L’impossibilité à élire un président de la Commission a montré les clivages au sein de l’institution. Enjeu de la compétition : le contrôle de l’organisation, que l’Afrique du Sud entend bien ravir.
Au début du mois dernier s’est tenu, dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba, le premier sommet de l’Union africaine (UA) après la disparition de l’un de ses principaux créateurs, le guide libyen Mouammar Kadhafi. Il a fait apparaître au grand jour, une fois encore, le fossé séparant les aspirations à l’unité continentale proclamée dans l’acte constitutif de l’UA et les réalités du terrain, miné par les ambitions personnelles des chefs d’État.
L’élection manquée du nouveau chef de l’exécutif panafricain, appelé président de la Commission de l’Union, principal sujet à l’ordre du jour de la rencontre des chefs d’État, a été, un moment difficile pour l’UA, parcourue par de nouveaux clivages. Les deux candidats en lice, le sortant Jean Ping, du Gabon, et la ministre sud-africaine de l’Intérieur (et ancienne épouse du président sud-africain), Nkosazana Dlamini-Zuma, n’ont pu se départager, à l’issue de quatre tours de vote marqués par une « guerre des tranchées » entre deux blocs antagonistes. Un exercice de schématisation rapide a désigné deux blocs en compétition : l’un constitué des pays anglophones, aligné derrière la candidate sud-africaine, l’autre du groupe des pays francophones convaincu que le Gabonais serait le meilleur choix.
Les arguments n’ont pas manqué, de part et d’autre. Il a été souvent avancé que le Gabonais serait trop inféodé à la France (c’est un proche de feu le président gabonais Omar Bongo considéré comme un pion essentiel de la Françafrique) et se serait aligné mécaniquement derrière les positions de ce pays, notamment dans la crise ivoirienne et la guerre de l’Otan en Libye. Nkosazana Dlamini-Zuma incarnerait, quant à elle, l’esprit d’indépendance recherché par l’organisation panafricaine pour mieux faire entendre sa voix dans le monde.
Cette présentation manichéenne masque la réalité. Il n’y a pas eu un bloc anglophone soudé autour de Zuma. Le plus important pays anglophone d’Afrique, le Nigeria, a soutenu le candidat francophone, au côté de la Côte d’ivoire et du Gabon. Et les clivages actuels de l’UA relèvent davantage d’une lutte pour le contrôle de l’organisation que d’un quelconque souci de recherche d’une plus grande efficacité de l’action commune. L’Afrique du Sud ne cache pas sa volonté de s’imposer comme leader naturel du continent, en raison notamment de sa puissance économique et de la qualité présumée de son système démocratique postapartheid. Elle estime que son heure a sonné.
Si Pretoria tient à tenir les rênes de l’UA, c’est surtout, souligne un diplomate d’Afrique centrale excédé par l’acharnement diplomatique de Zuma, pour prendre de vitesse l’autre grand du continent, le Nigeria, dans la bataille que ces deux pays mènent pour remporter un hypothétique siège de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies au cas où cet organisme onusien venait à être réformé. « Comment l’Afrique du Sud, qui a voté en faveur de la résolution onusienne présentée essentiellement par la France, qui a permis d’assassiner Kadhafi, peut-elle aujourd’hui faire croire qu’elle est en mesure de rendre l’organisation panafricaine plus autonome, alors qu’elle a contribué à la marginalisation de l’Afrique sur le dossier libyen, dans l’espoir d’obtenir un siège éventuel au Conseil de sécurité ? », s’indigne-t-il. Il est également vrai que Jacob Zuma a fait amende honorable en critiquant vertement la France et l’Otan pour le déchaînement de leur puissance de feu sur la Libye, en ruine aujourd’hui.
Après que Jean Ping, seul en lice au quatrième tour après le retrait de Nkosazana Dlamini-Zuma à la suite de trois tours de scrutin infructueux, a échoué à quatre voix près à rassembler la majorité qualifiée requise, les danses de joie exécutées par les membres de la délégation sud-africaine à Addis-Abeba ont suscité un malaise. « Dans un souci d’apaisement et de recherche de solutions pour aller de l’avant, l’Afrique du Sud aurait mieux fait de se retirer du processus au profit d’une personnalité plus consensuelle », glisse une fonctionnaire de l’organisation. Cette éventualité n’est manifestement pas à l’ordre du jour en Afrique du Sud, où Zuma affirmait, fin février, dans l’optique du nouveau scrutin prévu fin juin : « Nous sommes en effet déterminés à changer la direction de la Commission de l’UA. L’Afrique du Sud n’a encore jamais essayé d’avoir cette position. »