La Marine de l’armée populaire de libération (MAPL) chinoise vient de lancer son premier porte-avions. Même si son système d’armes ne sera pas opérationnel avant au moins dix ans, son lancement très officiel intervient en pleine rivalité énergétique avec le Japon autour des îles Senkaku. En mer de Chine méridionale, d’autres différends portent sur l’île de Taiping, située dans l’archipel des Spratleys, occupée par Taïwan depuis des années, et sur d’autres cailloux revendiqués par le Vietnam (voir Afrique Asie de septembre 2012).
Depuis plusieurs mois, les relations avec les Philippines sont extrêmement tendues pour les mêmes raisons : ces différentes zones maritimes recèleraient l’équivalent de 213 milliards de barils de pétrole, soit presque autant que les réserves de l’Arabie Saoudite. Dans ce contexte, la MAPL met aussi en place une nouvelle doctrine dite du « collier de perles » autour du sous-continent indien, bien que les experts soient partagés quant à la finalité de ce projet : encerclement de l’Inde ou palliatif à un manque capacitaire chronique en matière de navires de soutien ? Le débat n’est pas encore tranché ; il est en revanche certain que l’Atelier du monde se dote de capacités navales aptes à lui assurer des accès à l’océan Indien : Gwadan au Pakistan, Marao aux Maldives, Chittagong au Bangladesh, ou les îles Coco au Myanmar.
La tradition maritime chinoise est pluriséculaire. Cependant, la dernière expédition navale chinoise à avoir quitté les côtes de l’empire du Milieu est celle de l’amiral Zheng He, au xve siècle, ayant pour objectif l’exploration des côtes somaliennes. Ensuite, la marine impériale a entamé un long processus de déliquescence n’ayant pris fin qu’au xxe siècle, à la proclamation de la République chinoise par Sun Yat-Sen en 1912. La MAPL se fondera sur ses restes, devenus flotte républicaine. Jusqu’en 1965, elle restera une flotte satellite de la marine soviétique. Elle demeurera une marine de type brown water, à vocation essentiellement côtière, jusqu’en 1976, année de sa véritable naissance, dans le cadre de la politique centrale dite des « quatre modernisations ».
Le nouveau secrétaire du Parti, Deng Xiaoping, entame un programme de restauration totale : maintien d’une poussière navale (patrouilleurs, chalutiers armés et sous-marins de poche), construction d’unités moyennes (premières frégates) et achats d’équipements occidentaux (américains, italiens et français). La propulsion nucléaire fait son apparition, la flotte de sous-marins classiques à propulsion diesel (SSK) connaît un essor sans précédent. La dernière phase, qui commence en 1989, se poursuit et s’intensifie actuellement. Pékin se dote entre autres de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire (SSN), de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SSBN), passant d’un format côtier à celui d’une marine de haute mer à vocation régionale, l’objectif affiché étant de rattraper le retard avec le principal acteur naval de la zone : l’US-Navy.
Le livre blanc sur la défense chinoise de 2006 définit une progression en trois phases : horizon 2010, capacité de contrôle de la mer de Chine ; 2020, passage à une marine océanique ; au-delà, réalisation d’un format capable de concurrencer l’US-Navy. Le dernier livre blanc, paru en décembre 2008, préconise la consolidation de cette montée en puissance, tout en affichant une évolution « non hégémonique », « désireuse de parvenir à un règlement des litiges internationaux par des moyens pacifiques », affirme le ministère de la Défense, en continuité avec le principe Wu-fei (le non-agir) du Tao.
Au stade actuel, cette évolution génère deux conséquences majeures : Hanoï s’est réconciliée avec l’ennemi américain et l’Inde se dote de capacités navales renforcées au-delà de la menace pakistanaise.
Dans l’absolu, on ne peut que se féliciter de l’émergence de capacités de défense susceptibles de favoriser l’idée d’un monde multipolaire. Mais encore faudrait-il que celles-ci entraînent dans leur sillage des modes de production, de consommation et de gestion différents de ceux – hyperdestructeurs – de l’économie néolibérale mondialisée. Dans une situation de pays émergé, relativement comparable à celle de la Chine, le Brésil de Lula et de Dilma Roussef montre comment un effort régional de défense accompagne une politique économique et sociale plus équitable.
Le porte-avions chinois pourra-t-il mettre le cap sur cet idéal des grands hommes de Bandung ? Celui d’une troisième voie, d’un mode de développement Sud/Sud susceptible de corriger, sinon de résister à la barbarie de la mondialisation capitaliste actuelle : c’est toute la question…