Individuels au Mali, les réseaux sont davantage organisés en Syrie.
Trois mois après le début de l’opération militaire française au Mali contre des islamistes armés et deux ans après celui de la guerre civile en Syrie qui a ouvert un nouveau front, la France distingue mieux la nature de la menace djihadiste venant de son sol.
Les experts judiciaires et policiers constatent, en effet, le développement d’une forme de » nomadisme individuel « , selon les termes d’un membre de la communauté du renseignement, qui irrigue aussi bien la région du Sahel, de manière » résiduelle « , que la zone afghano-pakistanaise. Une analyse corroborée par d’autres sources, à Islamabad, Kaboul et Bamako. Seule exception notable à ce tableau, le conflit syrien qui est la destination d’un mouvement plus organisé.
L’Afghanistan, terre ancienne de djihad, reste une destination prisée. Avant de commettre ses meurtres, Mohammed Merah avait été ainsi arrêté, le 22 novembre 2010, par la police afghane dans la ville de Kandahar, après être entré par la frontière ouzbèke.
En août 2011, deux autres Français venus chercher l’aventure djihadiste terminaient leur périple à l’ambassade de France, à Kaboul, faute d’avoir pu rejoindre les rangs d’Al-Qaida. De source diplomatique, on confirme que ces deux personnes ont pénétré sur le sol afghan par l’Ouzbékistan et vainement tenté d’être recrutées. A leur retour en France, ils ont indiqué aux policiers qu’ils avaient été abusés par des escrocs qui leur avaient dérobé leur argent.
Par ailleurs, d’autres Français, » quelques unités « , selon un membre de l’OTAN, à Kaboul, sont actuellement détenus dans une prison gérée par les Américains près de la base de Bagram, à une heure de Kaboul. D’après cette même source, ils ont été capturés par les forces de sécurité afghanes ou américaines après avoir été, pour la plupart, dénoncés. Ces Français ont accédé au territoire afghan par la frontière iranienne.
Ils présentent des profils identiques. Ils n’appartiendraient pas à des réseaux organisés et auraient tenté de se battre auprès des insurgés, djihadistes ou taliban, qui les ont traités avec une grande méfiance. Légalement, les Américains ne sont pas contraints de remettre ces personnes à la France. Il n’existe pas accord d’extradition entre la France et l’Afghanistan.
Les 3, 4 et 5 avril, le Pakistan a expulsé vers Paris trois Français qui avait été interceptés, fin mai 2012, au Baloutchistan, sur la route entre la frontière iranienne et la ville de Quetta. Selon les autorités pakistanaises, jointes par Le Monde, Medhi Hammani, Mohammed El-Hafiani et Grégory Boudrioua venaient tout juste d’entrer sur leur territoire dans un bus en compagnie de Naamen Meziche, un Franco-Algérien de 42 ans, djihadiste accompli, toujours détenu au Pakistan.
Selon un responsable des services secrets militaires pakistanais (ISI), le profil de Meziche n’aurait rien à voir avec celui des trois autres Français pour qui c’était le premier séjour au Pakistan. La justice française invite également à une certaine prudence et à ne pas conclure » trop vite que Meziche a recruté ces trois hommes « .
Originaires d’Orléans, certains sont mariés et ont des enfants. Ils avaient indiqué à leurs proches qu’ils se rendaient en Arabie saoudite et montrent une certaine improvisation dans l’organisation de leur voyage. Meziche, quant à lui, appartient à une autre génération de djihadiste. Il n’a mené d’activités qu’en Allemagne, au Pakistan, voire en Iran. La Cour fédérale de justice allemande, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, avait mis en exergue sa présence au sein de la seconde cellule de Hambourg. La première, dirigée par Mohammed Atta, a perpétré les attaques contre les tours du World Trade Center et le Pentagone. Meziche vivait au coeur de cette mouvance liée à Al-Qaida.
Début 2011, deux jeunes Français autoradicalisés, Aberouz Charaf Din et Zoheb Ahmed Ifzaal, âgés de 25 et 23 ans, avaient été arrêtés à Lahore, à leur descente de l’avion, par les services secrets pakistanais, avant d’être remis, le 26 mai, à la France. Ils étaient liés à un groupe d’une dizaine de jeunes résidant en région parisienne, poursuivis pour association de malfaiteurs en liaison avec une entreprise terroriste.
La capture, par l’armée française, dans le massif de l’Adrar des Ifoghas au nord du Mali, de Djamel Benhamdi, un Français d’origine algérienne, atteste la symétrie des engagements djihadistes dans la région sahélienne. Livré, le 9 mars, aux autorités maliennes qui l’ont expulsé vers la France, il est père de trois enfants.
Son parcours illustre également ce » nomadisme individuel « des apprentis djihadistes français. Il semble avoir préparé son voyage au Mali en fréquentant la mosquée El Kawtar, à Grenoble, où il aurait recueilli des conseils sur des sites Internet islamistes et les modalités d’un séjour au Sahel. En novembre 2012, après avoir rejoint Alger, puis la frontière malienne en bus, il aurait fait du stop jusqu’à ce qu’il soit intercepté par des miliciens d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). » C’est une technique souvent employée par ces nomades, explique un policier antiterroriste, ils vont sur place dans l’espoir de croiser la route des groupes armés et d’y être admis. «
Interrogé par les enquêteurs français, Benhamdi a raconté qu’il avait vécu à Tombouctou dans les rangs djihadistes puis dans le désert dans des conditions rudes depuis l’offensive française. Selon ses dires, il n’aurait pas croisé le chemin d’autres Français.
En novembre, un Franco-Malien, Aziz Ouattara, âgé de 25 ans, avait été arrêté au Mali, à Bamako, où il tentait de trouver le moyen de rejoindre le nord du pays et les troupes d’AQMI. Ouattara est un récidiviste, il avait déjà été refoulé vers la France, à l’automne 2010, alors qu’il tentait l’aventure en Egypte.
Les déplacements de Français vers la Syrie et leur présence dans les rangs djihadistes semblent, en revanche, plus structurés. » On estime à quatre-vingt, le nombre de nationaux qui ont des liens avec les groupes djihadistes syriens, relate un conseiller ministériel. Parmi eux, il faut distinguer ceux qui ont été voir, ceux qui ont apporté un soutien logistique, ceux qui cherchent un contact et les combattants aguerris. «
Une partie d’en eux ont emprunté certaines filières irakiennes, via la Turquie et l’Egypte, utilisées, entre 2004 et 2006, par des personnes venant du 19e arrondissement de Paris.
Jacques Follorou
© Le Monde
11 avril 2013