Pierre Piccicin est professeur d’histoire et de sciences politiques à l’Ecole européenne de Bruxelles I. Spécialiste du Proche-Orient, c’est donc en toute logique qu’il s’est intéressé aux événements qui secouent la Syrie depuis presque une année.
L’historien et le politique s’est fait un devoir de se déplacer en Syrie afin d’apporter un éclairage dénué de nuances et sans parti pris. «En juillet, j’avais parcouru tout le pays, aussi bien le sud, Deraa, Souweida, que le centre, puis la côte et le nord, jusqu’à Alep, et l’est, jusqu’à Deir-es-Zor, sur l’Euphrate, vers la frontière irakienne. Cette fois-ci, je me suis concentré sur le centre, principalement Damas, le gouvernorat de Homs et Hama», a-t-il affirmé dans le préambule d’un long témoignage dont l’intégrité fait aujourd’hui référence dans les milieux universitaires. Il a déclaré qu’un de ses objectifs était de rencontrer des chrétiens syriens qui représentent un peu plus de 10% de la population. Afin de donner un sens à son témoignage, il a parcouru la totalité des régions syriennes. En effet, il a séjourné à Deraa, Souweida, Hama, Alep, Deir ez-Zor et Homs, sans compter Damas la capitale. «J’ai ainsi eu l’occasion de parler à des familles chrétiennes et de rencontrer quelques personnalités de leur communauté: Monseigneur Hazim, le Patriarche grec orthodoxe, Mère Agnès Mariam de la Croix, Supérieure du monastère de Saint Jacques le Mutilé à Qara, une des figures les plus emblématiques des chrétiens de Syrie, ou encore le Père Elias Zahlaoui, prêtre catholique à Notre-Dame de Damas», dit-il. En juillet, il affirme avoir rencontré également le Père Paolo, autre figure emblématique, au monastère de Mar Moussa. «Leur inquiétude est réelle, face à la haine islamiste qui se manifeste à leur égard» et aux ingérences étrangères, celles du Qatar et de l’Arabie Saoudite notamment. «Dès lors, même si la grande majorité des chrétiens se dit favorable à la démocratisation des institutions, ils composent cependant avec le régime baathiste, un régime laïc, qui assure la protection de toutes les minorités religieuses», a-t-il dit. Des propos qui vont à l’opposé de ce que rapportent les adversaires du régime et ceux qui tentent d’impliquer les chrétiens dans un processus qui va à l’encontre de leurs intérêts. Pierre Piccicin révèle un autre de ses objectifs: essayer d’entrer en contact avec l’opposition ou «plus exactement les oppositions» comme il le dit. «Si les manifestations du mois de mars 2011 avaient été pacifiques et massives, la contestation s’est par la suite affaiblie, en partie du fait de la répression, en partie aussi par rejet d’un islamisme radical dont l’influence croissante au sein de l’opposition a inquiété plusieurs des communautés et confessions qui tissent le patchwork de la société syrienne», constate-t-il. «Sur le terrain, explique-t-il, plusieurs mouvements hétérogènes coexistent: des organisations de citoyens, à Hama et à Homs principalement, des groupuscules salafistes infiltrés d’unités instrumentalisées par l’étranger, par le Qatar et l’Arabie Saoudite». Selon lui, «l’armée syrienne libre revendique un contingent de 15.000 à 40.000 hommes, tous déserteurs de l’armée gouvernementale. Non seulement, ces désertions ne sont pas avérées en tout cas, les chiffres annoncés n’ont pas de sens: l’armée syrienne constitue l’un des piliers du régime, qu’une telle hémorragie mettrait en grande difficulté (l’armée régulière compte environ 200.000 hommes), ce qui n’est pas le cas. Dans le même contexte, il affirme que les «événements de Syrie constituent certainement un cas d’école extrême de désinformation médiatique, et peut-être plus encore que la guerre du Golfe de 1991, voire la guerre d’Irak de 2003 ou l’intervention atlantique en Libye en 2011». Il ne s’agit pas de dénoncer un vaste complot médiatique contre la Syrie -pas de la part des médias occidentaux mais de mettre en évidence les raisons de cette désinformation aux proportions saisissantes. Certes, il est bien évident que la plupart des grands médias ont une ligne éditoriale déterminée par les intérêts de ceux qui les possèdent, leurs principaux actionnaires, des groupes financiers ou industriels qui utilisent leurs médias pour influencer l’opinion.»