Le 7 octobre dernier, après un dur combat électoral, le peuple vénézuélien a conféré un quatrième mandat présidentiel, de six ans, au président Hugo Chavez. Celui-ci a obtenu 8 062 056 voix (55,14 %), contre 6 468 450 (44,42 %) pour Henrique Capriles, qui avait laissé la charge de gouverneur de l’État de Miranda pour se mettre à la tête d’une large coalition allant du centre droit à l’extrême droite. La différence de plus de 10 % des voix confirme une victoire très nette pour le président sortant, bien que pas aussi large que celle remportée à la présidentielle de 2006 (62 % de voix contre 37 % pour Manuel Rosales, candidat de la droite). Sans doute les graves problèmes de santé auxquels Chavez a dû faire face et qui l’ont éloigné, pendant plusieurs mois, de l’exercice de la présidence y sont pour quelque chose. Dans une campagne présidentielle, la performance de chaque candidat peut jouer un rôle décisif, notamment à l’égard des indécis. D’autant que Capriles, en pleine santé et dans la force de l’âge (il a 40 ans), a visité plus de 300 villes. Cela lui a sans doute permis de faire le plein des voix de l’opposition.
Pendant la campagne électorale, Chavez avait mis l’accent sur sa volonté d’aller de l’avant dans la transformation révolutionnaire de la société et de l’économie lors de son nouveau mandat, qui ira de janvier 2013 à janvier 2019. Il a annoncé, dès la confirmation de sa victoire, qu’il considérait prioritaire l’instauration d’un système économique communautaire dans le cadre du « socialisme du siècle xxi ». La première initiative en vue de mettre en place la gestion sociale par la base avait été adoptée par la loi du 7 avril 2006, qui a institué les conseils communaux. Ils ont commencé à être installés en 2007, mais se sont heurtés à deux difficultés prévisibles : l’hostilité de l’opposition et une certaine perplexité d’une partie de la population devant une expérience si hardie et inédite. Sans oublier les opportunistes de tous acabits, exclusivement intéressés aux avantages personnels et immédiats qu’ils peuvent tirer de la participation à la gestion des fonds publics.
Mais le « Comandante » n’a pas l’habitude de reculer face aux difficultés. Surtout lorsqu’elles concernent les questions fondamentales du programme du mouvement bolivarien, dont il reste le plus grand dirigeant. Tant bien que mal, à peu près une cinquantaine de communes sont entrées en fonctionnement. Un pas en avant important, mais on est encore loin de consolider, à l’échelle nationale, les rapports communautaires de production et de gestion.
Encore faut-il que les courants profonds du peuple se reconnaissent à part entière dans la lutte pour cette grande transformation historique. Aucun chef d’État, sans doute, n’a plus de raisons que Chavez de faire confiance à l’initiative spontanée des masses. Nul en effet n’a oublié qu’il y a un peu plus de dix ans, au petit matin du 12 avril 2002, une clique de chefs militaires de droite, encouragée par la centrale patronale Fedecamaras, a envahi le palais de Miraflores, résidence du président, et mis Chavez en détention. Mais, alors que libéraux et pro-impérialistes célébraient le coup d’État, une masse immense et toujours croissante de manifestants, venus pour la plupart des bidonvilles qui entourent Caracas, s’est concentrée à Miraflores. Ils y sont restés jusqu’à ce que les putschistes reculent et libèrent le chef de l’État.
Si le peuple a fait sa part, en prenant la défense de Chavez aux heures les plus difficiles, c’est que celui-ci avait déjà fait la sienne. À la différence de tous ses prédécesseurs, dès son arrivée au gouvernement, en 1998, il a fait de l’amélioration du sort des Vénézuéliens vivant dans la pauvreté ou au bord de la misère (près de 70 % de la population) la priorité de ses priorités.
Fondé sur cette confiance réciproque, le Comandante a pris l’initiative d’élaborer une Loi fondamentale, dite « ley de las comunas », qui systématise l’expérience des assemblées populaires et des conseils communaux, définissant une organisation nouvelle du pouvoir populaire, exercé à la base de la société. Si cette loi, approuvée par l’Assemblée nationale le 21 décembre 2010, passe dans les faits, le Venezuela se placera, avec cette forme révolutionnaire de la démocratie, à l’avant-garde de l’émancipation sociale et son « socialisme du siècle xxi » servira d’exemple pour le monde entier.
Il faut, cependant, se garder de tout triomphalisme. L’opposition bourgeoise s’est réorganisée et peut compter non seulement sur un fort et agressif courant d’opinion, mais aussi sur la colossale machine de propagande impérialiste. Les résultats encourageants de la dernière présidentielle ne doivent pas faire oublier qu’aux élections de septembre 2010, qui ont renouvelé l’Assemblée nationale pour la période 2011-2016, le bloc de l’opposition, rassemblé dans la Mesa de la Unidad Democrática (Mud), a obtenu 48 % des suffrages, contre 46,5 % pour le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV), qui regroupe les partisans de Chavez. Grâce au découpage électoral, le PSUV a obtenu 95 sièges, auxquels s’ajoutent 3 alliés, soit 98 au total, alors que le Mud n’a obtenu que 65 sièges, assez pour empêcher Chavez de promouvoir de nouvelles réformes constitutionnelles, qui exigent une majorité de deux tiers, soit 110 sièges sur le total de 165. À noter que le taux de participation aux consultations électorales de 2010 et de 2012 a été très élevé : respectivement plus de 66 % et plus de 80 %. Gauche et droite se sont mobilisées à fond, car l’enjeu des élections ne se limite pas à l’alternance des gouvernants, mais porte sur le changement de la société.
Le fait que Chavez ait été réélu président avec 55,14 % des suffrages en 2012, alors que son parti n’en a reçu que 46,5 % aux législatives de 2010, confirme ce que l’on savait déjà : l’enthousiasme et l’engagement populaire que suscite la personne du Comandante ne se transfèrent pas entièrement à son parti. Pourtant, grâce aux militants bolivariens, le Venezuela qui comptait, en 2003, environ 1,6 million d’analphabètes est devenu en 2006 un « territoire libéré de l’analphabétisme ». Tous les autres indicateurs sociaux confirment le progrès de la lutte contre les inégalités sociales, lesquelles, mesurées par le coefficient Gini, se chiffrent actuellement à 0,394, le meilleur indice de l’Amérique du Sud. En 1998, 50,8 % de la population était dans la pauvreté, 20,3 % dans la misère. En douze ans, ces indices ont été respectivement réduits à 31,9 % et 8,6 % de la population. Quant au salaire minimum, il est passé de 182 dollars en 1998 à 480 dollars aujourd’hui.
Sans oser critiquer directement ces remarquables résultats sociaux, les néolibéraux soulignent leur coût financier et regrettent que le revenu du pétrole soit « gaspillé » au profit des mesures « populistes » du gouvernement. On doit les remercier de mettre en évidence le caractère sordide de leur doctrine politique : la monnaie d’abord, la condition humaine après.