
– Amro, un enfant palestinien de dix ans, a été abattu de sang froid par l’armée israélienne à Burin, en Cisjordanie.
Alors qu’un père et ses deux jeunes fils rentraient chez eux après avoir fait des courses dans leur village, des soldats israéliens ont tiré sur leur camionnette, tuant l’enfant de 10 ans. L’enfant de 7 ans, traumatisé, s’accuse d’être responsable de la mort de son frère.
Gideon Levy et Alex Levac
Saignant abondamment, le garçon de 10 ans s’effondre dans les bras de son frère de 7 ans, assis à côté de lui sur le siège avant du pick-up de leur père. Une balle a frappé la tête de l’aîné. Le père, consterné, ouvre la portière du passager pour sortir son fils du véhicule. « Amro est mort ! Amro est mort ! » hurle-t-il. Horrifié, le jeune frère s’élance et s’enfuit en courant, disparaissant rapidement. Alors que le père pousse des cris hystériques, des habitants lui arrachent son fils blessé et l’emmènent d’urgence à l’hôpital de Naplouse, où son décès est constaté. Les soldats qui tiennent un poste de contrôle local empêcheront plus tard la mère de se rendre à l’hôpital pour se séparer de son fils mort.
Quelques minutes après cet incident, des soldats israéliens abattent un autre jeune dans le même village. Âgé de 20 ans, il succombe à ses blessures deux jours plus tard.
Telle est la routine de la vie – et de la mort – ces jours-ci en Cisjordanie, pendant la guerre à Gaza, lorsque toutes les règles ont été supprimées et que les Palestiniens sont partout des cibles faciles, et pas seulement dans la bande de Gaza.

– Salam Najar, dont le fils Amro a été tué par des soldats au début du mois. « Pour moi, dit-elle, tout ce qui était beau est fini.
La famille Najar vit dans la dernière maison à la limite sud du village de Burin, près de la route qui monte vers la colonie de Yitzhar, dont les habitants infligent des violences à leurs voisins palestiniens depuis des années.
Il n’est donc pas surprenant que leur maison ressemble à une installation militaire : clôtures, barreaux aux fenêtres, barbelés et treillis de fer – tout cela pour protéger la famille des colons, qui se promènent en uniforme de l’armée depuis le début de la guerre. Ils sont membres de ce que l’on appelle les escadrons de sécurité d’urgence, la dernière invention de l’occupation, mais en réalité, les uniformes sont surtout un déguisement militaire pour les colons les plus violents de Cisjordanie, qui continuent à terroriser la population occupée sans défense.
Outre la route d’accès à Yitzhar, une tour de garde de l’armée israélienne est également visible depuis la cour des Najars, mais les soldats qui y sont postés ne se soucient que du bien-être et de la sécurité des colons – jamais de la protection de leurs victimes. Selon les membres de la famille, il ne se passe pas un jour sans que des colons en uniforme ne se présentent devant la maison, proférant des injures, effrayant les enfants, jetant parfois des pierres et incendiant des biens. Les bicyclettes brûlées des enfants, jetées de l’autre côté de la clôture, sont un témoignage muet de la vie dans leur quartier à Burin.
Alors que la peur des colons et le spectre de la terreur qu’ils font régner depuis des années dans cette maison, personne n’a imaginé que l’un des enfants qui y vivent serait tué par les soldats qui envahissent le village pour faire étalage de leur contrôle et exercer leur intimidation.Au lieu de patrouiller à Yitzhar, les soldats s’en prennent apparemment aux victimes des colons.
Chez les Najars, un chat de couleur rouille se réchauffe sous le soleil printanier avec la grand-mère, les jambes posées sur un seau en plastique et une canne appuyée à ses côtés, son visage étant une étude de l’agonie du petit-fils qui a été tué. À 80 ans, Imbassam a tout vu de l’occupation. En février 2003, au cours de l’un des nombreux pogroms déclenchés contre Burin – comme le rappelle Abdulkarim Sai, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem -, des colons ont tenté de mettre le feu à cette maison en faisant exploser une bonbonne de gaz de cuisine. Personne n’a été blessé.
Les parents endeuillés, Salam et Mohammed Najar, âgés respectivement de 30 et 37 ans, ont élevé une famille de quatre enfants – trois fils et une fille. Salam parle couramment l’hébreu. Où a-t-elle appris cette langue ? À la télévision israélienne. Née dans le village voisin de Jit, elle raconte qu’elle adorait la chaîne pour enfants. Il y avait des émissions comme « In Hani’s Room » et « Mrs. Pepperpot », et elle se souvient aussi des chansons. « Mon père travaillait en Israël, mais il connaissait moins bien l’hébreu que moi et mes sœurs. Nous avions un très bon hébreu.
Mohammed livre de la nourriture aux épiceries.
Sa vieille camionnette Mercedes 418 délabrée, dans laquelle Amro, 10 ans, a été abattu, est maintenant garée dans la cour, son pare-brise avant ayant été perforé par une balle. C’est le jour, pendant le ramadan, et aucun rafraîchissement n’est servi aux invités.
C’était le 4 mars, un lundi.Mohammed a conduit les enfants à l’école le matin et Salam est venue les chercher ensuite.Toujours soucieuse de leur sécurité, elle tient à les ramener chaque jour à la maison, même si l’école n’est qu’à un kilomètre, car elle ne veut pas qu’ils marchent seuls.
Aux yeux des habitants, Burin est une zone de tir. Il y a deux semaines, alors que les enfants Najar jouaient dans la cour, des colons en uniforme sont descendus de la colline voisine et les ont fait entrer dans la maison sous la menace de leurs armes. Les enfants se sont enfuis. Sama, la fille de 9 ans, a hurlé de peur. Contrairement à la plupart des maisons des villages palestiniens, les portes de la maison des Najars sont toujours fermées à clé. « Cela fait plus de 12 ans que je vis ici et je ne me suis jamais sentie en sécurité », déclare Salam.
Ce lundi, elle a préparé le déjeuner pour les enfants et ils ont changé de vêtements. Lorsque Mohammed est rentré à la maison dans l’après-midi, il a proposé à leurs deux fils, Amro et Ahmed, de l’accompagner pour faire quelques courses dans le centre du village.
Le téléphone portable de l’un des enfants, utilisé pour l’apprentissage en ligne à l’école, avait besoin d’être réparé et un bidon de gaz de cuisine devait être remplacé.
Ils quittèrent la maison à 16 h 20. Le téléphone fut vite réparé, ils eurent la nouvelle cartouche et le trio rentra tranquillement à la maison. Mohammed ne se doutait pas qu’une force militaire se trouvait à Burin. Soudain, Salam appelle : Un parent vivant à proximité avait remarqué que des troupes se déplaçaient vers le centre du village et avait publié une mise à jour sur les médias sociaux. Ne quittez pas la maison, a-t-il prévenu. Salam a immédiatement transmis le message à son mari.
Amro et Ahmed étaient assis côte à côte sur le siège avant de la Mercedes. Mohammed s’est arrêté de conduire et a attendu de voir ce qui se passait. Il ne voit aucun soldat, mais décide d’attendre. La circulation s’était arrêtée ; tout le monde était apparemment saisi par la peur. Mohammed, ainsi que Sadi, chercheur de terrain à B’Tselem, et sa collègue Salma a-Deb’i, insistent sur le fait qu’aucun incident violent ne s’est produit à l’endroit où le pick-up s’est arrêté – ni jet de pierres, ni quoi que ce soit d’autre. Mohammed a attendu avec les garçons pendant environ sept minutes, se souvient-il, jusqu’à ce qu’il constate que la circulation était revenue à la normale, après quoi il a repris le chemin de la maison.
C’est alors qu’il a remarqué que des personnes couraient vers son camion et que d’autres se cachaient derrière. Alors qu’il essayait d’évaluer la situation, il a entendu le bruit de coups de feu. Le pare-brise devant Mohammed a été percé par une balle qui a apparemment dévié sur le côté et s’est écrasée sur la tête d’Amro, assis à côté de lui.
Au premier instant, le père n’a pas compris ce qui se passait, puis il a vu Amro allongé dans les bras du petit Ahmed, une plaie béante à la tête.
Criant sauvagement, Mohammed s’est précipité hors du véhicule pour sortir son fils en sang de l’autre côté, et Ahmed s’est enfui dans une panique abjecte. Mohammed était fou et des passants lui ont pris Amro et l’ont conduit à l’hôpital Rafidia de Naplouse, à quelque neuf kilomètres de là. En raison d’une série de points de contrôle et d’autres obstacles, Naplouse est actuellement l’une des villes les plus inaccessibles de Cisjordanie. La voiture transportant Amro a été retardée par des soldats et le garçon a été déclaré mort à l’arrivée. Salam n’a jamais pu se rendre à l’hôpital.
Peu de temps après l’incident avec Amro, nous a-t-on dit, des soldats ont ouvert le feu à partir d’un endroit situé à une cinquantaine de mètres. Un autre villageois, Ahmed Kadis, a reçu une balle dans la tête. Grièvement blessé, il a réussi à se réfugier dans une maison voisine, d’où il a été transporté d’urgence à l’hôpital. Mais il n’a pas survécu non plus.

– Les bicyclettes des enfants, piétinées par les colons et jetées de l’autre côté de la barrière, sont un témoignage muet de la vie dans leur quartier à Burin.
Par ailleurs, selon les témoignages recueillis par Deb’i, de B’Tselem, des soldats sont entrés dans un café du village et ont frappé quelques jeunes clients. Deux d’entre eux ont été emmenés à l’hôpital. Les troupes ont forcé un jeune de 14 ans, Baher Eid, à s’allonger sur le sol, et un soldat lui a marché sur le cou.
L’unité du porte-parole de l’IDF a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : « Le 4 mars 2024, au cours d’une activité initiée par l’IDF dans le village de Burin, dans [le territoire de] la Brigade Shomron [Samaria], un certain nombre de suspects ont jeté des pierres sur les combattants, qui ont répondu par des tirs d’armes à feu. Peu après, la mort d’un mineur palestinien a été signalée ; quelques jours plus tard, la mort d’un autre Palestinien, blessé lors de l’incident et qui a succombé à ses blessures, a été signalée. À la suite de cet incident, la police militaire a ouvert une enquête. Dès sa conclusion, les résultats seront transmis au bureau de l’avocat général des armées« .
Les taches de sang sur le siège de la Mercedes dans la cour ont été effacées. Le petit Ahmed fait des cauchemars depuis l’incident. Son oncle l’a trouvé 20 minutes après avoir assisté à l’assassinat de son frère, caché dans la cour d’une maison, serrant une pièce que son père lui avait donnée pour acheter quelque chose à boire sur le chemin du retour, et pleurant de manière incontrôlable. Amro avait été tué à cause de lui, se lamentait son frère. Le jour où nous avons rendu visite à la famille, lundi dernier, Ahmed était enroulé dans la couverture d’Amro et, comme sa mère nous l’avait dit, refusait de s’en séparer.
“Pour moi, tout ce qui était beau est fini”, a-t-elle dit, avant de se taire.
Gideon Levyet
Photos d’Alex Levac
Haaretz
https://archive.is/bSxsz#selection-403.0-1295.75
Traduit par Brahim Madaci