Jeudi 27 mars, alors que deux banques russes avaient été bloquées le 21 mars par les géants américains Visa et Mastercard, le président russe Vladimir Poutine s’est prononcé pour la création d’un système de paiement propre à la Russie. Un rêve que la Fédération poursuit depuis le début des années 1990. L’année 2014 marquera-t-elle un tournant dans le système bancaire russe ? État des lieux.
Du rire aux larmes
Vendredi 21 mars, le peuple russe de Russie et de Crimée se réjouissait : Vladimir Poutine venait de ratifier le traité d’adhésion de la Crimée et de Sébastopol à la Fédération de Russie. Mais l’humeur n’était pas à la fête pour tout le monde. Face à leurs distributeurs de billets, les clients de sept banques russes apprenaient au même moment que leurs cartes de paiement avaient été bloquées.
La décision venait d’en-haut – ou plutôt de l’ouest. Les États-Unis, un peu plus tôt dans la journée, avaient en effet publié le second volet de leurs sanctions contre la Russie. Vingt nouveaux citoyens russes, dont de nombreux hommes d’affaires proches de Vladimir Poutine, ont vu leurs noms ajoutés à la liste noire américaine, composée jusqu’alors de onze Russes, principalement des politiques, sanctionnés depuis le lundi 17 mars.
Les nouveaux arrivants, soumis dès lors à des restrictions de visas et au gel de leurs avoirs sur le territoire américain, regroupaient des grands noms tels Iouri Kovaltchouk, actionnaire principal des banques Rossiya et Sobinbank, ou encore Arkadi et Boris Rotenberg, propriétaires de la banque SMP. Si ces individus s’attendaient à la punition américaine, ils ne s’imaginaient sans doute pas que les systèmes de paiement Visa et Mastercard cesseraient sans préavis d’assurer leurs services aux clients de leurs établissements bancaires.
Près d’un demi-million de cartes de crédit et de débit sont ainsi devenues obsolètes en quelques secondes. SMP, qui recense 170 mille cartes en circulation, a déclaré qu’en deux jours, ses clients avaient par précaution retiré aux guichets 1 milliard de roubles, sur les 4,5 milliards de dépôts de la totalité des comptes courants, et 3 milliards de roubles sur les 80 des comptes épargnes.
La situation s’est finalement apaisée le 24 mars, lorsque Visa et MasterCard ont débloqué les transactions pour les banques SMP, Investkapitalbank et Ivestitsionnyï Soyuz. Seules Rossiya et Sobinbank voient encore leurs transactions bloquées.
Rire et action
Sur le front politique, Vladimir Poutine avait réagi très rapidement – le jour même – à l’annonce de ces sanctions, et avec une touche d’humour. « Personnellement, je n’ai aucun compte dans cette banque [Rossiya], mais je vais absolument en ouvrir un dès lundi », a-t-il déclaré vendredi 21 mars.
La tempête passée, c’est néanmoins avec plus de sérieux que le président russe a affirmé face au Conseil de la Fédération (chambre haute de la Douma), jeudi 27 mars, sa volonté de voir émerger un système de paiement russe. « Nous devons défendre nos intérêts, et nous le ferons », a-t-il notamment martelé.
Ce service devra représenter une alternative aux gigantesques moyens de paiement américains, qui contrôlent aujourd’hui près de 95 % des transactions par cartes de crédit et de débit effectuées en Russie, selon les données de la Banque centrale de Russie.
Bernée par l’Ouest, la Russie se tournera donc, désormais, vers l’Est. « Dans des pays comme le Japon et la Chine, ces systèmes fonctionnent très bien. Ils se sont concentrés sur leur marché national, et gagnent chaque jour en popularité », a poursuivi le président. M. Poutine a jugé la manière de procéder des États-Unis « regrettable » : « Je pense que cela ne les mènera qu’à la perte de certains segments d’un marché par ailleurs très lucratif », a-t-il déclaré.
Rira bien qui rira le dernier
La mise en place d’un système de paiement électronique 100 % russe est d’ailleurs loin d’être une idée nouvelle. Le projet avait été pour la première fois évoqué au début des années 1990, et la loi sur un système de paiement national votée en 2011.
Reste maintenant à savoir quels délais et quels volumes sont à prévoir pour sa mise en œuvre. Car les systèmes chinois et japonais cités en exemple par M. Poutine – UnionPays et JCB – ont exigé plusieurs années de lancement, et ne sont parvenus à conquérir le marché que progressivement. Si le défi est loin d’être insurmontable pour la Russie, il demandera de la patience ; une qualité qui fait aujourd’hui défaut aux Russes, pressés de répondre à la provocation extérieure.
Mais l’histoire a montré que certains projets russes dans le domaine ont bel et bien fonctionné. Si l’État n’est toujours pas parvenu à créer un système de paiement national, plusieurs régions du pays ont en revanche prouvé, dès le milieu des années 1990, qu’impossible n’était pas russe. On pense notamment au système de paiement électronique Zolotaya Korona, créé en 1994 à Novossibirsk, qui se targue aujourd’hui d’avoir émis plus de 19 millions de cartes fonctionnant dans 18 mille distributeurs, ou plus récemment au système Pro100, mis en place par Sberbank en 2010.
Autre exemple, la création de la carte électronique universelle russe (UEK), dont le développement avait retenu toute l’attention de Dmitri Medvedev. Cette dernière permet de payer l’ensemble des services gouvernementaux et peut remplacer la carte de sécurité sociale, le ticket de transport ou une carte bancaire. Quatorze banques acceptent aujourd’hui la UEK. Seul point noir, les centres de gestion de cette carte sont encore bien trop faibles pour assumer même une partie des transactions passant par Visa ou Mastercard.
Selon plusieurs experts, cités par Rousskiï Reporter, il faudrait à la Russie un à trois ans pour mettre en service un système de paiement national performant. En attendant, la Fédération devra prendre son mal en patience et apprendre à cohabiter avec Visa et Mastercard, si ces derniers daignent faire un effort de leur côté.
Source : Rousskiï Reporter, Lenta.ru, Ria Novosti
https://www.lecourrierderussie.com/2014/03/poutine-carte-bleue-russe/