Le Zimbabwe était presque parti du néant, avec une production insignifiante de 44 000 carats en 2004, selon les statistiques du processus de Kimberley, un organisme censé lutter contre le financement des activités rebelles par l’exploitation et le négoce du diamant. En moins d’une décennie, ce pays est devenu l’un des principaux producteurs mondiaux en volume.
Selon un responsable de l’Antwerp World Diamond Center, la production du Zimbabwe s’est située l’an dernier au-dessus de 15 millions de carats. L’estimation concorde avec le chiffre de 7,6 millions avancé par le consultant Bain pour la première moitié de 2012. La production de 2012 sera en nette hausse par rapport à celle de 2011 (8,5 millions) qui, selon les statistiques du Processus de Kimberley, avait déjà atteint un record historique.
Déjà, en 2011, le Zimbabwe s’est hissé à la quatrième place des pays producteurs (en volume) avec un montant de 8,5 millions de carats, devant l’Angola et derrière le trio, Russie, Botswana et Congo-Kinshasa. Et l’envolée va continuer. À en croire le ministre zimbabwéen des Mines, Obert Mpofu, le pays recèlerait le quart des réserves mondiales de diamant ! Une bonne partie de cette production provient des mines de Marange, à 200 km à l’est de la capitale, Harare. Et, annonce la société d’État Zimbabwe Mining Development Corporation (ZMDC), la production du site de Marange, de 8 millions de carats en 2012 – en majorité des diamants industriels –, devrait doubler.
Elle est le fait d’Anjin, de Marange Resources, de Mbada Diamonds et de la Diamond Mining Company (DMC). Subsiste néanmoins un problème pour DMC : bien qu’autorisée à vendre sa production par le processus de Kimberley, cette société, dont la moitié des actions sont détenues par la ZMDC, figure encore sur la liste des sanctions unilatérales américaines et européennes. Une situation qui n’enchante pas du tout les diamantaires d’Anvers, en Belgique, confrontés à la concurrence des autres plaques tournantes du commerce. La ville a vu ses importations de diamants bruts, déjà en baisse en 2011, chuter encore de plus de 14 % en 2012.
Importante en volume, la production zimbabwéenne est encore modeste sur le plan de la valeur, sur l’échiquier international. La valeur de la production (56 dollars le carat en 2011) est bien moindre que celle du Botswana, de la Russie et du Canada. Avec 476 millions de dollars, le Zimbabwe n’est arrivé cette année-là qu’au septième rang, devancé par la Namibie, dont la valeur de la production est pratiquement double alors que son volume est huit fois moindre. Cela dit, le potentiel du Zimbabwe est considérable. Selon un géologue et gemmologue anversois, les diamants des concessions de Marange (670 km2) font partie d’un vaste gisement secondaire qui est un ancien fond marin aujourd’hui recouvert, comparable à l’embouchure du fleuve Orange en Namibie, où les dragues de la filiale de De Beers, Namdeb, récupèrent les gemmes des dépôts alluvionnaires. Or, la formation géologique identifiée dans la zone de Marange s’étend sur plus de 70 km, jusqu’aux gisements de Chimanimani, à la frontière du Mozambique, où la joint-venture formée par Diamond Trust of Zimbabwe (DTZ) et la firme russe Ozgeo possède une concession.
Cela présage l’existence d’une ceinture importante. La seule question est de savoir si entre Marange et Chimanimani l’exploitation est économiquement rentable. Car entre les deux gisements, l’ancien fond marin descend à une profondeur de 1 000 mètres. Cela dit, à Marange même, les teneurs des diamants recueillis sont quatre fois plus importantes qu’à la grande mine de Jwaneng, au Botswana, même si la valeur des gemmes est en moyenne trois fois moindre.
La prise de conscience de l’importance de ce pactole a incité la Catoca Mining Corporation angolaise – une joint-venture constituée par la société d’État Endiama, la compagnie russe Alrosa, la firme brésilienne Odebrecht et la firme israélienne Daumonty contrôlée par le magnat Lev Leviev –, qui opère le plus grand gisement kimberlitique d’Angola, à investir dans les mines de diamant du Zimbabwe. L’annonce en a été faite durant la première partie de février par le ministre angolais des Mines Francisco Queiroz. Et en novembre dernier, une conférence internationale sur le diamant zimbabwéen, organisée à Victoria Falls, a attiré des représentants des principales plaques tournantes du commerce mondial comme New York, Anvers, Ramat Gan (Israël), Mumbai (Inde) et Hong Kong.
Mais cet envol de la production ne se fait pas sans difficulté. Il a été si rapide qu’une industrie de la transformation n’a pas encore eu le temps d’émerger. Du coup, comme s’en est plaint le président Robert Mugabe, à peine 0,1 % de toute la production a été taillée dans le pays, très en dessous du quota de 10 % que se sont fixés les pays producteurs d’Afrique australe.
La naissance du géant se fait dans la douleur. Car sa réputation est entachée par la tragédie survenue en 2008, lorsque les forces de l’ordre ont évacué par la force les mineurs illégaux qui occupait le site de Marange depuis 2006, causant 200 victimes dans leurs rangs, selon l’association Human Rights Watch. Jusqu’à aujourd’hui, l’affaire fait l’objet d’une polémique opposant les ONG spécialisées sur les questions de bonne gouvernance à une bonne partie des États membres du processus de Kimberley et à l’industrie. Les ONG Global Witness (Royaume-Uni) et Partnership Africa Canada regrettent que le processus de Kimberley ait levé partiellement son embargo en 2011 et autorisé plusieurs sociétés à exploiter le site. Il avait pourtant interdit toutes les exportations provenant du site de Marange. Les ONG voudraient que les autres pays membres du processus de Kimberley suivent la ligne des États-Unis et de l’Union européenne qui imposent des sanctions unilatérales contre les entités et personnes zimbabwéennes accusées d’entraves au développement démocratique du pays.
Mais cette attitude n’est pas du goût de l’industrie. Ainsi, lors de la conférence de Victoria Falls, le président du Conseil mondial du diamant, Eli Izhakoff, a annoncé qu’il plaiderait auprès du Trésor américain et de l’UE en faveur de la levée des sanctions contre les compagnies opérant à Marange. Des mesures qui épargnent la compagnie chinoise Anjin, malgré ses relations étroites avec l’armée et la police du Zimbabwe (les Zimbabwe Defence Industries [ZDI] détiennent 40 % du capital de cette société). Mais ni Washington ni Bruxelles ne disposent d’une base légale pour empêcher les investisseurs d’acheter les diamants d’Anjin, qui dispose par ailleurs d’un fort soutien institutionnel chinois. La maison mère d’Anjin, AFECC, qui est en train de construire un collège militaire équipé de piscines, un hôpital et des cinémas dans la banlieue de Harare, est financée par un prêt de 100 millions de dollars de Export-Import Bank of China, gagé par la concession diamantifère sur le site de Marange.
Pour l’industrie, les sanctions unilatérales mettent en danger la cohésion du processus de Kimberley et contribuent à tirer à la hausse les prix des diamants en restreignant leur accès à certains marchés. Ce qui ne fait pas l’affaire des tailleries ou des bijouteries en aval.
Enfin, l’avenir de l’industrie minière en général pourrait dépendre des résultats des prochaines élections prévues, en principe, cette année. Fin 2012, le président Mugabe s’est prononcé pour la cession aux Zimbabwéens noirs de la totalité du capital des entreprises lors d’un meeting préélectoral de son parti, la Zanu-PF, suscitant les protestations des investisseurs. Ils étaient déjà contrariés par la loi dite d’« indigénisation », votée il y a deux ans par le Parlement à l’initiative de la Zanu-PF, qui ordonne le transfert de 51 % des parts à des actionnaires zimbabwéens publics ou privés. Si Mugabe remporte l’élection, il est à craindre que les investissements viennent à se tarir.