Accueilli par les applaudissements et les danses de milliers de membres de la Zanu-PF rassemblés au QG du parti à Harare, Emmerson Mnangagwa, 75 ans, limogé de son poste de Premier ministre, le 6 novembre, par Robert Mugabe, a fait un retour triomphal au pays, en tant que président de la République, cette fois. C’est sur la piste de l’aéroport militaire d’Harare qu’il a atterri en provenance de Johannesburg, avant de prononcer son premier discours.
« Le peuple a parlé. La voix du peuple est la voix de Dieu. », a-t-il déclaré. « Nous voulons développer notre économie, nous voulons des emplois… tous les Zimbabwéens doivent s’unir, travailler ensemble ». Il y a exactement 16 jours, expliquait-il, il recevait une lettre l’informant de son renvoi du gouvernement du Zimbabwe, « deux heures plus tard, j’étais informé de plans visant à m’éliminer ». Il rappelait la tentative d’assassinat dont il fut victime le 12 août dernier qui l’obligea à fuir en Afrique du Sud.
Pour la première fois depuis l’intervention de l’armée, l’ « Operation Restore Legacy » (Opération restaurer l’héritage) qui a conduit à la démission de Robert Mugabe, il a été question de « démocratie ». « Vous êtes les témoins d’une « démocratie en marche et totale », dit-il, voulant rassurer la population en général, les militants de la Zanu-PF en particulier, de sa volonté de mettre fin au système dictatorial imposé par Robert Mugabe – auquel il a largement participé, par ailleurs. La revendication de « démocratie » a été au coeur des manifestations massives qui se sont déroulées durant la semaine précédant la démission du vieux président, le nouveau chef de l’État ne pouvait faire l’impasse.
Le premier discours d’Emmerson Mnangagwa, a, également, été l’occasion de lancer un appel au soutien des pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), de l’Union africaine et de la communauté internationale. Il a remercié l’Afrique du Sud pour le rôle important qu’elle joué durant la crise, malgré l’échec de la médiation diplomatique, et pour l’avoir accueilli ainsi que ses proches, lorsqu’ils ont été obligés de quitter le Zimbabwe, il y a trois semaines.
Quant à Robert Mugabe et son épouse Grace, leur sort a été négocié au cours des longues discussions qui ont précédé sa démission. Il bénéficiera d’une immunité de poursuites judiciaires, d’une « généreuse retraite » et d’une garantie de sa sécurité et de ses biens, ainsi que de ceux de sa famille, sa femme et ses enfants qui ont accumulé des richesses à Singapour, en Malaisie et à Hong Kong. Le « package » qui lui a été offert à l’issu des négociations comprend, également, des indemnités de transport et de vacances, une assurance médicale et autres avantages. Il est clair que cette « générosité » ne sera pas appréciée par les sans « vrais » emploi (80% de la population), et les centaines de milliers de Zimbabwéens qui vivent sous le seuil de pauvreté et ont été réprimés par le régime Mugabe.
Si certains estiment que Robert Mugabe mérite de finir sa vie « en paix » et qu’il bénéficie, malgré tout, de son aura de leader de la guerre de libération, Grace Mugabe surnommée « Gucchi Grace », qui a été le déclencheur de l’intervention, ne jouit pas de la même estime au sein de la population. L’exhibition indécente de sa fortune à l’étranger – tirée du trafic de diamants zimbabwéens – et de celle de ses enfants, neveux et nièces, ses manigances et manœuvres politiques, son influence néfaste sur le vieux président, ses ambitions présidentielles, sont autant de griefs qui peuvent laisser supposer que pour ce qui la concerne, l’affaire n’est peut-être pas terminée. Le différend, le mois dernier, avec un homme d’affaires basé en Belgique, portant sur un collier d’1,3 millions de dollars, aura été le dernier scandale de son règne.
Quant à Emmerson Mnangagwa, dit « le Crocodile », il devra faire ses preuves en matière de « démocratie ». C’est, en effet, un mot qu’il a ignoré tout au long de sa carrière politique depuis l’indépendance. Recruté en 1962 par l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZANU), il reçoit une formation militaire en Tanzanie et en Égypte, puis en Chine où il est formé, également, au renseignement. En 1964, à la fin de son entraînement, il forme le « groupe des Crocodiles ». Il est arrêté en 1965 et condamné à dix ans d’emprisonnement (deux de ses camarades sont pendus), à la suite d’une opération de sabotage de matériel ferroviaire et de l’assassinat d’un fermier et d’un réserviste de la police.
C’est à la prison de Khami qu’Emmerson Mnangagwa rencontre Robert Mugabe et d’autres militants nationalistes. Expulsé en Zambie où il étudie et pratique le droit, il est nommé secrétaire de la Zanu pour la Zambie. En 1980, le Zimbabwe devient pleinement indépendant, avec Robert Mugabe à la tête de l’État. Emmerson Mnangagwa est nommé successivement ministre de la Sécurité de l’État, de la Justice et des Finances.
En 1983 et 1984, à la tête de la division Gukurahundi, une unité entraînée par la Corée du Nord, il lance une opération contre l’organisation rivale de la guerre de la libération, la ZAPU de Joshua Nkomo. C’est avec Constantino Chiwenga – le général qui a mené la récente intervention de l’armée et l’a installé au pouvoir – qu’il procède au massacre des populations civiles du Ndebele dans le Matabeleland, fief de la ZAPU : plus de 20 000 personnes tuées, des milliers de Ndebele détenus par les forces gouvernementales, dans des camps de rééducation ou sommairement exécutés.
Emmerson Mnangagwa est, également, un riche homme d’affaires qui a des intérêts miniers, notamment dans des mines d’or et de diamant. Selon un rapport des Nations unies de 2001, il fait partie de ceux qui se sont enrichis grâce à la contrebande des métaux précieux, le trafic d’armes et de devises, en République démocratique du Congo, lors de l’intervention, de 1998 à 2001, de l’armée zimbabwéenne, qui avait pris le contrôle de deux mines de diamants au Kasaï.
Le nouveau président était plus qu’un « proche » de Robert Mugabe. Il a été l’homme des basses oeuvres, l’homme de services de renseignement et un instrument primordial de la dictature et de la répression du peuple en général et de l’opposition en particulier, durant ces 37 dernières années. Le nouveau président porte, également, la responsabilité des violences, des assassinats (43 opposants), des morts (plus de 500, selon certaines sources) et des atrocités commises par la police contre des membres de l’opposition et leur famille, ainsi que des arrestations et des enlèvements de ses principaux dirigeants, lors de l’élection présidentielle de 2008 contestée par le candidat du MDC, Morgan Tsvangirai, également de retour, aujourd’hui, au Zimbabwe.
C’est donc légitimement que le peuple zimbabwéen, dont nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, rappellent les massacres de la « Gukurahundi », se pose la question de savoir si l’ « Opération Restore Legacy » menée par Constantino Chiwenga pour mettre son vieil ami de toujours, Emmerson Mnangagwa, à la tête du pays sera suivie d’un véritable changement et de l’instauration d’une démocratie qui n’appartient, elle, pas à l’ « héritage » du Zimbabwe, ou s’il s’agit, simplement, de la victoire d’un clan (Les Crocodiles) sur un autre (le G40 de Grace Mugabe) dans la course au pouvoir.