Plutôt que de courtiser l’Arabie saoudite et le Qatar, la France ferait mieux de prendre conseil auprès du sultan Qabous en matière de règlement des conflits et de realpolitik.
Après le vendredi noir à Paris, au moment où les projecteurs sont braqués sur les financiers du terrorisme takfiri dans le monde arabe, un pays de cette région pétrolière hautement stratégique sort du lot : le sultanat d’Oman. Rien à voir avec les promoteurs du terrorisme, à savoir les deux monarchies wahhabites du Golfe, l’Arabie saoudite et le Qatar, sans oublier la Turquie du national-islamiste Erdogan. Oman est résolument moderniste et a érigé la realpolitik au rang de philosophie d’État. Il contrôle avec l’Iran le détroit d’Ormuz, par où transite l’essentiel du pétrole du Golfe. Depuis l’accession au trône du sultan Qabous bin Saïd al-Saïd en 1970, ce pays a poursuivi une politique constante de modernisation et de dialogue à l’intérieur et une diplomatie chatouilleuse de son indépendance à l’extérieur, laquelle remonte au milieu du XVIIIe siècle. Cela lui a permis de jouer discrètement un rôle de premier plan dans le règlement des conflits régionaux.
Culture de tolérance
Un petit rappel historique : quand laLigue des États arabes a exclul’Égypte de Sadate de ses rangs en1979, en raison de la paix séparéequ’elle venait de signer avec Israël,Oman n’a pas suivi et a gardé des relationsdiplomatiques avec Le Caire.Idem en 1991. Tout en condamnantl’invasion du Koweït par les troupesirakiennes en août 1990, le sultanats’est opposé à l’opération Tempête dudésert et a prôné une solution politique. Dans les années qui ont suivi,où un embargo implacable et barbarefut imposé à l’Irak, Oman a toujoursconstitué une issue de secours pour cepays martyr, afin d’alléger les rigueursdu blocus. Et quand Bush et ses néoconservateursont attaqué l’Irak en 2003, il s’y est opposé discrètement,contrairement à l’Arabie saoudite, leKoweït, les Émirats arabes unis, leQatar et le Bahreïn, dont les basesétrangères ont servi de point de départpour achever l’Irak, pays exsangue, etle livrer – et avec lui toute la région –au chaos.
Avec le déclenchement du mal nommé printemps arabe fin 2010-début 2011, quelques manifestations à caractère social, encouragées par certains médias du Golfe, ont eu lieu dans le pays et ont été vite contenues. Les revendications sociales et économiques ont été satisfaites et le processus de démocratisation progressive a été renforcé, comme on a pu le constater lors des élections du Conseil consultatif et celles du Conseil d’État. La participation des femmes dans la vie de la cité a été encouragée (une élue au Conseil consultatif et une dizaine de femmes nommées par le chef de l’État au Conseil d’État, la deuxième Chambre du Parlement).
Parallèlement au renforcement de la « démocratie participative » chère au sultan Qabous, le pays est géré d’une manière rationnelle, contrairement aux autres pays du Golfe. L’éducation y est prioritaire, notamment celle des filles. Le développement humain est au centre du projet global de modernisation du pays. La culture de tolérance y est développée.
Ce qui frappe aussi le visiteur, c’est le respect du patrimoine national. Que ce soit au niveau de l’urbanisme (aucun gratte-ciel n’est construit) ou pour la culture omanaise, qui se rapproche plus du voisin yéménite que de celle des nouveaux riches du Golfe.
Actuellement, Oman joue un rôle de premier plan, mais fort discret, dans le règlement des conflits régionaux. Les tractations qui ont préparé le terrain à l’accord historique sur le nucléaire iranien ont démarré à Mascate. Oman, qui s’est résolument opposé à la guerre contre le Yémen voisin, est le lieu tout désigné pour accueillir tous les protagonistes d’un conflit suicidaire qui profite actuellement à Daech et à Al-Qaïda. Dans les coulisses, on parle d’une réconciliation saoudo-iranienne qui aurait lieu prochainement à Mascate, en vue d’apurer le lourd contentieux entre ces deux puissances régionales.
Récemment, le ministre omanais des Affaires étrangères, Youssef bin Alawi bin Abdallah, s’est rendu à Damas pour rencontrer le chef de l’État syrien, ouvrant une brèche capitale dans l’unanimisme de façade qui a marqué jusqu’ici la politique des pays du Golfe. Il est aussi question de voir Oman jouer un rôle dans la définition d’un nouveau contrat social libanais qui sortirait ce pays de son impasse destructrice. La France devrait en prendre de la graine plutôt que de s’aplatir devant les infréquentables Arabie saoudite et le Qatar pour des raisons vénales.
Article paru dans le numéro d’Afrique Asie de décembre 2015..