Sahra, une lézignanaise de 17 ans disparue depuis deux semaines, serait désormais près d’Alep en Syrie. Elle aurait rejoint une maison « avec d’autres sœurs ».
Sa famille est désespérée. Sahra, la lézignanaise de 17 ans, a quitté son domicile le 11 mars, après avoir été déposée à l’école par son père. C’était il y a 15 jours. Le vendredi 14 mars, trois jours plus tard, la jeune femme appelait ses parents. « Elle a juste dit qu’elle allait bien, mais elle ne voulait pas dire où elle était. Elle a dit que cela ne changerait rien ».
Entre-temps, les gendarmes retrouvaient sa piste sur un vol Marseille-Istanbul. Les premiers éléments les dirigeaient vers un prétendu mariage avec un jeune converti à l’islam, comme elle, qu’elle aurait rencontré via internet. Mais quatre jours plus tard, c’est le choc. Sa famille ne voulait pas y croire. Elle contacte Jonathan, son frère, via Facebook et lui confirme son départ pour la Syrie. Son frère lui demande à plusieurs reprises, l’air de rien :
– Où es-tu ?
Elle lâche :
– Dans un village, près d’Alep.
– Où ça exactement, je suis curieux.
– Je t’aime aussi beaucoup mon grand frère, mais je ne peux pas le dire, pour notre sécurité.
– C’est comment là-bas ? Est-ce que c’est calme ?
– Oui c’est très calme. En fait c’est comme en France, comme à la maison. Sauf que le Niqab est obligatoire, c’est trop bien. Et qu’on entend l’appel à la prière.
« Là-bas, il n’y a pas de mécréant »
Le vendredi suivant, Sahra appelle à nouveau ses parents. Elle tombe sur son frère qui tente de creuser encore. Je lui ai demandé si elle allait bien. Elle nous répond toujours oui, qu’elle dort bien, qu’elle mange bien… Le même discours que tous ceux qui sont partis là-bas. Puis il persiste et lui demande ce qu’elle y fait exactement ? Elle m’a dit : « On est dans une maison avec d’autres sœurs ». Elle répétait chacune de mes questions. On entendait des gens derrière elle. C’était comme si elle leur demandait ce qu’il fallait répondre. Puis je lui ai dit : « Qu’est-ce que tu fais là-bas ? ». Elle m’a dit : « Rien de particulier, c’est comme en France. Sauf que là-bas, il n’y a pas de mécréant ».
Cette semaine, Séverine Méhault et Kamel Ali Mehenni, ses parents, sont restés sans nouvelle. Voilà 15 jours, que l’ordinateur de Sahra a été saisi par les gendarmes, mais la famille est tenue à l’écart. « Elle était toujours sur internet. Ils doivent avoir des informations, forcément. Mais on ne sait toujours pas si ce garçon dont elle nous parlait existe vraiment. On ne sait pas avec qui elle était en contact. Ni s’ils ont une piste », souffle Séverine.
Sahra s’est convertie à l’islam il y a un an et demi. Elle n’évoquait la Syrie qu’à travers les reportages. « Elle disait qu’elle aimerait bien faire de l’humanitaire. Elle disait que ces jeunes qui partaient pour le djihad avaient perdu la tête. Mais on ne sait pas si elle nous disait tout cela pour brouiller les pistes, pour ne pas nous effrayer. Elle s’est fait endoctriner », résume Jonathan. Alors comment est-elle partie ? Et surtout dans quel but ?
Me Blanquer pointe du doigt la responsabilité de l’État, un recours est engagé
La semaine dernière, Kamel Ali Mehenni et Séverine Méhault engageaient Me Blanquer pour pouvoir se porter partie civile et accéder au dossier narbonnais. « Une instruction est engagée pour rechercher les conditions de départ de cette mineure. On peut penser qu’il y a également un dossier parisien auprès du parquet antiterroriste. Dans ce cas-là, la petite Sahra pourra potentiellement être jugée comme candidate au djihad… Nous n’en sommes pas encore sûrs, nous n’avons aucune information dans ce sens. D’ailleurs, ce qui pose problème, c’est que nous n’avons aucun retour d’information sur les recherches faites à l’étranger… s’il y en a ». Mais la famille souhaite aller plus loin encore. Et engage la responsabilité de l’État. Ce matin, Me Blanquer mettait un recours préalable sous pli, à destination du ministre de l’intérieur Manuel Valls. « Nous considérons que l’État français a laissé partir une mineure sans l’autorisation de ses parents. Elle est partie pour la Turquie, qui est un pays limitrophe de la Syrie. On ne l’en a pas empêchée ». Et d’invoquer le code civil, tout simplement : « D’après le code civil, un mineur n’a pas le droit de partir de chez lui sans autorisation. Mieux, en Europe, la réglementation prévoit que les autorités doivent s’assurer qu’un mineur ne se déplace pas sans l’avis de ses parents. Cependant, la France a décidé, via une circulaire, de réinterpréter les textes européens. D’un contrôle systématique, on est passé à un contrôle… quand on le juge utile. Alors que nous savons, depuis quatre mois, que des mineurs partent, via la Turquie, en Syrie. En janvier, Manuel Valls communiquait sur le fait qu’une dizaine de mineurs s’était enfuie pour ce pays en guerre. Si on avait respecté ces textes, Sahra serait encore en France. Il faut que l’État change sa façon d’agir. Mais comment un citoyen lambda peut faire ? Et bien devant les tribunaux… ».
La France n’a jamais eu affaire à un tel recours. D’ici peu, Manuel Valls prendra acte du recours préalable de Me Blanquer. La famille de Sahra est déjà en contact avec d’autres familles dans ce cas-là.