Réagissant à la gravissime décision du pouvoir militaire malien de « mettre fin avec effet immédiat » de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, signé en 2015, l’Algérie a accusé les autorités intérimaires à Bamako de jouer avec le feu et avec l’unité territoriale du pays en se laissant instrumentaliser par des groupes de mercenaires qui pillent les richesses minières du Mali et par une monarchie du Golfe (les Émirats arabes unis) qui fait éhontément le jeu d’Israël et de son nouveau supplétif, le Maroc.
Par Philippe Tourel
Le communiqué publié ce jour, le 26 janvier, par le ministère algérien des Affaires étrangères est d’une clarté et d’une gravité exceptionnelle. Il réagissait au communiqué lu la veille à la télévision d’Etat par le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement installé par les militaires. Face à une situation sécuritaire dans le nord du Mali, qui empire jour après jour, la junte a en effet a choisi la fuite en avant en invoquant, comme raison de cette décision, « le changement de posture de certains groupes signataires », mais aussi « les actes d’hostilité et d’instrumentalisation de l’accord de la part des autorités algériennes dont le pays est le chef de file de la médiation » ! Des arguments qui tordent le cou à la réalité et qui font le bonheur de tous les ennemis du Mali.
Voici les principaux points de la réponse algérienne :
- L’Algérie tient à relever « la gravité particulière de cette décision» désinvolte et irréfléchie « pour le Mali lui-même, pour toute la région qui aspire à la paix et à la sécurité, et pour l’ensemble de la communauté internationale qui a mis tout son poids et beaucoup de moyens pour aider le Mali à renouer avec la stabilité par la réconciliation nationale. »
- S’adressant directement au « peuple malien frère », le communiqué affirme que « l’Algérie n’a jamais failli à travailler à la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, avec sincérité, bonne foi et solidarité indéfectible envers le Mali frère.»
- La longue liste des raisons invoquées par la junte à l’appui de la dénonciation de l’Accord « ne correspond absolument ni de près ni de loin à la vérité ou à la réalité. »
- Toujours selon ce communiqué, « les autorités maliennes préparaient cette décision depuis bien longtemps. Les signes avant-coureurs depuis deux ans en ont été leur retrait quasi-total de la mise en œuvre de l’Accord, leur refus quasi-systématique de toute initiative tendant à relancer la mise en œuvre de cet Accord, leur contestation de l’intégrité de la médiation internationale, leur désignation de signataires de l’Accord, dûment reconnus, comme dirigeants terroristes, leur demande de retrait de la MINUSMA, l’intensification récente de leurs programmes d’armement financés par des pays tiers et leur recours à des mercenaires internationaux. »
- S’adressant au peuple malien, chauffé à blanc par un discours chauvin et haineux, le communiqué lui rappelle que « des décisions aussi malheureuses et aussi malvenues ont prouvé par le passé que l’option militaire est la première menace à l’unité et à l’intégrité territoriale du Mali, qu’elle porte en elle les germes d’une guerre civile au Mali, qu’elle diffère la réconciliation nationale au lieu de la rapprocher et qu’elle constitue enfin une source de menace réelle pour la paix et la stabilité régionales.»
- Pour conclure, Alger rappelle à son voisin du Sud, qu’elle toujours soutenu politiquement et économiquement qu’il « a toujours besoin de paix et de réconciliation. Il n’a aucun besoin de solutions qui ne lui ont apporté par le passé que déchirements, destructions et désolations.» et que « répéter ces erreurs du passé, c’est prolonger indûment la tragédie et les malheurs pour le Mali et pour le peuple malien frère. »
L’actuel régime militaire malien se trouve actuellement dans une situation sécuritaire et économique intenable. Bien avant la catastrophique intervention de l’Otan en Libye, avec la complicité des Émirats arabes unis, le Qatar et le Maroc, pour ne citer que ces trois pays, le Mali a été directement et gravement touché par le chaos que cette agression a généré. Les groupes terroristes multinationaux, aidés par l’Occident, s’étaient acharnés sur le Mali et avaient foncé sur Bamako pour y installer un régime de califat instaurant une période d’instabilité et de guerre civile qui avaient avait causé des milliers de morts. La France, pompier pyromane, a dû intervenir à la demande du gouvernement de Bamako. Une intervention qui n’a rien réglé.
L’Algérie était radicalement opposée à l’agression atlantiste contre la Libye. Elle savait que la voie militaire et sécuritaire ne règle rien si elle n’est accompagnée par un règlement politique librement consenti. C’était l’approche qui a présidé au Processus d’Alger réclamé par le Mali lui-même. Il a été signé à Bamako et à Alger. Il prévoyait la fin de la marginalisation des populations du Nord, une forme d’autonomie locale et l’intégration des anciens combattants dans l’armée nationale malienne dans le cadre de l’intégrité territoriale. Paradoxalement cet accord a été combattu par la France qui visait, sans le dire ouvertement, la partition du Mali en accordant aux Touareg une forme d’indépendance. En sortant de ce processus de paix et de réconciliation, la junte militaire fait objectivement front commun avec ceux qui combattent l’unité du pays.
En se laissant manipuler par les Émirats arabes unis, dont le rôle dans la guerre contre la Libye, le Yémen, la Syrie, le Soudan et la Somalie, n’est plus à démontrer, la junte malienne joue avec le feu. En fait, cette monarchie, main dans la main avec le Maroc, engage une guerre d’arrière garde contre l’Algérie pour le compte d’Israël. La position de l’Algérie contre la normalisation avec Israël et pour la cause palestinienne déplait à ces régimes honnis par leurs peuples.
Rappelons que les nouveaux amis de la junte malienne ne lui seront d’aucun secours lorsque le peuple malien se révoltera contre elle. D’autant que la nébuleuse terroriste continue de combattre l’Etat central sous la bannière d’Al-Qaida ou de l’organisation Etat islamique. La violence, qui a fait des milliers de morts combattants et civils et des millions de déplacés, n’a pas été encore, loin s’en faut, éradiquée. Elle s’est propagée au centre du Mali, au Burkina Faso, au Niger voisins et bien au-delà. Ce ne sont pas les quelques centaines de mercenaires, dont Wagner, dont l’objectif est de piller les richesses minières de la région, agissant d’une façon autonome par rapport à la Russie, qui pourraient venir à bout d’un irrédentisme désormais revigoré.
L’Algérie, qui n’a pas lésiné sur les moyens pour venir en aide aux pays du Sahel, va certainement adopter à l’égard du peuple malien la politique de la main tendue. Car sait que la nouvelle politique foireuse de la junte sera inévitablement contrée par les Maliens eux-mêmes qui ont toujours, à travers l’histoire, balayé leurs dirigeants putschistes qui n’ont aucune vision géopolitique d’avenir.
Philippe Tourel