Les élections municipales qui doivent se tenir en 2016 marqueront-elles un nouveau recul de l’ANC ? Le parti qui avait pourtant tiré les leçon du coup de semonce de 2014 ne semble toujours pas capable de réagir, au contraire.
Le nouveau recul significatif de l’ANC en 2014, bien que vainqueur une nouvelle fois – moins de 25% des électeurs et électeurs potentiels ont, en réalité, voté pour ses candidats – a fait la preuve de l’ampleur de la perte de soutien populaire, dans les grandes villes particulièrement, comme dans le Gauteng (province de Johannesburg). S’il est indéniable que depuis 1994, des avancées ont été accomplies par les gouvernements ANC successifs, il est aussi évident que les promesses faites au cours des quatre campagnes électorales sont loin d’avoir été tenues, en ce qui concerne les services publiques notamment et qu’une grande partie de la population continue de vivre en dessous du seuil de pauvreté. La gabegie des fonds publics est, par ailleurs, aujourd’hui évaluée : En 20 ans, l’Afrique du sud a gaspillé 880 milliards de rands (80 milliards environ d’euros) en dépenses non autorisées, inutiles et improductives, selon l’Auditeur général. Environ 40 milliards de rands ont simplement disparu de la circulation sans laisser de traces. Quant à la corruption des élites, elle fait la « une » quasi-quotidiennement.
Très critiquée, l’ANC est confrontée à une triple menace : le premier partie d’opposition, la Democratic Alliance (DA) d’Helen Zille qui ne cache pas ses ambitions, le jeune parti EFF de Julius Malema (Economic Freedom Fighters), très provocateur et populiste qui a remporté onze sièges aux dernières élections où il se présentait pour la première fois, et la nouvelle opposition en formation rassemblant autour du puissant syndicat dissident de la métallurgie, NUMSA, l’ancienne « gauche » de l’ANC et tous les déçus du nouveau régime.
Le 103ème anniversaire de la création de l’organisation, le 6 janvier dernier, avait été, pour l’ANC, l’occasion d’une démonstration de force et d’unité. Le choix du lieu, d’abord, Cape Town, fief de la DA, ne fut pas un hasard. Faire venir 60 000 personnes de toutes les provinces du pays sur le territoire du premier rival représentait un défi nécessitant de gros moyens matériels et financiers que la machine ANC n’a pas hésité à mobiliser malgré ses difficultés de trésorerie. La seule location du stade de Cape Town lui aura coûté plus de 2.2 millions de rands. Le champagne a coulé à flot dans les tribune VIP et un appel a été lancé aux compagnies privées et multinationales présentes à soutenir financièrement l’ANC.
Cependant, l’incapacité de l’ANC à respecter ses engagements s’accompagne, aujourd’hui, d’une réponse de plus en plus réduite à la répression violence, à des litanies de promesses et à l’insulte et la diffamation à l’encontre des partis d’opposition et de leurs dirigeants. Blade Nzimande, à la fois dirigeant de l’ANC et du Parti communiste s’en est fait ainsi le spécialiste de façon grossière, outrancière, d’autant plus surprenante lorsqu’on se souvient de l’intelligence politique du PC dans le passé, sous la direction d’hommes comme Joe Slovo, par exemple.
L’intervention de la police au Parlement, à l’occasion du discours sur l’état de la Nation du président Zuma, pour expulser des députés contestataires de l’EFF manu militari, a été vécue comme une atteinte profonde à la démocratie à laquelle les Sud-Africains dans leur ensemble sont fortement attachés. Les insultes proférées, ensuite, par la présidente de l’Assemblée nationale, Baleka Mbete, traitant Julius Malema de « cafard » – terme utilisé par les racistes – ont également choqué. Les incidents se succèdent désormais sans interruption.
Récemment, la dernière et pathétique tentative de diffamation de l’opposition a pris la forme d’une accusation d’espionnage au profit de la CIA et de complot pour renverser le régime à l’encontre des principaux adversaires de Jacob Zuma et de l’ANC, suivie d’une demande d’enquête. L’affaire est parti d’un blog obscur dont l’auteur se présente sous le pseudonyme John Myburg, qui diffuse un texte faussement signé du nom d’un dirigeant du NUMSA, John Carelse, avec une intention déstabilisatrice évidente, accompagné d’une liste de noms des « comploteurs » et « agents ». On trouve, bien sûr, Julius Malema, mais aussi la « public protector » Thuli Madonsela, dont le rapport sur l’utilisation de fonds publics à des fins privées par Jacob Zuma, est toujours d’actualité. La liste cite encore le secrétaire général du NUMSA, l’ex-ministre Ronnie Kasrils, héro de la lutte contre l’apartheid, ex-dirigeant de l’ANC et de ses services de renseignements, aujourd’hui violemment opposé à la politique menée par Jacob Zuma, et d’autres personnalités, dont des « agents étrangers ».
Après l’apparition du syndicat indépendant des mineurs AMCU qui a mené la longue grève de 2012/2013 contre la volonté du syndicat officiel NUM allié de l’ANC, après la dissidence du puissant NUMSA, c’est au tour des étudiants d’accuser la direction de leur syndicat SASCO de collusion avec l’ANC et le pouvoir. La colère des étudiants contre la politique du ministre de l’Education, Blaise Nzimande, a donné naissance, fin mars, à « Occupy Mouvement » à l’université de Witwaterstrand, avec l’intention de ses fondateurs, dont certains sont aussi des dirigeants de la Ligue de la Jeunesse de l’ANC, de le transformer en une organisation syndicale étudiante nationale indépendante pour faire entendre leurs revendications, dont la gratuité et une meilleure qualité de l’enseignement, ainsi que l’éradication du racisme toujours très présent dans les universités.
Dans ce pays l’un des plus riches producteurs en or et en platine, et qui a un urgent besoin de cadres bien formés pour se développer, la situation des étudiants, vingt ans après la fin de l’apartheid, est effectivement dramatique à tous les niveaux. L’incapacité du pouvoir à répondre à cette situation, comme à d’autres tout aussi cruciales – la distribution de la terre, l’eau potable, les services de base, etc – risque à nouveau d’entamer la popularité de l’ANC et de peser sur l’issue du scrutin de 2016.