Le chroniqueur « défense » du Point nous explique « comment la DGSE a traqué les armes chimiques en Syrie » dans un article étonnant daté du 7 août et complété sur son blog le 11 août dernier… Soucieux de bien caresser ses sources dans le sens du poil, l’auteur commence par une remarque qui ne va plus de soi… mais bon : « La DGSE sait mieux que personne ce qui se passe en Syrie ». Cette certitude est-elle toujours d’actualité ?
Rien n’est moins sûr depuis qu’Alain Juppé a décidé de fermer notre ambassade à Damas et surtout depuis que le Directeur du Renseignements de La boîte a demandé à ses subordonnés d’éviter de rédiger des notes qui pourraient contredire certaines options de la cellule diplomatique de l’Elysée. En effet sur ce dossier précisément, François Sénémaud – bon connaisseur des Proches et Moyen-Orient -, a eu les honneurs du Canard Enchaîné à plusieurs reprises sans que le volatile ne soit formellement démenti…
La principale affirmation de l’article souligne que les enquêteurs de la DGSE auraient transmis des informations imparables, prouvant l’usage répété d’armes chimiques par l’armée gouvernementale syrienne, aux experts des Nations unies, notamment à leur chef, le suédois Ake Sellstrom. Si ce fait était dûment avéré, on peut légitimement se demander alors pourquoi le secrétaire général de l’ONU, l’aimable Ban Ki Moon – surnommé l’Ahuri des petits matins légers par ses collaborateurs -, n’a absolument pas réagi de même que les agents des services américains qui le marquent à la culotte… Pourquoi notre « expert » du Point n’a pas cité les déclarations fracassantes de Lakhdar Brahimi, l’ancien médiateur de l’ONU en Syrie accusant la rébellion syrienne d’avoir fait, elle-même, usage d’armes chimiques. Il est vrai que le diplomate algérien a fait ses révélations après avoir démissionné. On verra si son successeur italo-suédois Staffan de Mistura aura plus de courage…
Tout le monde connaît, depuis 40 ans, la composition exacte de l’arsenal chimique syrien. Les services occidentaux savent aussi parfaitement que celui-ci ne représentait pas une menace militaire de premier plan. Par conséquent, on peut aussi se demander pourquoi les agents de la DGSE ne se sont pas plus intéressés aux vraies menaces, à savoir les jihadistes fous furieux qui violent les femmes chrétiennes durant des heures avant de leur couper les seins et les mains ? Pourquoi nos anges gardiens et les autres services occidentaux n’ont-ils pas mieux anticipé les conquêtes territoriales des portes flingues d’Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri, dit Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi, le nouveau grand Calife à la place du Calife ?
Votre serviteur est littéralement tombé sur le derrière lorsque discutant dernièrement avec un chef de poste de la DGSE dans un pays d’Afrique de l’Ouest, ce dernier s’est mis à expliquer par le menu que sa mission principale consistait à traquer les financements du … Hezbollah libanais entre le Sénégal et le Burkina Faso ! On aurait quand même pu imaginer que les ressources d’AQMI, du MUJAO, d’Ansar Dine et d’autres humanistes sahélo-sahariens soient davantage dans le collimateur des limiers du boulevard Mortier, mais non… celles du Hezbollah intéressaient Paris « prioritairement »… C’est vraiment à se demander comment s’effectue la hiérarchisation des missions et de quelle nature sont les considérations qui, à l’évidence, viennent ainsi gravement perturber les missions « prioritaires » de nos services extérieurs !
Il est vrai que l’épouse du Directeur du renseignement de la DGSE est issue d’une famille libanaise très liée à celle d’Hariri dont on connaît les préoccupations principales : taper d’abord sur Bachar al-Assad et le régime syrien tout en ignorant les salafistes, ceux qu’Eric Chevallier – ancien ambassadeur chargé du dossier syrien et en partance pour l’ambassade de France au Qatar -, appelle « les Révolutionnaires »…
En définitive, et hormis les petits renvois d’ascenseur à des sources complaisantes, les articles du Point sur les aventures de la DGSE aux prises avec les armes chimiques syriennes, cachent mal une claire volonté d’empêcher la reprise de la coopération antiterroriste entre les services spéciaux français et leurs homologues syriens. Pourtant, avec quelques 600 jihadistes d’origine française engagés en Syrie et en Irak, nous aurions bien besoin d’un coup de main des Grandes moustaches de Damas. Plusieurs démarches de haut niveau ont, pourtant déjà été initiées dans ce sens, mais – autre évidence -, cette perspective n’est visiblement pas unanimement partagée par tous les grands Directeurs de nos services… Faudra-t-il subir de futurs attentats en France ou ciblant des intérêts français à l’étranger pour mettre tout le monde d’accord ?
Une chose est sûre : c’est lorsque les considérations politiques supplantent les missions de nos services que ces derniers risquent de dysfonctionner, voire même pire…
*Etienne Pellot est Consultant international, expert des Proche et Moyen-Orient et des questions énergétiques
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