Damas appelle à un sommet arabe extraordinaire
Avec la décision – illégale – de la Ligue des Etats arabes de suspendre la Syrie de ses instances, sous la pression des monarchies du Golfe, un scénario à la libyenne vient d’être enclenché. Plutôt que de contribuer à l'arrêt de l’effusion du sang, cette décision risque de plonger ce pays et la région dans le chaos, au grand bénéficie d’Israël.
Après la stupeur et la colère, qui s’est traduite immédiatement après l’annonce de l’expulsion de la Syrie, de la Ligue arabe, le samedi 13 novembre, par des manifestations géantes de soutien au régime sur l’ensemble du territoire et des attaques contre l’ambassade du Qatar et de l’Arabie saoudite à Damas, ainsi que contre des bâtiments consulaires turc et français, les autorités syriennes évitent désormais à ne plus se laisser entraîner dans l’escalade. C’est ainsi qu’elle ont appelé le lendemain de la réunion du Caire à la tenue d’un sommet arabe extraordinaire consacré à la crise syrienne. Elles ont aussi maintenu leur volonté de mettre en application le plan de sortie de crise proposé par la Ligue arabe.
Ainsi, dans un communiqué attribué à une « source autorisée », l’agence d’information officielle Sana écrit le dimanche 13 novembre, :
« Sans s'engager dans une polémique sur la légalité et la conformité de la décision du Conseil ministériel de la Ligue arabe avec les objectifs et les principes de la charte de la Ligue, dont la Syrie était l'une des rédacteurs, le gouvernement syrien qui avait accepté le 2/11/2011 le plan d'action arabe et qui continue à y trouver le cadre opportun pour traiter la crise syrienne loin de toute ingérence étrangère, et ce en dépit des lacune qu'elle contenait et de l'absence des mécanismes convenus entre le gouvernement et le comité pour son exécution.
Et vu que les répercussions de la crise syrienne pourraient toucher la sécurité nationale et nuire dans le fond à l'action arabe commune, la direction syrienne propose ce qui suit:
1/ La convocation d'urgence à un sommet arabe extraordinaire qui serait consacré à l'examen de la crise syrienne et ses effets négatifs sur la situation arabe.
2/ L'accueil favorable de la visite de la commission ministérielle arabe en Syrie avant le 16 courant, avec les observateurs, experts ou militaires des pays membres de la commission, dont elle juge la présence opportune, et des mass-médias arabes pour prendre connaissance des faits sur le terrain et pour superviser la mise en exécution de l'initiative arabe en collaboration avec le gouvernement et les autorités syriennes concernées.
3/ La demande au secrétariat général de la Ligue Arabe, le secrétaire général de la Ligue en tête, à une action rapide pour l'exécution de ces suggestions ». ?
La réaction officielle syrienne traduit une volonté de retirer le tapis sous les pieds des supplétifs du Golfe et d’une partie de l’opposition qu’ils financent afin d’éviter l’internationalisation de l’affaire syrienne. Une revendication brandie de nouveau par les pays occidentaux et la Turquie. Leurs tentatives répétées de forcer la main au Conseil de sécurité s’étaient jusqu’ici heurtées à un double veto russe et chinois.
Si la Russie et la Chine, ont gardé jusqu’ici le silence face à ce développement, contrairement aux pays occidentaux et à la Turquie qui ont applaudi, il faut souligner la réaction de deux pays arabes, l’Egypte et l’Algérie, qui avaient voté la décision de la Ligue mais ont pris aussitôt après quelques distances.
Voulant couper cours aux demandes de certains opposants, soutenus par la France, les Etats-Unis et la Turquie, à une intervention étrangère, comme en Libye, l'Egypte a affirmé le lendemain de la réunion du Caire son rejet total de toute ingérence étrangère dans les affaires syriennes, quel qu'en soit le prétexte, bien que le pays ait voté la veille (samedi 12 novembre) la suspension de la Syrie de la Ligue arabe, Cette « clarification » a été apportée par un communiqué officiel publié par le ministre égyptien des Affaires étrangères, Amr Mohamed.?Le communiqué indique que la position de l'Egypte au sujet de la crise syrienne est en conformité avec celle de la Ligue des Etats arabes dont le siège se trouve au Caire.
De son côté, l’Algérie, qui a elle aussi, voté la suspension de la Syrie a atténué la portée de son vote en déclarant qu’elle « ne rappellera pas son ambassadeur en Syrie ».
« L’ambassadeur d’Algérie en Syrie et l’ambassadeur de Syrie en Algérie sont tous les deux les bienvenus et ils vont continuer à travailler dans un esprit le plus fraternel et le plus positif qui soit », a ainsi déclaré M. Mourad Medelci, le ministre algérien des Affaires étrangères lors d’un point de presse animé conjointement avec son homologue égyptien Mohamed Kamel Amr à l’issue de leurs entretiens.
« Il n’est pas question pour l’Algérie de mettre en œuvre la disposition de la Ligue arabe (rappel des ambassadeurs arabes accrédités en Syrie) qui permet d’ailleurs à chaque pays de prendre sa décision de manière souveraine », a-t-il ajouté.
« Bien au contraire, plus que jamais le moment est aujourd’hui au renforcement de la relation avec le gouvernement syrien pour mettre en oeuvre plus concrètement encore le plan que nous avons adopté le 2 novembre dernier au niveau de la Ligue arabe », a-t-il souligné.
L'Algérie a suggéré dimanche que la décision de la Ligue arabe de suspendre la Syrie de l'organisation panarabe à partir du 16 novembre soit reconsidérée avant même cette date.
Dans ce point de presse commun avec son homologue égyptien, le ministre algérien des Affaires Etrangères Mourad Medelci a également indiqué que « La suspension de la Syrie est temporaire et nous pourrons la lever le plus rapidement possible… et pourquoi pas avant le 16 de ce mois? »
Pour le ministre égyptien, M. Amr, en visite en Algérie pour trois jours, « le but de l'Algérie et de l'Egypte est d'éviter une intervention étrangère sous quelque parrainage que ce soit ».
M. Amr a rencontré dimanche le président algérien Abdelaziz Bouteflika.
M. Medelci a également fait état de vives discussions au Caire samedi lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de la Ligue qui décidé de ces mesures contre la Syrie.
Il a même indiqué que l'Algérie avait « rejeté une première version de la suspension de la Syrie et menacé de se retirer si celle-ci avait été adoptée », sans préciser la nature de ce désaccord.
« La version finale représente le point de vue non seulement de l'Algérie et de l'Egypte mais aussi de toute la commission », a ajouté le ministre algérien.
Dix-huit des 22 membres de la Ligue ont voté en faveur de la motion de samedi. Le Liban, le Yémen et l'Irak ont refusé d'approuver ces mesures, que la Syrie a dénoncé comme illégales.
Quatre monarchies du Golfe: l'Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, et Bahreïn, avaient déjà retiré leurs ambassadeurs de Damas depuis des mois.
L’opposition syrienne, très éclatée, a exprimé sa satisfaction de cette décision de la Ligue arabe. C’est le cas surtout du Conseil national syrien (CNS), qui a estimé que la suspension de la Syrie de la Ligue arabe est un «pas dans la bonne direction». Le CNS, qui a été créé récemment à l’étranger, est dominé par les Frères musulmans et les pro-occidentaux, mais n’a pas de poids réel, sur le terrain. Il bénéficie cependant du soutien médiatique puissant du Qatar, de l’Arabie saoudite et de l’Occident et rejette tout compromis avec le régime. A peine né, il est le théâtre de dissensions politiques graves qui risquent de l’emporter. Quant à l’opposition intérieure, elle est plus pragmatique et rejette, dans sa quasi-majorité, toute instrumentalisation étrangère.
La fragilité du CNS, jusqu’ici considéré comme le seul interlocuteur de Paris, a amené la France à reconsidérer sa position. Elle vient de permettre à deux autres courants de l’opposition, celui de l’oncle du président Bachar, Rifaat al-Assad, exilé entre Londres et Marbella (Espagne) et celui de l’ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam exilé à Paris de s’exprimer librement. Les deux personnages sont honnis par l’opposition de l’intérieur et sont considérés, étant donné leur lourd passé dans la répression et la corruption, n’ont pas la solution, comme faisant partie du problème. Tous les deux sont soutenus financièrement par les Saoudiens.
Dans une interview accordée au quotidien al-Safir, l’oncle de Bachar, Riffaat al-Assad, appelle pour la première fois le président syrien à «rendre le pouvoir au peuple», et demande à la communauté internationale de trouver «un refuge» à la famille Assad.
Bachar «doit arrêter le bain de sang et rendre enfin le pouvoir au peuple syrien», a affirmé dans cet entretien l'ancien vice-président syrien en marge d'une conférence organisée par ses proches dans un hôtel parisien. «C'est inacceptable que Bachar puisse penser se maintenir au pouvoir en continuant les tueries», a lancé son oncle, qui avait dû s'exiler en 1998 sur ordres du président de l'époque Hafez al-Assad. Depuis huit mois qu'une révolte populaire réprimée par le régime secoue le pouvoir syrien, «Bachar s'est prononcé plusieurs fois pour des réformes. Mais on n'a rien vu venir. Il n'a rien fait de sérieux», accuse Rifaat, 71 ans, qui assure n'avoir «aucune ambition» politique. Il faut rappeler que ce même Rifaat était l’un des principaux artisans, en 1982, du massacre de Hama contre les Frères musulmans qui se soldat par 30.000 tués !
Le frère de l'ancien président syrien Hafez redoute une guerre civile. «C'est ce qui nous fait peur. Nous n'aurons alors plus d'autre choix que de demander l'aide étrangère pour éteindre le feu».
Pour éviter ce scénario-catastrophe, «la communauté internationale doit trouver un refuge à Bachar al-Assad et à sa famille. C'est une question humaine», déclare Rifaat, mettant implicitement en garde contre le danger qu'un pouvoir syrien aux abois puisse exercer sa capacité de nuisance hors de ses frontières. «La Syrie, ce n'est ni la Libye, ni la Tunisie», avertit l'ancien patron des «Brigades de défense», qui fut accusé d'avoir participé aux massacres perpétrés par le pouvoir contre les islamistes à Hama en 1982 (15.000 morts).
A l'instar d'autres forces de l'opposition, basées à l’étranger et financées par l’étranger, Rifaat al-Assad souhaite qu'après la décision de la Ligue arabe de suspendre la Syrie, le dossier soit transféré au Conseil de sécurité de l'ONU. En revanche, il ne croit pas qu'après ce «coup dur» porté au régime syrien, celui-ci se délite : «Ce n'est pas assez pour encourager les défections dans l'entourage de Bachar ou dans l'armée» conclut-il.