Téhéran affirme avoir construit un missile hypersonique, mais il y a de nombreuses raisons de douter de cette affirmation qui fait l’effet d’une bombe. (Revue de presse-Asia Times).
Par Gabriel HONRADA
L’Iran semble avoir mis au point une arme hypersonique à l’aide d’une technologie russe acquise en échange d’armements fournis par la Russie dans le cadre de la guerre que mène Moscou en Ukraine. Si cela s’avère vrai, il fera dresser les antennes aux États-Unis et parmi ses alliés stratégiques.
Ce mois-ci, l’agence de presse semi-officielle iranienne Tasnim a rapporté que l’Iran avait « construit une arme hypersonique capable d’échapper aux systèmes de défense aérienne avancés de l’ennemi et de les frapper ».
Selon le général Amir Ali Hajizadeh, du Corps des gardiens de la révolution iranienne (CGRI), l’arme hypersonique de l’Iran représente une avancée significative pour son programme de missiles. Il a affirmé avec fierté que la nouvelle arme peut entrer et sortir de l’atmosphère, qu’elle peut pénétrer tous les systèmes de défense antimissile connus et que les adversaires ne seront pas en mesure de développer des contre-mesures suffisantes avant des décennies.
Cependant, Reuters mentionne qu’il n’existe aucun rapport connu indiquant que l’Iran a déjà testé une arme hypersonique et que, bien qu’elle dispose d’une vaste industrie nationale de l’armement, la République islamique est connue pour exagérer ses capacités militaires.
Un exemple de cette exagération est l’avion de combat furtif Qaher-313 de l’Iran, que les analystes occidentaux ont largement rejeté comme étant faux.
Dans son article pour The Aviationist, David Cenciotti identifie plusieurs indices qui montrent que le Qaher-313 de l’Iran n’est qu’une grande maquette, notamment ses instruments de vol très basiques, l’absence de câblage dans le cockpit, une section avant trop petite pour accueillir un radar, des prises d’air extrêmement petites et l’absence d’une tuyère de moteur qui pourrait faire fondre l’avion avec la postcombustion.
Il note également que même si l’Iran a diffusé des images vidéo du Qaher-313 en vol, il semble s’agir d’un modèle réduit télécommandé et que si l’avion avait réellement volé, l’Iran aurait diffusé des images de son décollage et de son atterrissage.
Les observateurs internationaux doivent donc prendre avec un grain de sel les affirmations de l’Iran selon lesquelles il aurait développé une arme hypersonique. Néanmoins, l’Iran continue de construire un arsenal massif de missiles et le développement d’une arme hypersonique pourrait faire partie de ses priorités et de ses capacités.
Dans un rapport d’avril 2017, J Matthew McInnis affirme que la force de missiles balistiques de l’Iran est au cœur de sa stratégie de dissuasion et qu’aucune partie du complexe industriel de défense iranien n’a bénéficié d’autant d’investissements ou d’attention.
McInnis note également que la Chine, la Corée du Nord et la Russie ont aidé l’Iran dans son programme de missiles et qu’il pourrait tenter de développer des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM).
Cependant, selon lui, l’Iran a toujours du mal à rendre ses missiles suffisamment précis pour un usage offensif, car il ne parvient pas à développer un ensemble de stabilisation et de guidage de précision adéquat pour ses forces de missiles. L’Iran pourrait donc avoir demandé une contrepartie dans son partenariat stratégique avec la Russie, en échangeant une assistance en matériel militaire contre un savoir-faire en matière d’hypersonique et de nucléaire technique.
En juillet dernier, Asia Times a fait état des premiers plans de la Russie pour acquérir des drones auprès de l’Iran. Cette décision est très probablement motivée par la nécessité de remplacer rapidement les pertes au combat, le manque de drones avancés et les limites de l’industrie russe des drones.
En outre, les connaissances approfondies de l’Iran en matière de technologie des drones et son réseau bien établi pour échapper aux sanctions visant les composants d’armes ont pu inciter la Russie à acquérir des drones auprès de l’Iran.
Outre les drones, Asia Times a fait état en août du lancement du satellite d’imagerie iranien Khayyam, qui pourrait être en fait un satellite russe Kanopus-V équipé de caméras d’imagerie haute résolution. La Russie pourrait également chercher à utiliser le Khayyam pour surveiller l’activité militaire ukrainienne et repérer des cibles, une possibilité que l’Iran a démentie avec véhémence.
La guerre en Ukraine a toutefois mis en évidence les déficiences des satellites militaires russes. Dans un article publié en mai 2022 pour la Jamestown Foundation, Pavel Luzin note que si la Russie dispose de 102 satellites militaires en orbite, elle n’a pas été en mesure d’éliminer les infrastructures militaires, l’aviation et les installations de défense aérienne de l’Ukraine en raison d’une pénurie de satellites optiques ouverts et de radars à ouverture synthétique et d’un manque de satellites et de terminaux de communication.
Il est donc plausible que la Russie se tourne vers l’Iran pour compléter ses capacités satellitaires. En outre, l’Iran pourrait fournir à la Russie des missiles balistiques pour reconstituer les stocks épuisés de cette dernière.
En octobre dernier, Asia Times a rapporté que l’Iran prévoyait d’envoyer sa première cargaison de missiles balistiques à courte portée (SRBM) Fateh-110 et Zolfaghar à la Russie, dont l’arsenal de missiles a été largement épuisé en Ukraine et qui a du mal à remplacer ces munitions coûteuses en raison de sa dépendance surprenante à l’égard des puces électroniques de fabrication occidentale, désormais bloquées par les sanctions.
Bien que la Russie ait pris des mesures pour reconstituer ses stocks de missiles en baisse, elle pourrait devoir agir plus rapidement en fonction de l’évolution de la guerre.
Étant donné l’aide substantielle que l’Iran a apportée à la Russie pour la guerre en Ukraine, Téhéran pourrait demander des faveurs à la Russie pour l’aider dans ses armes hypersoniques et ses programmes nucléaires.
Dans le livre Repairing the Regime : Preventing the Spreading of Weapons of Mass Destruction, Robert Galluci note que l’aide russe a été essentielle pour réduire le temps pendant lequel l’Iran a pu développer, fabriquer et déployer des missiles balistiques à moyenne portée (MRBM), avec vraisemblablement quelques améliorations qualitatives.
Galluci mentionne que l’aide russe pourrait permettre à l’Iran de progresser dans la fabrication de missiles balistiques à portée intermédiaire (IRBM) ou même d’ICBM. Dans le même ouvrage, Robbie Sahel note que l’Iran a besoin de la technologie russe des moteurs de fusée pour construire des missiles de plus longue portée et que des sociétés et entités russes ont aidé le projet de développement de missiles de l’Iran, avec des implications pour le développement d’armes hypersoniques.
En ce qui concerne le programme nucléaire iranien, CNN a rapporté ce mois-ci que les responsables des services de renseignement américains pensent que l’Iran a demandé l’aide de la Russie pour acquérir du matériel nucléaire supplémentaire et la fabrication de combustible nucléaire afin d’alimenter ses réacteurs et de raccourcir son temps de rupture pour créer une arme nucléaire.
Bien que la source mentionne que le risque de prolifération nucléaire dépend du réacteur dans lequel le combustible est utilisé, il n’est pas certain que la Russie ait décidé de l’aider, car elle s’est opposée, du moins en apparence, à ce que l’Iran obtienne une arme nucléaire.
Si elle est avérée, la contribution apportée par la Russie aidera l’Iran à mettre en œuvre une stratégie de latence nucléaire, qui vise à obtenir les capacités nécessaires pour assembler une arme nucléaire dans un délai très court. Dans le cadre de cette stratégie, l’Iran peut prétendre techniquement ne pas posséder d’armes nucléaires, mais disposer de la technologie, des ressources, des matériaux et des systèmes de livraison nécessaires pour les assembler rapidement si et quand le besoin s’en fait sentir.
Par GABRIEL HONRADA
12 NOVEMBRE 2022
Asia Times
https://asiatimes.com/2022/11/did-russia-help-iran-build-a-hypersonic-weapon/