Les manifestations à Tunis ont entraîné une importante répression policière, provoquant en retour davantage de mécontentement. L’avenir de la révolution en jeu ?
La Tunisie renoue avec les journées noires qui avaient suivi la chute du régime Ben Ali. Après une relative accalmie, les manifestations contre le gouvernement provisoire dirigé par Béji Caïd Essebsi ont repris de plus belle, à la suite d’une interview explosive accordée par l’ancien ministre de l’Intérieur, Farhat Rajhi, prêtant à l’armée des desseins putschistes en cas de victoire du parti islamiste Ennahdha.
La réaction du nouveau pouvoir provisoire n’a pas tardé. Deux jours après, le président de la République par intérim, Foued Mebazaa, a mis fin aux fonctions de Farhat Rajhi à la tête du Haut comité des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Hcdhlf).
Le gouvernement avait, la veille, « fait part de son étonnement vis-à-vis des déclarations infondées de l’ancien ministre de l’Intérieur et qui sont de nature à alimenter les suspicions et les doutes, à provoquer les sensibilités régionalistes et à porter atteinte à l’institution militaire qui bénéficie de la confiance du peuple, pour son rôle dans la protection du pays, des citoyens et du régime républicain», selon le communiqué lu par son parole Taïeb Baccouche.
Alors que des centaines de manifestants pro-Rajhi protestaient vendedi dans le centre-ville de Tunis contre le gouvernement provisoire, avant d’être violemment dispersés par la police, le ministère de la Défense nationale a rendu public un communiqué où il menace M. Rajhi de poursuites judiciaires.
Rejetant les graves accusations de l’ancien ministre de l’Intérieur contre l’armée tunisienne, ciblant, tout particulièrement, l’un de ses membres en la personne du général de corps d’armée, chef d’Etat-major des armées et chef d’Etat major de l’armée de terre, Rachid Ammar, le ministère de la Défense nationale a, en effet, indiqué que les «propos tendancieux» de l’ancien responsable «ne doivent nullement être pris à la légère et qu’ils représentent un danger d’une extrême gravité pour la révolution du peuple tunisien et pour la sécurité du pays, au présent et à l’avenir». Ces déclarations préméditées, ajoute le communiqué, «nécessitent un examen approfondi de leurs sous-entendus et visées», une action qui relève uniquement de la compétence de la justice qui prendra son cours normal dans le cadre de son indépendance totale, «afin que l’on puisse distinguer le vrai du faux et qu’aucune partie ne puisse se jouer, à l’avenir, de la sécurité du pays ou contourner les principes de la glorieuse révolution».
Ce limogeage n’a pas mis fin aux manifestations réclamant la démission du gouvernement, ce qui a amené les ministères de l’Intérieur et de la Défense à décréter le couvre-feu dans le Grand Tunis à partir de samedi 7 mai de 21 heures à 5 heures.
Cette décision fait suite aux actes de violence, de destruction et de pillage de magasins dans certains quartiers de Tunis, notamment Ettadhamen et Al-Intilaqa, à l’ouest de la ville, dans la nuit du vendredi 6 au samedi 7 mai. Les postes de police de La Goulette et du Kram, au nord de Tunis, ont aussi été attaqués par des centaines d’assaillants, qui ont détruit des équipements et des documents personnels.
Un grand nombre de manifestants se sont rassemblés, samedi 7 mai au matin, devant le théâtre municipal de Tunis, scandant des slogans hostiles au gouvernement et dénonçant les agressions commises par les forces de l’ordre contre les participants aux mouvements de protestation qu’a connu Tunis.
Les manifestants se sont dirigés vers le siège du ministère de l'Intérieur, appelant au départ du ministre, Habib Essid à qui ils font assumer la responsabilité des violentes agressions de la police contre les manifestants.
Ces protestations interviennent, également, sur fond de déclarations de l’ancien ministre de l’Intérieur Farhat Rajhi sur «un gouvernement de l’ombre» et un projet de «coup d’Etat militaire».
Les manifestants, essentiellement des jeunes sans ancrage partisan, ont scandé des slogans tels que «Ni peur ni terreur, le pouvoir est au peuple», «le peuple appelle à une nouvelle révolution» et «pas de place à une justice qui confisque la liberté d’expression».
Un colonel du corps de la sûreté nationale a tenté de rassurer les foules de protestataires qui ont demandé des éclaircissements sur les violences . Il a indiqué que ce qui s’est passé était une faute dont les auteurs doivent rendre compte, affirmant qu’il s’agit de comportements individuels et qu’aucun ordre de recours à la force excessive n’a été donné contre les manifestants.
Il a indiqué à la correspondante de l’agence Tap que les agents de la sécurité publique ont été contraints, vendredi 6 mai, à disperser les manifestants par la force, arguant du fait qu’ils ont reçu des informations sur l’intention de certains éléments perturbateurs de s’infiltrer dans les rangs des manifestants, dans le but de commettre des actes de pillage.
Il y a lieu de constater qu’en dépit du déroulement de la manifestation dans un cadre pacifique et l’engagement du colonel du ministère de l’Intérieur de ne pas intercepter les manifestants, les forces de l’ordre ont lancé des bombes lacrymogènes et pourchassé les participants au niveau les artères avoisinantes de l’Avenue Habib Bourguiba, faisant usage de leurs bâtons et matraques.
Avec l’agence : Tap.