Comme nous sommes précurseurs et devanciers en toutes choses, et notamment les plus irrationnelles, il nous faut regarder chez les voisins pour voir s’ils ne sont pas en train de faire mieux, ou pire, que nous.
Comme nous sommes précurseurs et devanciers en toutes choses, et notamment les plus irrationnelles, il nous faut regarder chez les voisins pour voir s’ils ne sont pas en train de faire mieux, ou pire, que nous. Les Marocains d’abord : ils se sont évertués, durant plus de deux décennies, à nier toute ressemblance avec nous et à rejeter toute prévision hasardeuse sur le caractère contagieux de certaines épidémies. Nos très chers frères de l’Ouest, plus chers parce que plus proches à bien des égards, se sont épuisés, en vain, à nous dénier le droit de les contaminer. Finalement, le virus idéologique qui se rit des frontières les plus verrouillées a gagné le royaume de Sa Majesté Mohammed VI, et les islamistes, en rangs plus serrés que ceux des nôtres, parce que c’est le Maroc ne l’oublions pas, sont arrivés. Ils l’ont fait sans bruit et sans fureur, en s’excusant presque d’avoir remporté une victoire électorale. Pas de discours triomphalistes, pas de promesses de lendemains qui déchantent et encore moins d’appels à renouveler son garde-manger ou sa garde-robe. Mais on ne change pas aussi facilement dans cette nébuleuse, devenue planète dans la stratégie américaine de conquête de l’espace. Arriver sur la pointe des pieds, c’est une chose, mais renoncer à ses bottes de sept lieues en est une autre. Alors, depuis quelques jours, le nouveau pouvoir islamiste s’est remis au pas martial, et il veut faire tenir les Marocains, et surtout les Marocaines, droit dans leurs babouches. Tout le monde sait que là où il y a des touristes, il y a nécessairement le commerce du sexe avec ses péripatéticiennes (quel grand mot pour ces dames dites de petite vertu !). L’un ne va pas sans l’autre, même si de notre côté nous outrageons la règle en ayant les autres sans avoir les uns. Toujours est-il que les barbus se sont mis en tête de mettre fin au commerce de la chair, en pourchassant les accortes jouvencelles qui s’y livrent dans des ruelles réservées ou aux abords des grands hôtels. Le gouvernement de Benkirane n’a pas mis directement la main à la pâte, mais il est derrière la création de milices populaires à cet effet. Selon les témoignages de défenseurs des droits de l’Homme, des « Comités populaires pour combattre la prostitution et proscrire le mal » se sont formés dans certains quartiers de Rabat. L’écrivain marocain Ahmed Assid a accusé le gouvernement islamiste d’encourager en sous-main ces milices. Composées de militants affiliés au parti au pouvoir, ces milices se permettent de vérifier l’identité des automobilistes, comme le feraient la police ou la gendarmerie. Ces contrôles serviraient notamment à débusquer les couples illégitimes, ou formés à la hâte pour un moment d’extase. C’est ainsi qu’ils ont forcé plusieurs « filles de joie » à déménager du quartier de Aïn-Ellouh où elles exerçaient le plus vieux métier du monde. « Si le mouvement de Benkirane veut réellement lutter contre la prostitution, qu’il mette en place un programme de développement des zones de pauvreté, au lieu de s’en prendre aux femmes et de les frapper dans la rue », affirme Ahmed Assid. Et il ajoute : « Si les islamistes ne boivent pas d’alcool, qu’ils se contentent du thé et du café, et nous les aiderons à en acquérir. Mais ils n’ont pas le droit d’imposer leur mode de vie, leur façon de se nourrir ou de s’habiller. Ce sont des choix personnels, et aucun n’a le droit de s’en mêler. » L’écrivain, militant de la culture amazighe, s’en prend aussi aux islamistes qui veulent faire interdire les traditionnels festivals musicaux du Maroc comme Mawazine, prévu en mai prochain. L’un des responsables du PJD au pouvoir s’est même distingué en invoquant Dieu, lui demandant de « se venger ici-bas et dans l’Au-delà de tous ceux qui contribueraient à verser un seul dirham aux artistes au rabais et prostituées qui viennent d’Égypte, de Turquie, d’Espagne et de France ». Réplique de Ahmed Assid : « Des membres du gouvernement de Benkirane et de son parti se mobilisent contre des festivals auxquels ils ne participent d’aucune manière. Ils n’aiment pas l’art, la liesse et la joie qu’ils vivent alors leur sombre vie dans leurs domiciles privés. Quant à la culture marocaine traditionnelle, et elle est amazighe, c’est une culture de la joie, de la danse et de la chanson. Et il n’appartient à personne de dire que toutes ces choses ne font pas partie de nos traditions. » « Et si d’aucuns sont partis en Orient pour emprunter une idéologie religieuse étrangère aux Marocains. Il n’y a pas de place au Maroc pour la commercialiser, et il le leur reste qu’à restituer cette marchandise à ses propriétaires orientaux », conclut Ahmed Assid. Côté tunisien, ça ne vaut guère mieux, et chaque jour apporte son lot de mauvaises surprises. Ainsi, le mouvement Ennahda commence à distiller dans la rue et jusque dans les travées de la nouvelle Assemblée les vrais objectifs de son programme. À l’encontre du discours de leurs alliés laïques, membres de la coalition au pouvoir, des responsables islamistes recommencent à parler d’État islamique à haute et intelligible voix. Des élus du parti de Ghannouchi exigent maintenant que la référence à la Charia, comme unique source des lois, soit proclamée dans la future Constitution. On est déjà bien loin du modèle turc dont se prévalaient, il y a quelques mois, Ghannouchi et ses sympathisants. Plus grave encore, des fondamentalistes s’en prennent par la bande au statut personnel tunisien qui proscrit notamment la polygamie. C’est ainsi qu’au sein de l’université, des étudiants se vantent publiquement d’avoir contracté un mariage coutumier (Orfi), et appellent à sa légalisation. De nombreux mariages de ce type, basé sur la simple prononciation de quelques formules rituelles validées par la Fatiha, ont été célébrés après la révolution. C’est le cas lors du mouvement d’occupation déclenché déclenché à l’université de Manouba, sous prétexte d’imposer le port du niqab dans les amphithéâtres. C’est dans cette université, occupée pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, que le mariage coutumier aurait commencé son essor. Les médias ont cité, en particulier, le cas de cet étudiant qui a « épousé » une de ses camarades et annonce qu’il en prendra une deuxième, voire une troisième et une quatrième à la fin de ses études. Comme le veut la Charia, disent-ils ; ou comme le veut le petit lutin qui s’agite en chaque mâle et qu’on appelle libido. Comme on peut le voir, en regardant vers un endroit précis du pantalon, la construction maghrébine n’est pas à l’arrêt, comme l’affirment les pessimistes, c’est un projet en perpétuel mouvement.
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Source : Le Soir d’Algérie (Chronique d’Ahmed Halli)