontre avec Amir-Abdollahian le 17 janvier, qu' »Ankara a informé l’Iran des pourparlers qui ont eu lieu jusqu’à présent entre la Turquie et la Syrie, dans le cadre de la coordination du volet Astana ».
Cette « mauvaise gestion » ou « défaillance » dans la communication a été rapidement traitée à Damas. En guise d’édulcorant, les Syriens ont fortement insisté sur le rôle de l’Iran dans le processus d’Astana pour faire progresser les contacts et les ententes avec Ankara. Les discours de leurs ministres des Affaires étrangères respectifs ont réitéré la réussite de Téhéran dans l’établissement des pourparlers d’Astana en 2017 et la mise en place des communications turco-syriennes sur leur chemin actuel.
L’Iran contre la Russie ?
Les relations entre Téhéran et Moscou sur le territoire syrien sont très particulières. Face aux synergies croissantes entre les deux puissances eurasiennes en Syrie, l’Occident et ses clients arabes du Golfe s’inquiète et s’emploie à semer la zizanie entre elles, en poussant la Russie à réduire « influence iranienne » au Levant.
La Russie et l’Iran ont souvent des points de vue différents sur les alliances les plus avantageuses de la Syrie alors qu’elle émerge d’une décennie de guerre. Alors que Téhéran s’est concentré sur l’apaisement des tensions entre Damas et Ankara, les Russes ont plutôt poussé à la normalisation des relations entre la Syrie et les États arabes du golfe Arabo-Persique.
Lorsque l’Arabie saoudite a semblé réticente à faire un pas vers Damas, le président russe Vladimir Poutine a réussi à faire appel aux Émirats arabes unis, qui est un État du Golfe désireux de diluer « l’emprise iranienne sur Assad ».
Les Russes veulent élaborer une nouvelle carte politique pour la Syrie, qui comprend l’élaboration de plans de reconstruction et la sécurisation du soutien et des investissements des États du Golfe – le tout dans le cadre d’un plan intégré, accompagné de changements politiques, qui incluent des éléments « non terroristes » de l’opposition syrienne.
La visite d’Amir-Abdollahian a également abordé la question du voyage reporté du président iranien Ebrahim Raisi en Syrie plus tôt cette année. Alors que les tensions à l’intérieur de l’Iran ont certainement joué un rôle dans le report de la visite du président iranien, l’omission délibérée de Damas d’informer à l’avance Téhéran de la réunion de Moscou a également contribué à cette décision.
La visite d’Amir-Abdollahian visait également à remettre le voyage de Raisi sur les rails. Il a passé trois heures à discuter avec Assad et leurs équipes respectives des nombreux dossiers de la région – des pourparlers sur le nucléaire iranien à Vienne et des initiatives de rapprochement entre Damas et Ankara, aux dialogues régionaux de Téhéran avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et d’autres.
Au cours de la réunion, l’accent a été mis sur les efforts extérieurs visant à creuser des écarts entre l’Iran et la Syrie. Assad a souligné que Damas est « désireux de communiquer et de coordonner en permanence ses positions avec l’Iran, d’autant plus que l’Iran a été l’un des premiers pays à soutenir le peuple syrien dans sa guerre contre le terrorisme », et que cette coordination « revêt une importance primordiale » en ce moment particulier, qui connaît des développements régionaux et internationaux rapides, afin de réaliser les intérêts communs des deux pays.
Après l’arrêt d’Abdollahian à Damas, le ministre syrien de la Défense, Ali Abbas, s’est également rendu à Téhéran pour remédier à la « défaillance » de la communication concernant la réunion de Moscou, développer de nouvelles lignes de coopération entre les deux alliés et entraver les efforts étrangers visant à tendre leurs relations.
Vision stratégique commune
Téhéran, selon une source officielle iranienne, est convaincu que le rapprochement entre la Syrie et la Turquie « sert sa stratégie qui vise principalement à éliminer les forces américaines à l’est de l’Euphrate ».
L’un des gains de l’évolution des relations entre Damas et Ankara est la conviction commune irano-russe que la position polarisante de la Turquie au sein de l’OTAN est un clou stratégique dans le cercueil de l’occupation américaine en Syrie.
L’Iran voit aussi ce dialogue au service d’un autre projet : « Une opportunité pour les pays sanctionnés par Washington d’établir une coopération économique leur permettant de constituer une chaîne d’approvisionnement qui dépasse les lignes de blocus des sanctions américaines et d’en atténuer les effets », selon au responsable iranien.
Lors de sa visite à Damas, Amir-Abdollahian et son homologue syrien, le ministre des Affaires étrangères Faisal Mekdad, « ont convenu de renouveler le document de coopération stratégique entre les deux pays ». Il a souligné que son pays avait pleinement confiance dans les positions et décisions syriennes, et estime que tout dialogue entre la Syrie et la Turquie, s’il est sérieux, est une étape positive dans l’intérêt des deux pays et de la région.
Davantage de pétrole iranien pour la Syrie
Compte tenu du blocus et des sanctions extrêmes des États-Unis contre le peuple syrien, Damas cherche activement des moyens d’approfondir et de développer les relations économiques avec l’Iran, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des communications et des échanges de matières premières.
Dans un rapport du 15 janvier, le Wall Street Journal a décrit les liens économiques entre les deux alliés comme totalement opportunistes : « L’Iran a utilisé de l’argent et du pétrole bon marché pour étendre son influence en Syrie, car l’Iran et la Russie sont les principaux sponsors militaires de Bachar al-Assad, ce qui l’aide à réprimer la révolution qui a commencé lors des soulèvements du printemps arabe en 2011. »
Ces dernières semaines, des responsables iraniens auraient déclaré à leurs homologues syriens que Damas devra désormais payer davantage pour des expéditions de pétrole supplémentaires, car la demande culmine en hiver. Téhéran aurait également exigé que Damas paie à l’avance le pétrole et rejeté de nouvelles demandes de remboursement de la dette.
Mais la réalité est tout à fait à l’opposé des affirmations des médias occidentaux. La Syrie a cherché pendant de nombreuses années à contourner les efforts des États-Unis pour détruire son économie, par son blocus oppressif, ses sanctions, le vol de pétrole et l’imposition de milices armées pour contrôler les principales installations pétrolières. Ce sont les Iraniens qui ont pris l’initiative de fournir du pétrole au peuple syrien, en utilisant un mécanisme innovant de « ligne de crédit » pour éviter les sanctions occidentales.
Mais récemment, Damas a rencontré des difficultés pour pouvoir affréter des navires de transport et a demandé au gouvernement iranien de prendre en charge la fonction de transport et d’expédition du pétrole iranien vers la Syrie en tant que service supplémentaire, en plus d’augmenter sa part des expéditions de pétrole.
Les dirigeants iraniens ont confié à leur ministère du Pétrole et au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), le commandant de la force Al-Qods, le général de brigade Ismail Qaani, la résolution de cette crise en augmentant la part de la Syrie dans le pétrole iranien et en assurant les navires de transport nécessaires. Le pétrolier le plus récent est arrivé dans le port syrien de Banias le 17 janvier dans le but d’atténuer la crise pétrolière du pays.
Les États-Unis et Israël s’inquiètent de la production d’armes entre l’Iran et la Syrie
Malgré les rumeurs persistantes de ruptures dans les relations irano-syriennes, les projets militaires conjoints restent la preuve la plus claire de l’expansion de leurs liens. En Asie occidentale, aucune question ne préoccupe plus Tel-Aviv et Washington que la localisation de la production d’armes iraniennes dans des États alliés, comme la Syrie.
Le 11 janvier, Newsweek a cité une source de renseignement alliée aux États-Unis affirmant que l’Iran « cherchait à établir un réseau complet de défense aérienne en Syrie en envoyant du matériel et du personnel dans ce pays arabe déchiré par la guerre », dans le cadre d’un projet qu' »Israël a cherché à contrecarrer » à travers des frappes aériennes répétées.
Dans un reportage du 9 janvier sur le site Web des services de renseignement géopolitique , le journaliste Pierre Boussil écrit que des agents des services de renseignement iraniens collectent du matériel militaire neuf, usagé ou partiellement détruit dans les zones de conflit en Syrie, et le « rétro-conçoivent » pour développer des armes dans des usines établies à l’intérieur de la Syrie.
Reuters cite également des sources de renseignement occidentales et régionales affirmant que les frappes aériennes illégales d’Israël sur la Syrie visent les centres de production de missiles iraniens – pour stopper ce qu’il appelle une « expansion militaire cachée » de Téhéran.
Le crépitement incessant de reportages spéculatifs dans les médias de pays hostiles à « l’Axe de la Résistance » syro-iranien confirme que ce partenariat ne s’est en aucun cas effiloché et reste une préoccupation majeure pour l’Occident et Israël. Au contraire, les coups incessants – économiques, politiques et militaires – contre des cibles syriennes et iraniennes garantissent le renforcement solide, coopératif et stratégique de leurs liens mutuels.
Par Rania Berro
The Cradle.
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