Les terroristes d’un bord sont les combattants de la liberté de l’autre. Ce n’est pas une simple question de terminologie. Il s’agit d’une différence de perception qui a des conséquences pratiques d’une portée considérable.
Faire des prisonniers par exemple.
Pour le combattant de la liberté, obtenir la libération de camarades emprisonnés est un devoir sacré, pour lequel il est prêt à sacrifier sa vie. L’un des exploits les plus audacieux de l’Irgoun clandestin (dont j’ai été un temps un très jeune membre) fut l’attaque en force de la prison britannique du Château des Croisés à Saint-Jean d’Acre et la libération de centaines de prisonniers. Pour nos maîtres coloniaux, celles-ci furent considérées comme une lâche action terroriste.
Cela devrait être clair pour notre gouvernement actuel, basé sur le parti Likoud, qui fut fondé à l’origine par d’anciens combattants de l’Irgoun. Toutefois, ceux-ci ont disparu depuis longtemps et les hommes politiques de droite actuels comme les officiers de l’armée d’aujourd’hui ne sont qu’une mauvaise copie de nos anciens colonisateurs britanniques. Ils n’ont aucune idée de la façon dont fonctionne l’esprit du militant.
C’est au cœur de l’incident qui a dominé la vie d’Israël ces deux dernières semaines.
À dix heures du soir, il y a deux semaines, trois jeunes de la yeshiva d’une colonie proche de Hébron se tenaient à un carrefour isolé, essayant de faire de l’auto-stop pour rejoindre leurs foyers à la colonie. Ils ont disparu depuis (le 30 juin, leurs corps ont été retrouvés près d’Hébron).
On a immédiatement estimé, de façon tout à fait logique, qu’ils avaient été enlevés par un groupe palestinien pour réaliser un échange de prisonniers. Jusqu’à présent aucune organisation connue n’en a revendiqué la responsabilité et aucune demande n’a été formulée.
Ce n’est donc pas la même chose que l’enlèvement du soldat Gilad Shalit il y a quelques années. Shalit fut enlevé dans la bande de Gaza, fortement peuplée de Palestiniens et gouvernée par le Hamas. La Cisjordanie par contre est truffée de colonies israéliennes, et l’on exagère à peine en disant qu’un Palestinien sur dix est un informateur israélien. Quarante-sept années d’occupation ont donné aux Services de sécurité Israéliens d’innombrables occasions de faire pression sur des Palestiniens pour les mettre à leur service par le chantage, la corruption et d’autres moyens.
Pourtant, pour le moment, aucun signe des ravisseurs ou de leurs victimes n’a été détecté une performance extraordinaire de la part des auteurs.
Le gouvernement Nétanyahou a immédiatement vu dans l’incident une occasion favorable.
Sans la moindre preuve (pour ce que nous en savons) il accusa le Hamas. Le jour suivant (à cause d’un léger retard du fait de l’incompétence de la police) une énorme double opération fut déclenchée. Des milliers de soldats furent engagés pour ratisser la campagne et mener des fouilles de maison en maison. Mais dans le même temps une opération encore plus importante, qui avait évidemment été préparée depuis longtemps, démarra pour tenter d’éradiquer le Hamas en Cisjordanie.
Nuit après nuit, toute personne ayant le moindre lien avec le Hamas était arrêtée. Des groupes de soldats lourdement armés faisaient irruption chez les gens, écartaient les enfants et les femmes apeurés, arrachaient les hommes de leur lit pour les emmener, menottés et les yeux bandés.
Ils furent des centaines – travailleurs sociaux, enseignants, prédicateurs -, tous ceux appartenant au vaste réseau social et politique du mouvement Hamas.
Parmi les personnes arrêtées beaucoup avaient été libérées en échange du prisonnier Shalit. La direction politique et le renseignement israéliens n’avaient donné leur accord à cet échange disproportionné (un otage contre plus d’un millier de prisonniers) que sous l’énorme pression de l’opinion publique, et avaient évidemment alors décidé de les renvoyer en prison à la première occasion.
Ce ne fut pas par accident que cette semaine on révéla que l’un de ces prisonniers libérés avait été accusé du meurtre d’un Israélien il y a quelques mois. Il faut admettre que, tandis que la plupart des prisonniers sont reconnaissants de retrouver leurs familles après des décennies d’incarcération, certains des plus déterminés sont retournés à leur activité militante.
La tentative d’élimination du Hamas est idiote. Le Hamas est un mouvement religieux qui vit dans le cœur de ses adhérents. Combien pouvez-vous en arrêter ?
Au cours de ces deux semaines, la société israélienne s’est montrée sous le plus mauvais jour possible – comme un ghetto armé, dépourvu de compassion pour les autres et incapable de raisonner sainement.
Il est vrai que la première réaction n’a pas été uniforme. J’ai entendu plusieurs personnes dans la rue maudire les trois jeunes colons manquants pour leur arrogance stupide, se tenant de nuit en plein territoire occupé et montant dans une voiture étrangère. Mais de tels sentiments impies ont été rapidement balayés par une immense vague de lavage de cerveau, qui était presque inévitable.
S’unir face à une urgence nationale est une réaction universelle pour les peuples. En Israël celle-ci est amplifiée par le réflexe du ghetto, développé par des siècles de persécution, par les Juifs pour lutter ensemble contre les méchants goyim.
Le déluge de la propagande gouvernementale prit des proportions incroyables. Presque tous les reportages dans la presse écrite furent consacrés aux opérations militaires. La radio et la télévision développèrent ces reportages en direct 24 heures sur 24, jour après jour.
Le monde journalistique était guidé par les « correspondants militaires », presque tous d’anciens officiers de l’armée, récitant les communiqués de l’armée comme s’il s’agissait de leurs propres découvertes et analyses. On ne pouvait discerner aucune différence entre les différentes chaînes et les divers journaux. Si quelque commentateur libéral osait émettre un mot de critique, c’était très modéré et ne concernait que de menus détails.
Par chance, au même moment, un projet de loi était en cours d’examen à la Knesset. Ce projet rendrait tout échange de prisonniers illégal – cas exceptionnel d’un gouvernement se liant lui-même les mains. Il interdit au gouvernement d’amnistier des « prisonniers de sécurité » ou de négocier des échanges de prisonniers.
Cela signifie la mort des otages.
Dans leur incroyable naïveté – pour ne pas dire stupidité – les politiciens de droite pensent que cela dissuaderait les prises d’otages. Quiconque comprend un tant soit peu la mentalité militante sait que l’effet serait tout à fait contraire : prendre plus d’otages, accroître la pression pour libérer les prisonniers.
Ce serait vraiment faire bon marché de la vie des otages. Les efforts actuels des services de renseignements et de l’armée pour savoir où se trouvent les trois jeunes, en cas de succès, entraîneraient une action pour les libérer par la force. Comme l’enseigne l’expérience, dans une telle situation, les chances de survie des otages sont minces. Pris entre deux feux ils sont tués soit par leurs ravisseurs soit – plus fréquemment – par leurs libérateurs. Pourtant pas une seule voix en Israël n’a soulevé ce point crucial
La famille Shalit, des Israéliens laïques ordinaires, était très sensible à ce danger pour leur fils. Il n’en est pas ainsi pour les familles des trois enfants de colons disparus, tous des colons appartenant à l’extrême droite. Ils sont devenus des agents volontaires de la propagande du gouvernement, appelant à des prières de masse et au soutien du mouvement des colons. Leur rabbin a expliqué que l’enlèvement des jeunes était une punition de Dieu pour les récentes tentatives de forcer les jeunes religieux à servir dans l’armée.
Le gouvernement est d’évidence bien plus soucieux d’une victoire de la propagande politique que de la libération des otages.
Le principal objectif est de faire pression sur Mahmoud Abbas pour qu’il renonce à la réconciliation inter-palestinienne et d’abattre le gouvernement palestinien d’experts qui vient d’être formé. Abbas résiste. Il est déjà largement critiqué en Palestine pour l’étroite coopération qui se poursuit entre ses forces de sécurité et celles d’Israël, même pendant que se déroule l’opération israélienne. Abbas joue un jeu très dangereux, en tentant l’équilibre entre toutes les pressions. Quelle que soit l’opinion politique que l’on a, on doit reconnaître son courage.
Les dirigeants israéliens, vivant dans leur bulle, sont dans l’incapacité totale de comprendre la réaction du monde, ou son absence de réaction.
Avant que tout cela ne commence, le nombre des Palestiniens, dont des enfants, tués par des tirs à balles réelles au cours de manifestations n’avait cessé de croître. Il semble que les règles d’ouverture du feu, telles que les soldats les comprennent, ont facilité cela. Depuis le début de l’opération actuelle, plus de cinq Palestiniens non-combattants ont été tués par l’armée, dont des enfants.
Dans l’édition israélienne du New York Times, une grande partie de la une était consacrée à la photo d’une mère palestinienne pleurant son enfant et non aux otages.
Mais lorsque les trois mères, envoyées à des fins de propagande à la commission des droits humains de l’Onu à Genève, ont été fraîchement accueillies, le gouvernement israélien s’est étonné. Les délégués étaient plus préoccupés des violations des droits humains par Israël que par les otages – pour beaucoup d’Israéliens c’était un exemple éclatant de l’antisémitisme des Nations Unies.
Plus que toute autre chose, cet épisode met une fois de plus en évidence notre besoin extrême de paix. La réconciliation inter-palestinienne pourrait rendre la paix plus proche – et c’est pourquoi la droite israélienne, et en particulier les colons, veulent la détruire.
Je pense que les colonies sont un désastre pour Israël. Mais mon cœur saigne pour les trois garçons – dont deux sont âgés de 15 ans, le troisième un peu plus vieux – actuellement détenus dans des conditions que l’on a de la peine à imaginer, s’ils sont encore en vie.
La meilleure façon de prévenir les prises d’otages est de libérer volontairement les prisonniers. Même les services de sécurité ne peuvent sérieusement soutenir que tous les milliers de prisonniers politiques actuellement dans nos prisons constituent un danger mortel pour notre existence.
Une démarche de progrès encore meilleure est de mettre fin à l’occupation en faisant la paix.
Source : article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 28 juin 2014 – Traduit de l’anglais « An Armed Ghetto » pour l’AFPS : FL