Une esthétique puissante. Une technique incontestable. Mais un rire pas aussi franc et éclatant qu’il n’y paraît au premier abord. Le peintre Yue Minjun nous séduit et nous dérange à la fois. La Fondation Cartier pour l’art contemporain a eu la très bonne idée de lui consacrer une superbe monographie et une exposition, une première en Europe, rassemblant une quarantaine de tableaux et des dessins autour du rire (Paris, jusqu’au 17 janvier). Beaucoup plus discret que ses toiles, l’artiste, originaire de Daqing, province chinoise du Hei Long Jiang, a notamment participé à la biennale de Venise de 1999 (c’est elle qui l’a rendu célèbre et lui a ouvert les portes du marché international de l’art).
Il est considéré – bien qu’il s’en défende, rejetant toute classification – comme l’un des principaux représentants du « réalisme cynique ». Cet important mouvement pictural s’est développé en Chine après le massacre du 4 juin 1989, mettant fin aux manifestations de la place Tian’anmen. Il est le fait de jeunes artistes en rupture avec l’ordre établi. Si leurs œuvres sont souvent hétérogènes, ils ont en commun le rejet de l’uniformisation de la société chinoise, une critique de la société de consommation, un certain désenchantement face aux mutations sociales et urbaines, mais aussi une nouvelle approche (libératrice) du corps. « C’est pour cela que le fait de sourire, de rire pour cacher son impuissance à une (grande) importance pour la génération », déclarait Yue Minjun à ses débuts pour justifier son style.
C’est donc toutes dents dehors que l’artiste a choisi de peindre la société de consommation mondialisée. Des évocations plus ou moins directes et d’une grande diversité : une pléthore de personnages hilares, bien sûr, mais aussi des dinosaures, des animaux, des avions et des voitures, ou encore des monuments… On trouve de tout chez Yue Minjun. Son œuvre la plus célèbre – mais aussi l’une des plus chères de l’histoire de l’art contemporain chinois – est, à n’en pas douter, The Execution. Cette peinture à l’huile de 1995 s’inspire des compositions réalisées entre 1867 et 1869 par le peintre français Édouard Manet autour de la mort de l’empereur Maximilien de Mexico. Elle représente l’exécution de quatre Chinois, presque nus, devant l’enceinte de la Cité interdite (palais impérial au centre de Pékin). Conformément au style de Yue Minjun, les personnages sont représentés souriants. Quoique. À bien y regarder, le sourire ressemble davantage à un affreux rictus.
* Yue Minjun, l’ombre du fou rire, Éd. Fondation Cartier pour l’art contemporain, 276 p., 37 euros.