Le Nicaragua vient juste de désamorcer une tentative de coup d’État violent, et tout le monde s’en fiche.
Pardon, je reformule : Très peu de gens s’y intéressent. Les professeurs de langues peuvent se pencher sur la question parce qu’ils peuvent trouver fascinant que « coup d’État violent » soit l’une des seules expressions qui presque à coup sûr, puisse être suivie par le complément « soutenu par les USA ».
Mais je peux vous dire avec certitude que les médias grand public ne veulent pas que cela vous inquiète. Ils ne veulent même pas que vous sachiez que c’est arrivé. Et ils ne veulent certainement pas que vous sachiez que cette tentative de coup d’État a suivi un schéma simple, inlassablement mis en œuvre par les USA dans les nations de gauche et anti-impérialistes à travers l’Amérique latine, ainsi que de nombreux autres pays, comme une stratégie d’échecs sur-utilisée.
Sur les ondes des médias grand public, vous n’entendez jamais parler de ce qui est soutenu ou non par les États-Unis. Si l’armée américaine soutenait un camion, CNN ne le mentionnerait pas, NPR vous dirait que le camion avait affaire à un « mouvement de protestation interne spontané » et Fox News blâmerait une personne noire. [1]
Par exemple, il y a le génocide soutenu par les États-Unis qui se déroule en ce moment même au Yémen. Comme une récente étude sur l’équité et l’exactitude dans les reportages l’a clairement démontré, au cours des 12 mois précédant le 3 juillet dernier, MSNBC a diffusé un total de zéro reportages sur le Yémen, à comparer à leurs 455 reportages publiés sur la star du porno que le président Trump a sautée. (Ce qui est grosso modo 445 reportages de trop, même si vous êtes vraiment fan de fiction érotique présidentielle).
Retour en Amérique latine. Les États-Unis ont depuis longtemps pour politique de saper, d’infiltrer et de faire tomber tout gouvernement latino-américain qui ne s’aligne pas sur nos politiques néolibérales de capitalisme dérégulé. Si un leader dit : « Hey, vivons d’une manière différente où tout le monde sera pris en charge, et où nous aiderons nos frères et sœurs », alors les États-Unis s’assurent qu’il ou elle finira par faire une chute dans un lac avec des chaussures en ciment (et ces chaussures ne seront même pas fabriquées par les travailleurs syndiqués du ciment, parce que tous les syndicats ont été détruits. Donc, vous aurez des enfants sous-payés en freelance, qui feront probablement partie de la nouvelle « économie du travail temporaire » munis d’une sorte d’application de fabrication de chaussures en ciment qui fait travailler les couches de ciment pour des queues de cerise parce qu’elles ne comprennent pas qu’elles se font baiser par un algorithme !)
Quoi qu’il en soit, le Nicaragua est la dernière tentative de coup d’État soutenu par les États-Unis en date. Donc, c’est le bon moment pour présenter : Comment fomenter un coup d’État soutenu par les USA en quelques étapes faciles.
Vous pouvez jouer à la maison, surtout si votre maison est au Nicaragua ou au Venezuela.
PREMIÈRE ÉTAPE : Créez une puissante « cinquième colonne » soutenue par les États-Unis.
Ne me dites pas que vous ne savez pas ce qu’est une « cinquième colonne ». Comment pouvez-vous être aussi ignare ! (je me moque de vous pour votre manque présumé d’une connaissance que j’ai personnellement acquise la semaine dernière.)
Comme l’explique le très intelligent Peter Koenig, « Une cinquième colonne est un groupe de personnes qui minent le gouvernement d’un pays pour soutenir l’ennemi. Ils peuvent être cachés ou agir à découvert. »
Il y a plusieurs façons de créer des cinquièmes colonnes. Ici, aux États-Unis, nous aimons créer les nôtres derrière de bons et sains paravents : les associations à but non lucratif. Nos deux préférées sont l’USAID et la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy, NED). Qu’est-ce que la NED ? Comme le disait Robert Parry, feu le rédacteur en chef de Consortium News,
En 1983, la NED a essentiellement repris le rôle de la CIA dans l’ingérence dans les résultats électoraux et la déstabilisation des gouvernements contraires aux intérêts américains, à ceci près que que la NED exerce ces fonctions d’une manière quasi-ouverte alors que la CIA le faisait de manière secrète. La NED sert également de caisse noire pour les néocons.
(Quand j’imagine une caisse noire néocon, j’imagine Dick Cheney, Mitch McConnell et Bill Kristol nus dans une baignoire remplie du vomi de toutes leurs victimes. Oui, c’est dégoûtant.
Mais c’est moins dégoûtant que ce qu’est vraiment une caisse noire néocon.
Nous employons donc la NED et l’USAID à déstabiliser des pays. Gardez à l’esprit que, même si cela peut sembler peu de chose, il y a des conséquences à déstabiliser les pays. Ce faisant, nous tuons indirectement nombre de gens, ou du moins nous les acculons à la ruine, les laissant pauvres ou démunis. Mais pour réussir un coup d’État, il est important de ne pas s’en soucier. Laissez ça aux intellos avec leurs crayons et leurs statistiques. Si des bébés meurent parce qu’ils ne peuvent pas obtenir le traitement médical dont ils ont besoin, ce n’est pas votre problème. Vous avez des tas d’autres chats à fouetter – par exemple, nettoyer les fientes d’oiseau sur vos mocassins à 1200 dollars.
DEUXIÈME ÉTAPE : minez l’économie du pays.
Cela peut se faire par le biais de sanctions, comme nous le faisons actuellement au Venezuela et en Iran. Simultanément, utiliser la cinquième colonne et les médias grand public obéissants (CNN, Fox News, MSNBC aux USA) pour convaincre les gens des pays ciblés que leurs problèmes économiques sont la seule faute de leur président.
« C’est la faute du président vénézuélien si vous n’avez pas de papier toilette ! Il stocke tout le papier toilette. Il est assis là-haut sur un trône fait de papier hygiénique de triple épaisseur ! Son anus chante « Joy to the World » en ce moment même ! »
Mais ce que nos médias grand public ne veulent pas que vous sachiez, c’est la vérité sur le sujet. Peter Koenig, qui était également observateur international pour la Presidential Economic Advisory Commission (grande classe !) a déclaré,
… Ceux qui sont derrière les boycotts de nourriture et de médicaments (rayons vides des supermarchés), et la violence interne induite [au Venezuela] sont parfaitement connus. Il s’agit d’une copie conforme de ce que la CIA a fait sous le commandement de Kissinger au Chili en 1973, qui a conduit à l’assassinat du président légitime et démocratiquement élu Allende et au coup d’État militaire de Pinochet…
Vous créez donc des problèmes économiques, ce qui affame les gens et les met en colère, et cela mène à la…
TROISIÈME ÉTAPE : Attendez des protestations internes et/ou créez-les.
Fondamentalement, il y a eu des protestations légitimes au Nicaragua, tout comme il y en a de temps en temps dans n’importe quel autre pays. Mais ensuite, les États-Unis et nos groupes de façade ont jeté de l’huile sur le feu. La publication Global Americans, financée par la NED, se vantait de l’huile qu’elle jetait. Dans un article intitulé « Poser les bases de l’insurrection : examen détaillé du rôle des États-Unis dans les troubles sociaux au Nicaragua », la NED disait « … avoir financé 54 projets au Nicaragua entre 2014 et 2017 ».
Ainsi, divers groupes soutenus par les États-Unis ont redirigé les protestations contre le gouvernement de Daniel Ortega. Certains étudiants protestataires ont même été envoyés par avion aux États-Unis pour y recevoir des instructions supplémentaires de Freedom House, une ONG qui a des liens étroits avec la CIA. Une fois aux USA, les étudiants ont posé pour des photos avec nul autre que le sénateur américain Marco Rubio (Républicain, Floride).[2]
S’il y a quelque chose à laquelle je me fie, c’est bien à des gens qui sont fiers de rencontrer Marco Rubio. Je veux dire, même les propres enfants de Marco Rubio disent aux gens que leur père est Joe Biden.
Ainsi, comme avec la Syrie, après que de véritables manifestations aient commencé au Nicaragua, les États-Unis ont utilisé leur cinquième colonne pour exacerber les tensions et canaliser les protestations vers une confrontation violente avec le gouvernement.
QUATRIÈME ÉTAPE : Devenez violent et accusez le gouvernement de devenir violent.
Nous avons vu cette tactique au Nicaragua et au Venezuela. Il y a eu de la violence des deux côtés des protestations, mais beaucoup plus du côté américain, parfois avec l’aide de la CIA ou d’anciens élèves de nos centres de formation militaire comme la School of the Americas [situé à Fort Benning en Géorgie, aux USA, ce centre entraînait des officiers pour des armées de pays d’Amérique latine. Célèbre pour avoir formé des dictateurs, des tortionnaires, des escadrons de la mort et des tueurs à gage, il a fermé ses portes en décembre 2015 sous la pression de plusieurs politiciens et militants des droits de l’homme… pour immédiatement rouvrir sous un autre nom, NdT]. Mais à cause de la propagande médiatique, beaucoup croient qu’il y a surtout de la violence du côté du gouvernement, alors qu’en fait, c’est le contraire.
CINQUIÈME ÉTAPE : Si les étapes 1 à 4 ne fonctionnent pas, kidnappez ou assassinez.
Le moment peut venir où vous avez épuisé les autres options, et il ne vous reste plus qu’à simplement tuer le mec. N’en soyez pas gêné. Ça arrive aux meilleurs d’entre nous.
Ou, si vous vous sentez magnanime, vous pouvez mettre votre cible dans un avion militaire américain et l’envoyer en Afrique contre son gré, comme ce fut le cas en 2004 pour le président d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide. Il avait été kidnappé par nos militaires et embarqué sur l’un des vols longs-courriers les plus embarrassants qu’on puisse imaginer.
Il y a un nombre infini d’exemples. En voulez-vous d’autres ? Disons, le renversement et l’assassinat du président socialiste Salvador Allende au Chili, soutenus par la CIA en 1973. Mais aucun problème, il a été remplacé par le dictateur meurtrier Augusto Pinochet, que les États-Unis préféraient de très loin (nous, les Américains, et lui partagions le même penchant pour les escadrons de la mort).
Pour sa part, le président équatorien Jaime Roldos Aguilera est mort dans un « accident » d’avion en 1981, après avoir lancé un plan de réorganisation de l’industrie équatorienne des combustibles fossiles auquel les intérêts américains étaient très opposés. Son avion est tombé du ciel à cause d’une sale panne appelée CIA. [3]
Même NBC a raconté les intrigues bizarres de la CIA pour assassiner Fidel Castro à Cuba, y compris à l’aide de cigares explosifs. [4] Pour être franc, je ne peux pas jouer les hautains là-dessus, parce que c’est la façon la plus marrante de tuer quelqu’un. Du moment que ça fait rire, j’approuve.
Et il y a quelques semaines, nous avons assisté à une tentative de tuer le président Nicolás Maduro au Venezuela avec un drone explosif. [5] Bien qu’il n’y ait aucune indication que l’armée américaine ait été directement impliquée, ce n’est pas vraiment ainsi que les choses se déroulent. Les militaires préfèrent financer des groupes de façade, de sorte qu’il semble que les États-Unis n’y sont pour rien. Et n’oubliez pas qu’il y a bien eu un coup d’État soutenu par les États-Unis contre Hugo Chavez, le prédécesseur de Maduro, en 2002. L’élimination du gouvernement Chavez-Maduro est donc un objectif à long terme de l’État profond des États-Unis.
Voilà – merci d’avoir joué à Comment fomenter un coup d’État soutenu par les USA en quelques étapes faciles !
Retrouvez-nous la semaine prochaine pour Comment créer une épidémie de choléra soutenue par les USA en quelques étapes faciles !… avec l’Arabie Saoudite en vedette ! …. Et certainement pas avec les médias grand public en vedette. Ils n’ont pas la plus petite idée de ce dont vous parlez.
Lee Camp est un satiriste politique, écrivain, acteur et activiste américain. Il anime l’émission satirique hebdomadaire Redacted Tonight sur RT America. Il a écrit pour The Onion et le Huffington Post.
Paru sur Truthdig sous le titre How to Create a U.S.-Backed Government Coup for Fun and Profit!
Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Illustration Pixabay
Notes de la traduction :
[1] CNN est une chaîne de télévision pro-Clinton. NPR (National Public Radio) est financée par des méga-corporations dont au moins une compagnie d’armement, Lockheed Martin, et ses actionnaires, sans compter l’inévitable George Soros. Fox News est la plus grosse chaîne de télévision républicaine des USA.
[2] Le sénateur américain Marco Rubio est fils de Cubains émigrés de Cuba à l’arrivée de Fidel. C’est un anti-castriste, un anticommuniste viscéral et un neocon. Trois termes peuvent le définir rapidement : froideur, psychorigidité et âpreté au gain. Sur le Nicaragua, voir l’article Nicaragua : la mécanique de la révolution de couleur en cours, expliquée
[3] La même année, le leader panaméen Omar Torrijos mourait également dans un accident d’avion. Il était également opposé aux intérêts américains.
[4] Channel 4 aussi. Voir le documentaire hilarant « 638 façons de tuer Fidel Castro » en VOSTFR.
[5] Un lien en français sur la tentative d’assassinat de Maduro.