La cérémonie qui s’est déroulée le 22 octobre au Grand Hall du Peuple à Pékin pour commémorer le 70ème anniversaire de l’entrée de la Chine dans la Guerre de Corée s’est révélée être un événement majeur de la politique régionale. Dans un discours prononcé à cette occasion, le Président Xi Jinping a tenu les propos les plus forts qu’il ait jamais tenus au sujet des États-Unis, laissant indirectement entendre que la détermination de la Chine à s’opposer à la belligérance américaine ne doit pas être mise en doute.

– La Chine est « prête à se battre », déclare Xi Jinping dans un discours à l’intention des États-Unis évoquant le 70ème anniversaire de l’entrée de la Chine en guerre au côté de la Corée du Nord. Dans cette intervention farouchement nationaliste, le président déclare que le peuple chinois ne pliera pas, quels que soient les défis à relever. Le président chinois Xi Jinping, en bas au centre, et des hauts fonctionnaires interprètent l’hymne national lors de la conférence commémorant le 70e anniversaire de l’entrée de la Chine dans la guerre de Corée de 1950-53, dans le Grand Hall du peuple à Pékin, le vendredi 23 octobre 2020. Photo DR.
Par M.K. Bhadrakumar
L’agence de presse Xinhua a déclaré dans un commentaire : « Le discours de Xi démontre la position ferme de la Chine et sa détermination à protéger la souveraineté et l’unité territoriales, à sauvegarder la paix et la stabilité régionales et mondiales, et à promouvoir la construction d’une communauté avec un avenir commun pour l’humanité ».
Le commentaire disait : « L’arrogance, le fait de toujours faire comme on veut, les actes d’hégémonie, d’abus ou d’intimidation ne mèneront à rien et aboutiront sûrement à une impasse dans le monde d’aujourd’hui, comme l’a déclaré Xi dans son discours. C’est une leçon que certains hommes politiques occidentaux doivent garder à l’esprit lorsqu’ils tentent de faire du chantage, de bloquer et d’exercer une pression maximale sur la Chine ».

– Des militaires américains capturés par les Nord-Coréens.
Xi a fait ces remarques dans le contexte de la montée des tensions concernant Taïwan et du passage de l’administration Trump à une position plus conflictuelle à l’égard de Pékin. Les tensions entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan sont une retombée de l’intervention américaine dans la guerre civile chinoise des années 1940 et remontent à 1949, lorsque les Communistes ont vaincu les Nationalistes de Tchang Kaï-chek et les ont chassés de la Chine continentale pour les amener sur l’île.
VIDEO : Visite du Président chinois XI en Corée du Nord en 2019.
L’ampleur de la cérémonie du 22 octobre à Pékin souligne que la remise à plat des relations entre la Chine et la RPDC a été accomplie avec succès et repose aujourd’hui sur une base stable et prévisible. La Chine a pris des mesures décisives pour rétablir ses relations avec la Corée du Nord grâce à une série de réunions au sommet sans précédent, qui ont conduit à la première visite d’un dirigeant chinois en Corée du Nord en quatorze ans, en juin 2019, lorsque Xi Jinping a reçu un accueil chaleureux à Pyongyang.
Il est clair que la position de la Chine sur la situation autour de la Corée du Nord a changé. Tout indique que Pékin est prêt à vivre avec une Corée du Nord nucléaire. Cela ne peut que signifier que la convergence entre les États-Unis et la Chine sur l’objectif commun de la dénucléarisation de la Corée du Nord n’existe plus. Les plaques tectoniques se déplacent dans la géopolitique de l’Asie du Nord-Est.

– Affiche commémorative à la gloire des combattants nord-coréens.
La relation Chine-RPDC revitalisée signifie que l’administration Trump ne peut plus compter sur Pékin pour être un partenaire dans la stratégie d’endiguement contre Pyongyang, caractérisée par des sanctions et autres pressions accrues.
D’autre part, le nouveau « statut nucléaire » de Pyongyang lui donne le poids nécessaire vis-à-vis des autres États de la région. Le Japon et la Corée du Sud sont directement concernés. Les remarques de Xi hier contenaient l’avertissement implicite que la Chine et la Corée du Nord feront conjointement face à toute agression extérieure.
Dans un discours sur « le mauvais comportement de la Chine et l’agression russe » au Conseil Atlantique du 20 octobre, le Secrétaire à la Défense américain Mark Esper avait déclaré : « Les Chinois ont construit une vaste gamme de plus de mille missiles, des missiles balistiques à portée intermédiaire, dans le Pacifique ». Cela sert d’alibi au déploiement américain de missiles à portée intermédiaire en Corée du Sud et au Japon.
Il est certain que tout déploiement américain de ce type sera contré par la Russie et la Chine, qui ont déjà averti les États de la région. Réagissant à l’annonce faite par le Pentagone le 20 octobre que l’administration Trump a approuvé les ventes potentielles de trois systèmes d’armes à Taiwan pour une valeur totale de 1,8 milliard de dollars, le porte-parole du Ministère chinois des Affaires Étrangères, Zhao Lijian, a déclaré hier que « la Chine réagira de manière légitime et nécessaire à la lumière de l’évolution de la situation ».
Mais en fin de compte, les remarques du Président Xi hier attireront l’attention sur la question de Taïwan et son potentiel à déboucher sur un conflit entre les États-Unis et la Chine. Pékin augmente la pression sur la question de Taïwan. L’armée chinoise a récemment effectué des exercices et des entraînements inhabituellement proches de Taïwan, dans les airs et en mer. Le mois dernier, Pékin a clairement fait savoir qu’il ne reconnaissait pas l’existence d’une frontière non officielle dans le Détroit de Taïwan.

– Le leader nord-coréen Kim Jong Un déposant une couronne au monument aux martyrs de l’Armée populaire et aux Volontaires chinois qui ont combattu pendant la guerre de Corée. Kim a placé séparément un panier de fleurs sur la tombe de Mao Anying, fils aîné de Mao Zedong, dans le comté de Hoechang, en RPDC, le 22 octobre 2020.
Le déclenchement d’une guerre reste pour l’instant un scénario improbable, bien qu’il y ait peu de chances que les tensions sur Taïwan ne s’apaisent de sitôt, étant donné la forte probabilité que les relations entre les États-Unis et la Chine restent tendues. Cela signifie que le risque de guerre – par accident ou à dessein – est toujours présent en arrière-plan.
La situation régionale en matière de sécurité est aggravée par l’évolution des équilibres régionaux, la Chine renaissante contestant la primauté américaine en Asie. L’ordre établi par les États-Unis après la Seconde Guerre Mondiale s’est effondré. Et il y a une confusion géopolitique en ce qui concerne la ténacité du système de sécurité américain. Pendant ce temps, la pandémie de coronavirus a fortement ébranlé les États-Unis et ils sont enlisés dans ce qui est probablement la pire crise économique de mémoire d’homme.
En effet, des erreurs de calcul peuvent se produire si le sentiment gagne du terrain dans l’esprit des Chinois qu’avec les encouragements des États-Unis, Taïwan sous la présidence de Tsai Ing-wen, qui en est à son deuxième mandat, dérive vers l’idée de devenir un pays totalement séparé. Comme il fallait s’y attendre, Taïwan – et non la Mer de Chine Méridionale – devient le test ultime de la détermination américaine à régner en maître dans la région Asie-Pacifique.
La normalisation des relations entre la Chine et la RPDC pose un double défi à Washington, car les responsables politiques américains devront trouver le moyen de traiter avec une Corée du Nord alignée sur la Chine, tout en faisant face à la réalité géopolitique émergente selon laquelle Taïwan est le filon du système américain le plus susceptible de se séparer sous le poids de la position de confrontation de Trump contre Pékin.
M.K. Bhadrakumar
25 octobre 2020
Source : Indian Punchline
Traduit par Réseau International