Selon Golden-Sachs, les BRICS pourraient représenter environ 40% du produit national brut mondial (PNB) en 2050. Le groupe BRICS pourrait s’ouvrir rapidement à des pays comme la Turquie, l’Indonésie, la Corée du Sud, et pourquoi pas, l’Iran qui pourrait compter parmi les onze prochaines économies émergentes, les N-11.
C’est l’économiste de renommée mondiale Jim O’Neil, patron du géant de la finance Goldman-Sachs Investment Bank (GS), qui a inventé le concept d’un nouveau bloc émergent sur la planète, les « BRICS » qui regroupe le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Selon Golden-Sachs, les BRICS pourraient représenter environ 40% du produit national brut mondial (PNB) en 2050. Le groupe BRICS pourrait s’ouvrir rapidement à des pays comme la Turquie, l’Indonésie, la Corée du Sud, et pourquoi pas, l’Iran qui pourrait compter parmi les onze prochaines économies émergentes, les N-11, (Bangladesh, Égypte, Indonésie, Iran, Mexico, Nigéria, Pakistan, Philippines, Turquie, Corée du Sud et Vietnam), identifiés, en 2005, par GS comme porteurs de perspectives d’investissements et de croissance.
L’émergence des BRICS marque-t-elle le signal de notre entrée réelle dans un nouveau monde multipolaire ? Selon Paul Kennedy, historien britannique spécialisé dans les relations internationales et la géostratégie, nous avons déjà ou sommes en train de traverser une « ligne de partage des eaux » qui nous entraîne très loin du monde unipolaire de l’Après-guerre et de « LA super-puissance ». Quatre raisons à cela : la lente érosion du dollar américain (passé de 85% des réserves mondiales à moins de 60%), la paralysie du projet européen, la montée de l’Asie (avec la fin de 500 ans d’hégémonie occidentale) et la décrépitude des Nations unies.
Le G-8 (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada et Russie) s’avère déjà hors sujet. Le G-20 qui regroupe le G-8 plus les BRICS, pourrait être le bon groupe. Mais il y a beaucoup à faire pour traverser cette ligne de partage des eaux et ne pas être simplement balayé bon gré mal gré, à savoir réformer le Conseil de sécurité de l’ONU, et au-delà, réformer le système Bretton-Woods, particulièrement les deux institutions, Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale (BM).
Les BRICS sont confrontés à d’immenses problèmes. Durant les seules sept dernières années, le Brésil a ajouté 40 millions de personnes à la classe des petits-bourgeois consommateurs. En 2016, il aura investi $900 milliards de plus – plus qu’un tiers de son PNB – dans l’énergie et les infrastructures. Et, ses exportations représentant seulement 11% de son PNB (moins encore que les États-Unis), il n’est pas aussi exposé que d’autres membres du groupe aux impondérables du commerce international. Mais la question clé reste la même : la mauvaise gestion, pour ne pas parler du marécage de corruption. La nouvelle classe de riches, au Brésil, se révèle ne pas être moins corrompue que la vieille élite compradore arrogante qui a longtemps gouverné le pays.
En Inde, le choix semble se situer entre un chaos gérable ou ingérable. Les abus de pouvoir, le contrôle despotique des contrats liés aux infrastructures, le pillage des ressources minières, les scandales immobiliers, tout y est. Depuis 1991, la « réforme » en Inde n’a signifié qu’une seule chose : le commerce effréné et le maintien de l’État hors de l’économie. Il n’est donc pas étonnant que rien ne soit fait pour réformer les institutions publiques qui sont un vrai scandale en elles-mêmes.
La Russie est, elle aussi, toujours en train d’essayer de trouver la formule magique, y compris une politique d’État satisfaisante pour exploiter les ressources naturelles du pays, les espaces extraordinaires et l’impressionnant talent social. Elle doit se moderniser rapidement, car, en dehors de Moscou et de Saint-Pétersbourg, on assiste à un relatif recul social. Ses dirigeants sont encore mal à l’aise par rapport à leur voisin chinois, sachant que toute alliance sino-russe ferait de la Russie un partenaire clairement subalterne. Les Russes se méfient de Washington, anxieux de la dépopulation de leurs territoires orientaux, et s’inquiètent de l’aliénation culturelle et religieuse de leur population musulmane. Et, à nouveau, Poutinator est revenu à la présidence avec sa formule magique de modernisation : un partenariat stratégique germano-russe qui bénéficiera au pouvoir de l’élite des oligarques-hommes d’affaires, mais pas nécessairement à la majorité des Russes.
Le système post-Seconde guerre mondiale de Bretton Woods est, désormais, officiellement mort, totalement illégitime, mais qu’est-ce que les BRICS prévoient de faire à cet égard ?
Au cours de leur sommet à New-Delhi, en mars dernier, les BRICS ont fortement avancé l’idée d’une banque de développement qui pourrait investir dans les infrastructures et leur assurerait des crédits en cas de crise financière, quelle qu’elle soit. Les BRICS savent très bien que Washington et Bruxelles n’abandonneront jamais le contrôle du FMI et de la BM. Néanmoins, le commerce entre ces pays atteindra l’impressionnant chiffre de $500 milliards en 2015, pour la plupart dans leur propre devise. Mais la cohésion des BRICS, si tant est qu’elle existe, est concentrée principalement autour de la frustration partagée par rapport aux Maîtres de la Spéculation financière de style universel qui a failli envoyé l’économie mondiale au fond du trou en 2008. Les BRICS, il est vrai, ont une convergence évidente de politique et de vue quand il s’agit de l’Iran assiégé, du Printemps arabe au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Mais le problème central reste le manque d’alternative idéologique ou institutionnelle au néo-libéralisme et aux Seigneurs de la finance internationale.
Comme le note Vijay Prashad, le Nord a tout fait pour empêcher toute discussion sérieuse sur la manière de réformer la pagaille financière internationale. Il ne faut pas s’étonner si le président du G-77 (en réalité G-132, actuellement), l’ambassadeur thaïlandais Pisnau Chanvitan, a mis en garde contre « un comportement qui semble indiquer un désir de naissance d’un néo-colonialisme ». Entretemps, il se passe des choses de façon désordonnée. La Chine, par exemple, continue informellement de se servir du yuan comme devise sinon internationale, du moins mondialisante. Elle commerce déjà en yuan avec la Russie et l’Australie, sans parler de l’Amérique latine et du Moyen Orient. Les BRICS misent de façon accrue sur le yuan comme leur monnaie alternative pour dévaluer le dollar américain. Le Japon utilise à la fois le yen et le yuan dans ses échanges avec son puissant voisin asiatique. Le fait est qu’ une zone de libre-échange non reconnue est déjà en formation en Asie, entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud.
Ce qui va arriver, même en incluant le brillant futur des BRICS, sera, sans aucun doute un grand désordre. Tout est possible ou presque, d’une nouvelle grande récession aux États-Unis à la stagnation européenne, voire l’écroulement de l’eurozone, à un fort ralentissement des BRICS, une tempête sur le marché des devises, l’effondrement des institutions financière, un crash mondial.
Et parlant de désordre, qui pourrait oublier ce qu’avait dit Dick Cheney, à l’Institut du Pétrole, à Londres, en 1999, alors qu’il était encore PDG d’Halliburton,: « Le Moyen Orient, avec deux tiers du pétrole mondial et à bas coût, reste en fin de compte le n°1. » Il ne faut pas s’étonner si, comme vice-président, après son arrivée au pouvoir en 2001, sa première décision en matière d’affaires fut de « libérer » le pétrole irakien. Bien sûr, qui ne se souvient pas de la fin de l’histoire ?
Aujourd’hui – les Administrations ont changé mais la ligne est restée la même -, il s’agit d’un « embargo-guerre-économique » contre l’Iran. Les dirigeants chinois voient le psychodrame américain concernant l’Iran comme un complot pour un changement de régime, purement et simplement, qui n’a rien à voir avec des armes nucléaires. Ici encore, le vainqueur de l’imbroglio iranien est la Chine. Avec la crise du système bancaire iranien et l’embargo américain qui chamboule l’économie de ce pays, Pékin ne peut que dicter ses termes d’achat de pétrole iranien. Les Chinois sont en train de développer la flotte de pétroliers iraniens, un contrat qui porte sur plus d’$1 milliard et l’autre géant BRICS, l’Inde, achète plus de pétrole iranien encore que la Chine. Cependant, Washington n’appliquera pas ses sanctions sur les pays BRICS car, en ce moment, économiquement parlant, les États-Unis ont en besoin plus qu’ils n’ont besoin d’eux.
Ce qui nous conduit au « dragon de la pièce »: la Chine. Quelle est l’ultime obsession de la Chine ? La stabilité, la stabilité, la stabilité. La description habituelle du système comme « socialisme avec des spécificités chinoises », tient, bien sûr, autant du mythe qu’une gorgone. En réalité, pensez néolibéralisme inconditionnel avec les caractéristiques conduit par des hommes qui ont toutes les intentions de sauver le capitalisme mondial.
En ce moment, la Chine est prise dans des glissements tectoniques structurels d’un modèle exportation/investissement à un modèle services/ consumérisme. En termes de sa croissance économique explosive, les dernières décades ont été presque inimaginables pour la plupart des Chinois (et pour le reste du monde), mais selon le Financial Times, ils ont aussi laissé les plus riches du pays qui représentent 1% de la population contrôler 40 à 60% de la richesse nationale totale. Comment trouver un chemin pour maîtriser des dommages collatéraux aussi stupéfiants ? Comment faire un système avec des problèmes intrinsèques qui touchent 1,3 milliards de personnes ?
« Obsession de la stabilité ». En 2007, le Premier ministre Wen Jiabao, avertissait que l’économie chinoise pourrait être « déstabilisée, déséquilibré, désorganisée et non durable ». Aujourd’hui, la direction collective, y compris le Premier ministre suivant, Li legiang, a fait nerveusement un pas de plus en avant en enlevant « non durable » du lexique du Parti. Nous sommes déjà dans la nouvelle phase de développement du pays. Ce sera intéressant d’observer les années à venir. Comment les héritiers théoriquement « communistes » – les fils et filles des plus hauts dirigeants du Parti, tous immensément riches, grâce, en parti, à leurs petits arrangements avec les compagnies occidentales, les pots-de-vin, les alliances avec les gangsters, toutes ces « concessions » faites aux plus offrants, et toute l’oligarchie liée à l’Occident, copin-copine avec les capitalistes – conduiront-ils la Chine au-delà des « Quatre modernisations » ? Surtout quand on peut piller une richesse si fabuleuse?
Exprimant son inquiétude, l’Administration Obama a réagi à l’évidente émergence de la Chine comme une puissance avec laquelle il faut compter via un « pivot stratégique » depuis ses désastreuses guerres au Moyen orient et en Asie. Le Pentagone se plaît à appeler cela « le rééquilibrage » (bien que, pour les États-Unis, au Moyen Orient les choses ne sont que « rééquilibrées » ou « terminées »).
Avant le 9/11 (attentat du World Trade Center), l’Administration Bush s’était concentrée sur la Chine comme futur ennemi mondial n°1. Puis, le 9/11 l’a redirigée vers ce que le Pentagone a appelé « l’arc d’instabilité », les pays au coeur du pétrole de la planète qui s’étendent du Moyen Orient à l’Asie centrale. Avec ce changement, Pékin a calculé que la Chine pourrait bénéficier d’un délai d’en gros vingt ans pendant laquelle elle n’aurait plus autant de pression. Pendant ces années, elle pourrait se concentrer sur une version casse-cou du développement intérieur, tandis que les États-Unis gaspillent des montagnes d’argent avec son absurde « Guerre mondiale contre le terrorisme ».
Douze ans plus tard, cette fenêtre est en train de se refermer brutalement, depuis l’Inde, l’Australie et les Philippines jusqu’en Corée du Sud et au Japon, les États-Unis ayant annoncé leur retour dans le business hégémonique en Asie. Les doutes sur cette nouvelle voie américaine ont été dissipés avec le manifeste délivré par la secrétaire d’État Hillary Clinton, en novembre 2011, dans le magazine Foreign Policy, intitulé sans subtilité « Le centenaire de l’Amérique dans le Pacifique ». (Et elle parlait de ce siècle, pas du siècle passé !)
Le mantra américain est toujours le même : « la sécurité américaine », dont la définition est : quoi qu’il arrive sur la planète. Qu’il s’agisse du Golfe persique riche en pétrole où Washington « aide » les alliés israéliens et saoudiens parce qu’il se sentent menacés par l’Iran, ou de l’Asie où une aide similaire est offerte à un nombre croissant de pays qui sont considérés comme menacés par la Chine, c’est toujours au nom de la sécurité américaine. Dans tous les cas, quel que soit le cas, c’est ce qui prend le pas sur le reste.
Et c’est ainsi que, s’il existe un Mur de la Défiance depuis 33 ans entre les États-Unis et l’Iran, un nouveau mur Mur de la Défiance est en train de s’ériger entre les États-Unis et la Chine. Récemment, Wang Jisi, recteur de la School of International Studies (École des études internationales) de l’université de Pékin et l’un des plus grands analystes stratégiques chinois, expliquait les perspective des dirigeants chinois par rapport à ce « Siècle du Pacifique » dans un article très remarqué dont il était coauteur.
La Chine, écrit-il, attend aujourd’hui d’ être traitée comme une puissance de premier rang. Après tout, elle « a surmonté avec succès…la crise financière de 1997-1998 » provoquée, aux yeux de Pékin, par les « profondes déficiences de l’économie et de la politique américaines . La Chine a surpassé le Japon en tant que seconde plus importante économie du monde et semble être le n°2 de la politique mondiale, également. Les dirigeants chinois ne mettent pas ces succès au crédit des États-Unis ou de l’ordre mondial conduit par les États-Unis. »
Les Américains, ajoute Wang, « sont considérés en Chine généralement comme une puissance en déclin à long terme… La question est, maintenant, de savoir combien d’année et non combien de décades il faudra avant que la Chine remplace les États-Unis au rang de première puissance mondiale…élément d’une nouvelle structure émergente ». Les BRICS, bien sûr.
En somme, comme le décrive Wang et son coauteur, les Chinois influents voient le modèle de développement de leur pays produire « une alternative à la démocratie occidentale et des expériences dont s’inspireront les autres pays en développement, tandis que de nombreux pays en développement qui ont introduit des valeurs et des systèmes politiques occidentaux connaissent troubles et chaos. »
Mettez tout ça dans une coquille de noix et vous aurez la vision chinoise du monde dans laquel des États-Unis évanescents veulent encore avoir une hégémonie mondiale et restent suffisamment puissants pour bloquer les puissances émergentes – la Chine et les autres États BRICS – au nom de leur destinée du 21è siècle.
Comment, maintenant, l’élite politique américaine voit ce même monde ? Virtuellement, personne n’est mieux qualifié pour traiter ce sujet que l’ancien conseiller à la sécurité nationale et bref conseiller fantôme de Barack Obama, le Dr. Zbigniew « Zbig » Brzezinski. Et il n’hésite pas à le faire savoir dans son dernier livre, Strategic Vision : America and the Crisis of Global Power (L’Amérique et la crise de la puissance mondiale)
Si les Chinois ont leur vision stratégique sur les autres pays BRICS, Zbig reste collé au Vieux Monde récemment reconfiguré. Il prétend aujourd’hui que le maintien sous une forme ou une autre de l’hégémonie mondiale doit passer par un « Occident élargi ». Ce qui voudrait dire un renforcement des Européens (particulièrement en termes d’énergie), l’intégration de la Turquie qu’il imagine comme un modèle pour de nouvelles démocraties arabes, et un engagement de la Russie, politiquement et économiquement, d’une « manière stratégiquement sobre et prudente. »
La Turquie, à ce propos, n’est pas un tel modèle car, malgré le « Printemps arabe », dans le futur immédiat il n’y a aucune nouvelle démocratie arabe. Mais Zbig croit que la Turquie peut aider l’Europe, et donc les États-Unis, de manière beaucoup plus pratique pour résoudre certains problèmes d’énergie mondiale, en facilitant son « accès libre, en passant par la mer Caspienne, au pétrole et au gaz de l’Asie centrale. » Dans les conditions actuelles, cependant, cela tient, aussi, du fantasme. Après tout, la Turquie ne peut que devenir un pays clé de transit dans le grand jeu de l’énergie sur l’échiquier eurasien que j’ai appelé, il y longtemps, le Pipelinistan, que si les Européens se mettent d’accord. Ils auraient à convaincre la riche et autocratique « république » du Turkmenistan d’ignorer son puissant voisin russe et de leur vendre le gaz naturel dont ils ont besoin. Mais il y a aussi cette autre question énergétique qui semble improbable en ce moment : Washington et Bruxelles devraient abandonner les sanctions contreproductives et l’embargo contre l’Iran (et le wargame qui va avec) et commencer à commercer sérieusement avec ce pays.
Dr. Zbig, néanmoins, propose la notion d’Europe à deux vitesses comme la clé de la puissance future américaine sur la planète. Imaginons la version optimiste du scénario selon lequel l’actuelle Eurozone s’effondre à moitié. Il maintiendrait le rôle dirigeant des matous ineptes, gras et bureaucratiques à Bruxelles qui dirigent actuellement l’UE et soutiennent une « autre Europe », pour la plupart les pays Club Méditerranée du sud, hors de l’euro, avec des mouvements de personnes et de biens théoriquement libre entre les deux. Son pari – et en cela, il reflète un courant clé de la pensée à Washington – est que l’Europe à deux vitesses, un Big Mac eurasien, encore enlacé à l’Amérique, pourraient être un partenaire mondialement décisif pour le reste du 21è siècle.
Et donc, Dr Zbig déploie toute la palette du « guerrier de la Guerre froide », louant une « future stabilité américaine en Extrême Orient », inspiré par « le rôle joué par les Britanniques au 19è siècle dans la stabilité et l’équilibre de l’Europe ». Nous parlons, en d’autres termes, de la diplomatie de la canonnière n°1 de ce siècle. Il concède gentiment qu’ « un partenariat global américano-chinois » serait encore possible, mais à la seule condition que Washington garde une présence géopolitique significative dans ce qu’il continue d’appeler l’ « Extrême Orient » – « que la Chine approuve ou non ». La réponse sera « non ».
D’une certaine manière, il n’y a rien de nouveau dans tout ça, c’est en grande partie la politique réelle de Washington aujourd’hui. Dans son cas, c’est un vrai remake de son chef d’oeuvre « The Grand Chessboard » (Le grand échiquier, 1997) dans lequel, il assure, une nouvelle fois, que « l’immense continent trans-eurasien est la scène centrale des affaires du monde ». Sauf que la réalité lui a appris que l’Eurasie ne peut pas être conquise et que le mieux qu’il puisse faire est d’essayer d’amener la Turquie et la Russie au bercail.
Mais Brzezinski n’est rien comparé avec les récents discours d’ Hillary Clinton, dont celui prononcé à la Conférence 2012 du conseil de l’OTAN pour les affaires mondiales. Comme le fait l’Administration Obama régulièrement, elle a souligné « la relation durable de l’OTAN avec l’Afghanistan » et vanté les négociations entre les États-Unis et Kaboul pour « un partenariat stratégique à long terme entre nos deux Nations. »
Traduction : bien qu’étant mis en échec par une minorité de rebelles Pashtoun depuis des années, ni le Pentagone, ni l’OTAN n’ont l’intention de rééquilibrer quoique ce soit de leurs positions dans le grand Moyen-Orient. Alors qu’ils négocient déjà avec le président afghan, Hamid Karzai, à Kaboul pour rester jusqu’en 2014, les Américains ont l’intention de rester sur trois bases majeures stratégiques afghanes : Bagram, Shindand (près de la frontière iranienne) et Kandahar (près de la frontière pakistanaise). Il faudrait être complètement naïf pour croire que le Pentagone est capable d’abandonner volontairement de tels avant-postes exceptionnels pour contrôler les rivaux stratégiques russes et chinois et l’Asie centrale. L’OTAN, ajoutait Clinton sinistrement, « étendra sa capacités de défense pendant le 21è siècle », y compris le système de défense anti-missile que l’alliance a approuvé lors de sa dernière réunion à Lisbonne en 2010.
Il sera fascinant de voir ce que changera l’élection probable du socialiste François Hollande à la présidence de la République. Intéressé par un partenariat stratégique plus étroit avec les BRICS, il s’est engagé pour la fin du dollar américain comme devise de réserve mondiale. Reste à savoir si sa victoire jettera un pavé dans la mare de l’OTAN, après des années de régime du Grand Libérateur de la Libye, ce néo-Napoléon que ce veut Nicolas Sarkozy (pour qui la France n’était que de la moutarde sur le steak tartare américain).
Peu importe ce que pensent Dr. Zbig ou Hillary, la plupart des pays européens, saturés de leurs aventures « trou noir » en Afghanistan et en Libye, et de la façon dont l’OTAN sert aujourd’hui les intérêts américains, soutiennent Hollande dans ce sens. Mais ce sera encore une rude bataille. La destruction du régime libyen et le renversement de Muammar Kadhafi furent l’apogée du programme de changements de régimes de l’OTAN au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Et l’OTAN reste le plan B de Washington pour le futur, si le réseau habituel de Think tanks, fondations, fonds, organisations non gouvernementales, voire Nations unies, ne réussit pas à provoquer ce qui pourrait être décrit comme un changement de régime à la YouTube.
Dans une coquille de noix : après avoir fait la guerre sur les trois continents (Yougoslavie, Afghanistan et Libye), transformé la Méditerranée en un lac virtuel de l’OTAN et patrouillé la « mer arabe » non-stop, l’OTAN selon Hillary, surfera sur « un pari sur le leadership et la puissance américains, juste comme nous l’avons fait au 20ème siècle, depuis le début de ce siècle et au-delà ». Ainsi, voilà comment vingt et un ans après la fin de l’Union soviétique – la raison d’être, à l’origine, de l’OTAN – le monde pourrait finir : pas par un Bang, mais avec l’OTAN, qui continuerait de jouer le rôle d’un Robocop universel et immortel.
C’est un retour au Dr.Zbig et à l’idée d’une Amérique « promotrice et garante d’unité » en Occident, et « faiseuse d’équilibre et conciliatrice» à l’Est (pour lequel elle a besoin de bases du Golfe Persique au Japon, y compris celles d’Afghanistan). Et n’oubliez pas que le Pentagone n’a jamais abandonné l’idée d’atteindre la Full Spectrum Dominance (domination totale mer, terre, air et espace).
Cependant, face à cette puissance, il ne faut pas oublier qu’il existe un Nouveau Monde différent. Contre les canons et les canonnières, les missiles et les drones, il y a la puissance économique. La guerre des devises fait rage. Les pays BRICS Chine et Russie ont des montagnes de réserves. L’Amérique du sud est en train de s’unir rapidement ; Poutinator a offert à la Corée du Sud un pipeline pétrolier. L’Iran prévoit de vendre tout son pétrole et son gaz dans un panier de devises, mais pas de dollars. La Chine paye pour développer sa Marine et son stock de missiles anti-navires. Un jour, le Japon pourrait finalement réalisé que, aussi longtemps qu’il sera occupé par Wall Street et le Pentagone, il vivra une récession éternelle. Même l’Australie peut, finalement, refuser d’être obligée d’entrer dans une guerre commerciale contreproductive avec la Chine.
On le voit, ce monde du 21ème siècle qui sera le nôtre est largement formaté, dès maintenant, comme une confrontation entre les États-Unis/OTAN et les BRICS, avec tous les défauts des deux côtés. Le danger : que quelque part, plus tard, cette confrontation se transforme en Full Spectrum Confrontation.
Par Pepe Escobar
*Correspondant d’Asia Times et collaborateur du site TomDispatch, auteur de plusieurs ouvrages, son dernier livre s’intitule Obama does Globalistan (Ed. Nimble Books, 2009)