Emmerson Mnangagwa, 75 ans, ancien bras droit de Robert Mugabe qui, le 24 novembre 2017, avait été mis au pouvoir par l’armée à la suite d’un coup d’État « feutré », comptait sur les élections présidentielle et législatives pour légitimer sa place à la tête du Zimbabwe. Première élections « libres » après trente-sept de pouvoir du clan Mugabe, ce scrutin, malgré une majorité absolue de la Zanu-PF à l’Assemblée nationale, n’a pas eu le résultat attendu. Le « crocodile » n’a, en effet obtenu, le 3 août, que 50,8% des voix, contre 44,3% pour le candidat de l’opposition, le jeune Nelson Chamisa à la tête du MDC après le décès du charismatique Morgan Tsvangirai. On est loin du raz-de-marée souhaité et annoncé par la Zanu-PF au cours de la campagne électorale.
« On a assisté à une célébration de la démocratie au Zimbabwe, un festival de liberté sans entraves. Alors que les yeux du monde étaient tournés vers nous, nous avons organisé une élection libre, juste et crédible comme nous l’avions promis, » a déclaré Emmerson Mnangagwa, après l’annonce des résultats. Ce n’est pas l’avis de l’opposition qui a immédiatement contesté la victoire de la Zanu-PF et du président. Au contraire, Nelson Chamisa a immédiatement qualifié le scrutin de « frauduleux, illégal, illégitime », lors d’une conférence de presse retardée par une intervention policière musclée contre les journalistes.
Démonstration de force qui écorne, également, l’image de démocratie retrouvée que veut à tout prix donner le président et son parti, la manifestation de l’opposition a, elle aussi, été violemment réprimée par l’armée qui n’a pas hésité à tirer à balles réelles sur les manifestants et les passants, tuant au moins six personnes et en blessant plusieurs dizaines d’autres. Un douloureux rappel des méthodes « Mugabe » dont Emmerson Mnangagwa fut un adepte et un promoteur. Reconnaissant envers l’armée qui l’a mis au pouvoir en novembre dernier, il avait nommé plusieurs militaires à des postes-clés dans son gouvernement. La société civile demande une enquête indépendante sur la présence des militaires et la violence utilisée contre les manifestants. Elle attend des réponses à ses questions : pourquoi l’armée est-elle intervenue ? Qui en a donné l’ordre ? Pourquoi des balles réelles ?
Si Nelson Chamisa a perdu, contesté et annoncé qu’il utiliserait tous les moyens pour faire annuler ces élections « truquées », il semble peu probable que ses démarches aboutissent. Cependant, sa candidature et sa campagne électorale sont le seul événement historique que l’on retiendra dans le futur. En effet, le jeune candidat
représente l’avenir pour presque la moitié des électeurs et sans doute davantage dans les prochaines années. Tout l’oppose à Emmerson Mnangagwa, compromis dans la corruption, la violence, les massacres et la crise économique profonde qu’a connu le Zimbabwe sous le règne de Robert Mugabe et auxquels il a largement contribué. Âgé de 40 ans, la jeunesse de Nelson Chamisa, son dynamisme, ses capacités de meneurs de foule et d’orateur ont, pendant sa campagne électorale, créé une rupture avec les pratiques de la Zanu-PF. Dans un pays aux mains de la génération de la guerre d’indépendance, où plus de la moitié de la population a, aujourd’hui, moins de 25 ans, c’est sans aucun doute un atout pour le futur. Il aura à convaincre, entre autres, l’électorat rural qui vote traditionnellement pour la Zanu-PF.
S’il n’était pas totalement inconnu, Nelson Chamisa a pris une dimension nationale nouvelle et incontournable à l’occasion de sa campagne électorale. Député MDC à l’âge de 25 ans, il avait été appelé au gouvernement d’union national, entre 2008 et 2013, dont le Premier ministre, aux côtés de Robert Mugabe, n’était autre que son mentor Morgan Tsvangirai. Il avait alors 31 ans. Pendant sa campagne, Nelson Chamisa n’a eu de cesse d’appeler les « Anciens » à laisser la place à la jeunesse. « Ils savent qu’ils sont au crépuscule de leur vie, ils ne peuvent plus participer à la construction de notre grand continent, ils n’ont pas de perspective d’avenir », a-t-il répété dans diverses interviews à la presse internationale et au cours de meetings, s’interrogeant sur la légitimité ont ces « septuagénaires » pour parler des années 2050 ou 2060 en Afrique ? L’ancien président du syndicat étudiant qui, déjà en 1999, avait manifesté contre la politique de Robert Mugabe en matière d’éducation, a, aussi connu, la répression dont Emmerson Mnangagwa fut l’un des responsables, arrêté à plusieurs reprises, laissé pour mort, en 2007, sur le tarmac de l’aéroport après un tabassage en règle par les agents de sécurité.
Nelson Chamisa a quelques années devant lui pour tirer les leçons de l’échec de l’opposition et du MDC, pour affiner son discours et son programme et pour éviter certains débordements dus, sans doute, à la fougue d’un premier galop, qui ont alimenté les accusations d’ « immaturité » et d’ « inexpérience » qui lui ont coûté un certain nombre de voix. Il représente, sans aucun doute, une alternative possible à la vieille garde compromise et à bout de souffle, soutenue par un état–major militaire lui aussi issu de la guerre de libération et vieillissant.
Christine Abdelkrim-Delanne